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Analyse

Sauver le capitalisme des capitalistes

4 octobre 2023, 09:00

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Vous ne l’entendrez pas dans la bouche de nos dirigeants politiques, si ce n’est pour le vilipender. Pourtant, le terme «capital» remonte, selon l’historien Fernand Braudel, au XIIe siècle quand on parlait de «fonds, stock de marchandises, de masse d’argent, ou d’argent portant intérêt». C’est ce qui fait encore tourner l’économie de nos jours, mais qui suscite toujours de l’hostilité chez nos bien-pensants.

C’est un des principes libéraux classiques que l’État doit maintenir un environnement propre à favoriser le bon fonctionnement des marchés. Il doit ainsi protéger l’état de droit, l’exécution des contrats, la libre concurrence et la propriété privée. Néanmoins, un plaidoyer en faveur d’un rôle limité des pouvoirs publics dans l’économie, ce n’est nullement plaider pour interdire des aides publiques aux entreprises privées. Mais le gouvernement doit avoir le courage d’arrêter ces aides quand elles ne sont plus justifiées. Et puis, dans une situation de crise, comme celle du Covid, l’État – on pense ici à la Mauritius Investment Corporation – ne saurait encourir tout seul les risques de défaillance d’une entreprise sans une contribution des créanciers de la firme et sans une ouverture de son actionnariat. Il convient d’avoir un partage équitable des charges.

Qu’à cela ne tienne, il faut une expansion du secteur privé, dont la part dans l’investissement national représente 76,7 % du PIB en 2023, contre 83,2 % en 2008. Que comprenons-nous par «secteur privé» ? Il consiste en des acteurs privés qui possèdent et contrôlent un capital fixe, qui achètent le travail contre salaire, et qui s’approprient des plus-values. C’est la définition du capitalisme.

Cependant, la propriété n’obéit pas seulement au principe d’exclusivité, soit le pouvoir reconnu au propriétaire de jouir librement de ses biens. Un autre caractère des droits de propriété, dans une économie véritablement capitaliste, c’est la libre transférabilité, c’est-à-dire la liberté de disposer de ses biens. L’exclusivité incite au maximum d’efforts personnels pour gérer des ressources le plus efficacement possible, et la transférabilité permet d’orienter les ressources vers ceux capables d’en faire le meilleur usage. C’est ce qu’on attendait de la Bourse de Maurice pendant le Covid, mais elle n’est pas un marché de la prise de contrôle d’entreprises.

Capitalisme de connivence

Dans les milieux de nos institutions économiques et de nos décideurs politiques, on associe souvent, mais à tort, le secteur privé au capitalisme de grande entreprise. Un pays a certainement besoin de grandes firmes parce qu’elles sont à même d’exploiter des économies d’échelle, de fabriquer en série et de commercialiser de nouveaux produits. Mais le capitalisme de grande entreprise pose problème quand il est orienté vers la protection et l’enrichissement d’une très petite minorité.

C’est là un capitalisme oligarchique. Il est entretenu par l’intervention massive de l’État dans l’économie, par un secteur public hypertrophié, car alors les relations comptent plus que tout pour réussir, d’où la consécration du lobbying. Surtout dans une économie dont la croissance est tributaire du secteur de la construction, de l’immobilier et de l’industrie bancaire, où l’on est à la merci des régulateurs.

Dès lors, on recrute des CEO qui ont la capacité d’influencer les responsables du gouvernement, plutôt que des CEO qui ont la compétence de satisfaire les clients et les consommateurs. Les opérateurs économiques sont encouragés, non pas à créer de la valeur par l’innovation, par la concurrence et par l’amélioration de la productivité, mais à exploiter des relations politiques afin d’obtenir des rentes, des subventions, des prêts bonifiés, des allègements fiscaux, des protections tarifaires, des positions économiques, aux dépens de l’intérêt public. Les élites dirigeantes ayant de puissants intérêts décrochent le plus gros de ces privilèges qui répriment la liberté de marché.

C’est, en fait, un capitalisme de connivence, un capitalisme des copains, fondé sur le clientélisme. Le capitalisme de copinage a des coûts directs : mauvaise allocation de ressources dans l’économie, distorsions du marché, concurrence moindre ou injuste. Il y a aussi des coûts indirects, notamment l’érosion de la confiance de la communauté des affaires dans les institutions. Une économie de marché ne peut prospérer que si les institutions sont neutres et impartiales, que si elles font respecter des règles générales qui s’appliquent à tout le monde.

Le capitalisme dans sa forme la plus pure, c’est l’entrepreneuriat. Pour sortir du capitalisme de connivence, il convient de promouvoir un capitalisme entrepreneurial, celui qui se focalise sur la création d’entreprise, qui génère des innovations, qui produit de meilleurs biens et services, sans chercher une protection du gouvernement. C’est un capitalisme de libre marché qui, comme l’a écrit l’économiste William Baumol, est la plus efficace des «machines à innover». Être entrepreneur, ce n’est pas faire du lobbying pour obtenir indûment de l’appareil d’État des avantages divers et variés. Être entrepreneur, c’est créer de la richesse, des emplois et du pouvoir d’achat, c’est façonner une économie ouverte et dynamique.

Pour développer l’entrepreneuriat, il appartient au gouvernement de stimuler la concurrence, de garantir une transparence totale des marchés publics, de tenir à distance les intérêts privés organisés et de laisser jouer les prix qui déterminent l’affectation du capital et du travail. Aussi, les médias indépendants peuvent être un rempart contre le capitalisme de connivence. Malheureusement, le journalisme d’investigation est de plus en plus coûteux, étant donné la baisse des revenus de vente depuis l’avènement des réseaux sociaux, et vu la chute des recettes publicitaires depuis les confinements nationaux.

Dans ce contexte très difficile à la diffusion des idées économiques, il est impératif, pour reprendre le mot de Rajan Raghuram, de «sauver le capitalisme des capitalistes».