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Un budget de « bon père de famille »

30 juin 2025, 09:00

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Un budget de « bon père de famille »

Le budget 2025-2026 présenté par le gouvernement a suscité des réactions diverses de la part des professionnels, des travailleurs, du patronat et de la société civile en général. Platform for justice & unity (Platform), une organisation citoyenne regroupant des professionnels de divers secteurs, reste à l’écoute de la population et souhaite apporter sa contribution au débat.

🔴 Le contexte

Il convient d’abord de rappeler le contexte économique, social et de mauvaise gouvernance que nous avons traversé, comme en témoignent les rapports d’institutions internationales. Bien que l’on nous ait brossé un tableau économique positif, nous ressentions un essoufflement général de l’économie et une dégradation continue des conditions de vie. Cela se manifestait par l’érosion du pouvoir d’achat, la chute de la roupie face au dollar, le manque d’investissements dans les secteurs productifs, un climat d’affaires peu propice à la création de richesse nationale, et une réalité sociale de plus en plus précaire.

Ce budget paraît être une suite logique de l’état des lieux économique présenté dans le ‘State of the Economy’. Les mesures ont une dimension plutôt de retenue, de révision de stratégie de développement et de remise sur les rails de la santé financière de notre économie. Malheureusement, certaines mesures annoncées, comme la pension universelle, touchent à des acquis sensibles et et ont éclipsé le reste du débat budgétaire.

Le gouvernement devait choisir entre être populaire ou responsable. Il semble évident qu’il a opté, en bon père de famille, pour la voie de la responsabilité et de la préparation à l’avenir — même si cela demande de passer par des sentiers épineux.

🔴 Les allocations

Il est essentiel de revenir au contexte social. Les plus démunis peinaient à joindre les deux bouts, les jeunes manquaient d’opportunités professionnelles, et la classe moyenne, au lieu de progresser, voyait sa situation se détériorer. Pour pallier cette précarité croissante, on nous a anesthésiés par une multitude d’allocations de tous bords afin de s’agripper au pouvoir.

Malgré les diverses allocations, nous nous sommes retrouvés dans une spirale inflationniste, avec une érosion constante du pouvoir d’achat, créant un besoin toujours plus grand d’allocations. Le gouvernement sortant a exploité la vulnérabilité des plus fragiles, les rendant dépendants de l’aide publique.

Ces allocations, certes une planche de salut pour les plus vulnérables, sont devenues aujourd’hui pour certains un droit acquis. Remettre en question ces acquis est devenu tabou, et demande du courage.

Il faut bien comprendre que « there's no such thing as a free lunch » — tout a un coût. La population, toutefois, ne s’est pas laissé berner éternellement ; malgré les « cadeaux », elle a exprimé une volonté de changement dans la manière dont le pays est gouverné.

🔴 La pension

Le débat sur la pension universelle a éclipsé toutes les autres discussions budgétaires. Cela touche en effet à un droit fondamental, et une forte réaction était attendue.

Pourtant, nous savions depuis plus de quinze ans que le système actuel n’était plus soutenable, et que l’âge de la retraite est passé à 65 ans depuis longtemps déjà. Mais, en raison de la sensibilité du sujet, aucun ministre n’avait osé s’y attaquer.

L’inaction aurait été irresponsable, car elle aurait pu entraîner des conséquences néfastes sur les notations internationales, comme celles de Moody’s, et affecter négativement notre économie.

L’annonce des réformes a peut-être été abrupte, d’où la réaction d’une population surprise. Une meilleure communication aurait certes aidé à apaiser les tensions. Au niveau de PLATFORM, nous reconnaissons la nécessité de réformes, tout en plaidant pour des mesures adaptées aux cas les plus vulnérables.

Nous saluons donc la mise en place des deux comités chargés d’étudier des solutions, et espérons une approche humaine, pas seulement comptable.

Par ailleurs, la population attend des gestes symboliques de la part de ses élus. Il semble inapproprié qu’un jeune politicien ayant brièvement occupé la fonction de Speaker bénéficie d’une pension à vie. À titre d’exemple, les députés ayant effectué deux mandats pourraient volontairement renoncer à leur pension de base.

🔴 L’utilisation optimale de notre patrimoine foncier

Le citoyen lambda dénonce une mauvaise répartition de l’usage de notre patrimoine foncier, avec une surdépendance au secteur immobilier, au détriment d’autres secteurs productifs. Certes, l’immobilier a été un moteur de croissance, générant Rs 156 milliards sur dix ans. Mais a-t-il réellement bénéficié à l’ensemble de la société ? Les « smart cities » ne se sont-elles pas surtout limitées au résidentiel et aux morcellements ?

PLATFORM est en faveur du développement immobilier qualitatif et à valeur ajoutée, et non à une braderie. Nous constatons que les mesures budgétaires remettent en cause ce modèle « one-off » du secteur et nous nous attendons à une révision en profondeur du secteur pour qu’il soit inclusif et productif.

Nous saluons le Land Repurposing Scheme, qui encourage la diversification vers l’agriculture en vue d’une sécurité alimentaire. L’allocation de Rs 800 millions et la responsabilité confiée à Landscope pour créer une banque foncière numérique vont dans la bonne direction.

Nous espérons que ces initiatives donneront un nouvel élan à l’agriculture, attireront de jeunes entrepreneurs, et seront accompagnées d’un encadrement technique, financier, ainsi que d’un accès facilité aux marchés.

🔴 Réformes structurelles dans le public et le privé

PLATFORM estime que Maurice doit se réinventer, avec des réformes structurelles profondes pour relever les défis à venir :

Réforme de l’administration publique : Il est inadmissible qu’en 2025, à l’ère de la technologie et de l’IA, on fasse encore la queue pendant des heures à l’hôpital, et que les cartes ou dossiers médicaux se perdent. Une digitalisation efficace s’impose. Nous saluons donc le blueprint du ministère de la Technologie à ce sujet.

Amélioration du climat des affaires : Depuis des décennies, les budgets contiennent des annonces pour améliorer le "ease of doing business", mais les procédures administratives restent lentes et complexes. Même les projets nécessitent parfois l’intervention de Fast-Track Committees. Les PME, quant à elles, sont encore plus pénalisées. L’administration doit se moderniser via le business process reengineering et la formation continue du personnel. Dubaï, par exemple, attire des investisseurs malgré des coûts élevés, grâce à une administration efficace et des délais respectés. Le statu quo actuel ne peut plus durer.

Manque de vision du secteur privé : Le secteur privé a manqué de créativité, en se reposant principalement sur l’immobilier, sans véritable effort de diversification vers de nouveaux pôles de développement. L’hôtellerie, le secteur manufacturier et les services financiers stagnent. Les investissements en R&D ou dans des idées novatrices sont presque inexistants. Le budget aurait pu faire davantage pour soutenir les startups et créer des incubateurs afin de dynamiser l’innovation chez les jeunes.

🔴 Conclusion

Ce budget jette les bases de réformes structurelles et trace la direction voulue par le gouvernement. Pendant des années, la population a été bernée par des mesures populistes « fer labous dou » mais financièrement insoutenables, créant une illusion monétaire.

Face à la réalité économique, même si la pilule est amère, il est indéniable que le gouvernement agit en bon père de famille. Nous espérons qu’il saura faire abstraction des pressions populaires pour entreprendre les réformes indispensables, dans un esprit d’intégrité et de bonne gouvernance, et ce, pour assurer une transformation durable de notre société.

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