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SHUT UP n’est pas une doctrine
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SHUT UP n’est pas une doctrine
Le 26 février 2025, sous le titre Une speaker sous surveillance, l’express interpellait gentiment la speaker, Shirin Aumeeruddy-Cziffra. Nous écrivions : «De mémoire récente, on pourrait dire que Maya Hanoomanjee a ouvert la voie aux dérives. Sooroojdev Phokeer l’a suivie, transformant l’Assemblée nationale en tribunal à charge contre l’opposition. Expulsions arbitraires, propos déplacés, mépris des règles : tout était permis. Il y a peu, Shirin Aumeeruddy-Cziffra est arrivée dans ce contexte. Son élection-nomination a suscité un espoir. Mais aussi une méfiance. On la sait capable. Mais elle doit prouver qu’elle est demeurée libre.»
Le premier test d’Aumeeruddy-Cziffra, en effet, est venu de Paul Bérenger ‒ celui qui l’a portée à ce poste. Lors d’un débat tendu, en février dernier, le vice-Premier ministre avait lâché une phrase glaçante à l’opposition : «Al pandi do!» Le silence de la speaker ce jour-là avait surpris.
Mais elle a fini par réagir, un peu tardivement. Paul Bérenger a été rappelé à l’ordre. L’épisode révélait néanmoins une faille : l’ombre du pouvoir qui menace l’indépendance de cette fonction.
Le Parlement est aujourd’hui profondément déséquilibré. Deux députés d’opposition face à une majorité écrasante. Dans ces conditions, toute complaisance contre eux deux serait une trahison de la démocratie.
Le précédent Phokeer reste vif dans les mémoires. Son mandat a démontré ce qu’un speaker servile peut infliger au pays. Il avait protégé l’exécutif avec un zèle aveugle, allant jusqu’à insulter un élu de l’opposition en pleine séance. Il avait cherché à faire taire. À dominer. À détruire l’opposition. L’Assemblée nationale s’était vidée de son sens. Raison pour laquelle Shirin AumeeruddyCziffra a aujourd’hui une responsabilité immense.
Pour se démarquer de son prédécesseur ‒ probablement le pire speaker de notre histoire, à l’opposé du style de sir Harilal Vaghjee ‒ Shirin Aumeeruddy-Cziffra a cru pouvoir imposer une forme de discipline douce à une classe politique qui n’en finit plus de régresser. Sept mois après sa prise de fonction, elle lance un cri du cœur : «Je ne veux pas retourner dans les dérives du passé.» Mais c’est justement le problème. Car on n’en est jamais vraiment sorti.
Le spectacle de la semaine dernière a été une gifle pour ceux qui croient encore en la dignité du débat parlementaire. Ce qui devait être un examen démocratique des lignes budgétaires s’est transformé en une farce affligeante : moqueries minables, insultes gratuites, envolées sans substance, et une speaker dépassée criant «SHUT UP» comme un surveillant de collège en burn-out.
Oui, le Parlement est le temple de la démocratie. Mais quand les élus s’y comportent comme des comédiens ratés, et que la présidence hésite à trancher clairement, c’est tout le pays qui rit jaune. Paul Bérenger, vice-Premier ministre sans portefeuille mais avec la langue bien pendue, persiste à penser qu’insulter ses collègues est un acte de bravoure politique. Après «koson», voilà qu’il traite un député d’«imbécile» ‒ et bien sûr, retire ses mots comme on efface un mauvais tweet. La belle affaire !
Dans une assemblée vidée de son autorité, les pitreries deviennent des armes. L’ignorance prend le micro. Et la speaker se perd dans ses contradictions. Elle corrige l’un, par exemple Osman Mahomed, pour un hors-sujet, mais laisse l’autre psalmodier sa propagande sans interruption. Elle intime au jeune Duval de ne pas commenter, mais ferme les yeux sur les envolées impunies des ministres. À force de vouloir être impartiale à géométrie variable, elle se rapproche dangereusement du modèle Phokeer ‒ version polie, mais tout aussi bancale.
Il faut le dire crûment : certains députés actuels sont indignes de la fonction qu’ils occupent. Ils confondent l’hémicycle avec un ring de radio privée, où l’on crie plus qu’on ne pense, où l’on balance des formules vides comme des punchlines de TikTok. Leur vocabulaire est famélique, leur culture politique inexistante, leur sens du service public totalement absent. Ce sont des produits d’un vote sanction, mais ils se comportent comme des influenceurs en quête de buzz.
Mais voilà, être speaker, ce n’est pas arbitrer des chamailleries. Ce n’est pas recadrer gentiment des ministres déchaînés ou rappeler à l’ordre à mi-voix les pires énergumènes de l’Hémicycle. C’est tenir. Résister. Et surtout imposer. Pas par des cris, mais par la cohérence, l’exigence, l’exemplarité. Phokeer a abîmé l’institution. L’autre avant lui l’avait verrouillée. Shirin Aumeeruddy-Cziffra a une chance historique de réhabiliter le Parlement. Mais pour cela, il ne suffit pas de parler de rigueur : il faut l’incarner. Il faut, parfois, taper du poing. Pas pour se faire entendre, mais pour rappeler que la démocratie ne supporte ni la paresse intellectuelle, ni la vulgarité, ni l’impunité.
Le pays regarde. La diaspora commente. Les chancelleries ricanent. Et le peuple, lui, désespère. Alors oui, Madame la speaker, vous ne voulez pas retourner dans les dérives du passé ? Chiche. Commencez par ne plus tolérer celles du présent.
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