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Quel avenir pour l’AGOA ?

27 février 2025, 10:15

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Quel avenir pour l’AGOA ?

Les nouvelles de Washington, DC, ne sont guère réjouissantes. L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), pierre angulaire des relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne depuis 2000, arrive à un tournant critique. Certains pessimistes disent même qu’elle vit ses dernières heures. Si son expiration, prévue pour le 30 septembre 2025, suscite d’aussi vives inquiétudes parmi les pays bénéficiaires, c’est en raison du climat politique actuel en général, et de la montée du protectionnisme américain en particulier, émanant de la Maison Blanche depuis que Donald Trump s’y trouve.

Adopté sous la présidence de Bill Clinton, l’AGOA offre aux pays éligibles un accès sans droits de douane à plus de 1 800 produits sur le marché américain. Bien qu’il ait toujours bénéficié d’un soutien bipartisan, le programme fait désormais face à un avenir incertain.

Certains analystes estiment que l’impact de l’AGOA sur l’économie africaine est surestimé. En 2023, les exportations africaines sous l’AGOA représentaient 0,5 % du PIB régional, un chiffre bien inférieur à son apogée de 2008, lorsque 81 % des exportations vers les États-Unis bénéficiaient du programme. Aujourd’hui, seuls 33 % en bénéficient, signe que les relations commerciales de l’Afrique se diversifient vers l’Union européenne et la Chine.

Cependant, certains secteurs restent particulièrement vulnérables. L’industrie textile, notamment au Kenya, en Éthiopie et à Maurice, dépend fortement des exonérations des droits de douane de l’AGOA. En 2023, les exportations africaines de vêtements vers les États-Unis se sont élevées à 1,2 milliard de dollars, dont 96 % sous l’AGOA. Lorsque l’Éthiopie a perdu son accès au programme en 2022 pour des violations des droits humains, de grandes entreprises américaines comme PVH ont quitté le pays, entraînant des milliers de pertes d’emplois, en particulier parmi les femmes.

Pour l’Afrique du Sud, l’enjeu est encore plus crucial. Menzi Ndhlovu, analyste chez Signal Risk, souligne que la fin de l’AGOA pourrait avoir un effet domino sur l’économie locale. Witney Schneidman, expert à la Brookings Institution, ajoute que les exportations de voitures, d’agrumes et de vins sous l’AGOA génèrent des milliers d’emplois dans un pays déjà confronté à une crise du chômage.

L’incertitude autour du renouvellement de l’AGOA affecte déjà les décisions économiques. Selon une étude de l’United States Fashion Industry Association (USFIA), 60 % des entreprises américaines déclarent que la nature temporaire du programme les empêche d’investir durablement en Afrique. Si l’AGOA n’est pas renouvelée, beaucoup d’entreprises prévoient de réduire leurs approvisionnements en provenance des pays bénéficiaires.

L’un des problèmes majeurs du programme est sa sousutilisation. En 2015, le Congrès américain avait exigé que chaque pays bénéficiaire développe une stratégie d’utilisation pour maximiser son accès au programme. Pourtant, seuls 19 pays sur 32 l’ont fait.

À ce jour, l’administration américaine n’a pas clairement exprimé sa position sur l’avenir du programme. Donald Trump a déjà remis en question plusieurs accords commerciaux, notamment l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Les experts estiment que l’AGOA pourrait être remaniée ou abandonnée, au profit d’accords bilatéraux plus favorables aux intérêts américains.

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Le Congrès américain joue un rôle clé. Sous l’ère Biden, Chris Coons, sénateur démocrate du Delaware, et James Risch, sénateur républicain de l’Idaho, ont présenté en avril 2024 une législation visant à prolonger l’AGOA jusqu’en 2041. Le projet de loi prévoit également des réformes, notamment :

Une révision biennale de l’éligibilité des pays, au lieu d’un examen annuel, pour une meilleure mise en œuvre.

L’intégration de l’AGOA avec la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), afin de renforcer les chaînes d’approvisionnement intra-africaines.

Un renforcement des critères d’éligibilité, en y ajoutant des exigences sur la bonne gouvernance, les droits humains et la transparence économique.

Un soutien aux pays sous-utilisant l’AGOA, avec une assistance pour développer leurs stratégies d’exportation.

Face à cette incertitude, certains analystes estiment que les pays africains doivent parler d’une seule voix pour maximiser leur position dans les négociations avec Washington. David Luke, expert à la London School of Economics, rappelle que l’Afrique dispose de ressources stratégiques qui intéressent les États-Unis, notamment en minerais critiques pour la transition énergétique.

En décembre 2023, Joe Biden avait annoncé un investissement de 560 millions de dollars pour le projet d’infrastructure du Corridor de Lobito, essentiel pour l’exportation de cuivre et de cobalt. Ces enjeux montrent que, même si l’AGOA venait à disparaître, les États-Unis ne peuvent pas ignorer l’Afrique. «Les pays africains doivent renforcer leur solidarité et mieux coordonner leur approche face aux États-Unis», conclut Luke.

Si l’AGOA est renouvelée, elle pourrait être modernisée pour mieux répondre aux défis actuels. Mais si l’AGOA disparaît, les relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique devront être repensées, avec des alternatives comme des accords bilatéraux ou un partenariat élargi.

Une chose est sûre : l’Afrique ne peut pas se permettre d’attendre passivement. L’avenir de ses relations économiques avec les États-Unis se joue maintenant.