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Quand la retraite devient le front de guerre

15 juin 2025, 15:20

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Ce lundi, les ministres se réuniront autour d’une table en bois massif pour ce qui s’annonce comme l’un des conseils des ministres les plus décisifs du présent mandat de Navin Ramgoolam. En jeu : la réforme de la pension universelle, ce glissement de l’âge de 60 à 65 ans qui, en dix jours, a ravivé les braises d’un feu social. Ce feu, loin d’être circonscrit, est aujourd’hui attisé par le retour calculé d’un duo politique que l’on croyait enterré sous les convocations judiciaires : Pravind Jugnauth et Renganaden Padayachy. L’un, dans une conférence de presse teintée de revanche. L’autre, en une interview au vitriol contre le budget 2025-2026. À eux deux, ils viennent de réactiver une machine de guerre médiatique et politique, prête à exploiter chaque faille du pouvoir en place.

Et justement, il y a faille. Ou plutôt : fracture.

La scène se lit à deux niveaux, comme une tragédie shakespearienne en trois actes. Premier acte : un Premier ministre en voyage diplomatique, acclamé à Paris, recevant les honneurs de l’Élysée pour avoir élargi l’horizon maritime de Maurice. Second acte : un pays qui tangue, désorienté par une réforme impopulaire imposée sans filet de sécurité ni pédagogie. Troisième acte : la montée en puissance de l’opposition, ragaillardie par les maladresses du pouvoir et dopée par le rejet populaire.

Ce lundi, ce n’est pas qu’un conseil des ministres. C’est un conseil de guerre ou un test d’autorité pour Ramgoolam, qui, pour la première fois depuis sa victoire électorale, doit réconcilier un discours budgétaire rationnel avec une opinion publique blessée.

La vérité ? La mesure est économiquement défendable. Moody’s, le FMI, et même certains économistes locaux l’admettent : la soutenabilité budgétaire impose des ajustements. Mais la méthode, elle, est un désastre; les experts en com, chèrement payés, ont lamentable failli à leur tâche. Aucun phasage. Aucune concertation. Aucun filet pour les travailleurs pénibles. Résultat : une population qui a le sentiment d’avoir été trahie, une majorité parlementaire qui grince, et une alliance gouvernementale qui se fissure. Quand le malaise est palpable jusqu’à Camp-Diable, c’est que l’onde de choc est profonde.

Et dans ce vide d’explication, le tandem MSM a foncé. Pravind Jugnauth d’abord, qui, à défaut de programme, a retrouvé sa voix. L’ex-PM rechausse ses gants et s’érige en protecteur de la pension à 60 ans, feignant d’oublier que, durant cinq ans, il a reculé devant la même réforme. Puis, Renganaden Padayachy, l’ancien grand argentier, qui sort de sept mois de silence pour dénoncer un «budget barbare» et un gouvernement «mythomane». Il parle chiffres, il attaque fort, il retrouve du souffle. L’homme que l’on voyait miné par les convocations de la FCC et les soupçons de malversation revient, maquillé en défenseur de la justice sociale.

Faut-il y voir une opération de blanchiment politique par saturation médiatique ? Peut-être. Mais c’est surtout une récupération habile d’un vide narratif laissé par l’Alliance du changement.

Car dans l’arène, il n’y a pas que les discours. Il y a aussi le silence. Ashok Subron, habituellement si vocal, s’est muré dans un mutisme lourd de sens depuis cette semaine. L’affaire de la NEF l’a ébranlé, et le virage budgétaire l’a isolé. Paul Bérenger, lui, donne l’image d’un chef fatigué, incapable d’incarner le cap, même s’il évite laborieusement que le navire prenne eau en l’absence du capitaine au pays. Le MMM n’est plus cette colonne vertébrale d’antan. Même Ehsan Juman, pourtant sans maroquin, semble plus lucide dans sa critique que bien des ministres en poste. Khushal Lobine, en électron libre, aiguise ses angles. Il sent le sang. Il flaire la recomposition. Pas question de rater le départ.

Ce conseil des ministres spécial est donc bien plus qu’un moment de gestion technique. C’est un révélateur d’équilibres, une scène de vérité, et peut-être le point de bascule d’un mandat qui se voulait de rupture mais qui vacille sur l’archaïsme de sa communication. Car on peut imposer des réformes, mais on ne peut pas réformer contre les gens. Encore moins sans eux.

Et pendant ce temps, le pays attend. Les retraités angoissent. Les jeunes doutent. Les classes moyennes comptent. Le climat politique se densifie, et l’opposition s’organise. En face, l’État tâtonne. Navin Ramgoolam joue gros ce lundi. Il peut rectifier, assouplir, et garder la main. Ou céder à l’inertie, et offrir à ses adversaires la légitimité populaire que seule la rue peut offrir.

Dans les démocraties instables, on ne gouverne pas seulement avec la raison, on gouverne avec du rythme, de l’écoute, du sens. C’est cela, la politique à deux fronts : tenir bon à l’international, mais ne pas perdre pied chez soi.

Maurice est à la croisée des chemins. Le budget a ouvert une brèche. La communication l’a élargie. Et maintenant, l’histoire s’écrit à nouveau – à condition que les acteurs comprennent qu’on ne gouverne pas une nation avec des comptes Excel, mais avec des convictions, du courage et une parole tenue.

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