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Quand la politique engendre des monstres en uniforme
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Quand la politique engendre des monstres en uniforme
Lilram Deal n’est ni le premier ni le dernier. Mais il est symptomatique de cette gangrène qui ronge lentement, méthodiquement notre force policière : celle d’un système perverti par des promus politiques, qui confondent loyauté envers la République avec allégeance envers un régime. Et lorsque ces agents en uniforme sentent qu’ils sont les protégés du pouvoir, ils ne servent plus la loi : ils la prennent entre leurs mains. Avec les liasses d’argent qui viennent avec.
L’affaire du Reward Money et les soupçons de détournement de Rs 240 millions révèlent bien plus qu’un simple cas de corruption. Elle expose au grand jour les dérives d’un mode de gouvernance qui récompense les hommes «sûrs», ceux qui montent dans la hiérarchie non pas par mérite ou intégrité, mais par proximité politique. Quand l’odeur du pouvoir remplace celle du service, il ne faut pas s’étonner que certains deviennent des monstres.
Le parcours de Lilram Deal n’a rien d’anodin. Ce haut gradé, dont l’arrestation par la Financial Crimes Commission provoque un mini-séisme, était bien en cour au PMO. Il figurait dans les cercles fermés, ceux qu’on salue avec une double poignée de main. Son ascension n’avait rien de technique ; elle était politique. Et comme bien d’autres avant lui, il a fini par croire qu’il était au-dessus de tout : des ordres, des règles et, surtout, de la justice.
Ce genre d’histoire ne tombe pas du ciel. Elle germe dans un terreau de complaisance et de calculs politiques. Dans un système où les nominations sont dictées par les intérêts partisans, où le vrai patron n’est pas le commissaire de police mais le ministre de l’Intérieur – ou pire encore, un conseiller de l’ombre au PMO. Dans un tel contexte, comment exiger des policiers qu’ils servent la République quand leur hiérarchie, elle-même, répond à des impératifs politiciens ?
Le cas Deal est glaçant parce qu’il jette une lumière crue sur cette architecture parallèle de pouvoir : celle des hommes de confiance, souvent intouchables, qui imposent leurs règles à l’intérieur même de l’appareil sécuritaire. Ils détournent les fonds, maquillent les opérations, sacrifient des lampistes tout en protégeant les barons du trafic. Et quand vient le temps de répondre de leurs actes, ils hurlent au complot ou activent leurs réseaux politiques.
Le système de Reward Money, censé inciter à la lutte contre le crime, est devenu une caisse noire. Au lieu de récompenser l’arrestation des véritables cerveaux, il rémunère ceux qui présentent quelques saisies, de préférence bien médiatisées, mais sans jamais remonter à la source. Et pourquoi ? Parce que dans trop de cas, la source est protégée. Par qui ? Par ceux qui font les nominations, ceux qui gèrent les budgets, ceux qui dictent les stratégies policières depuis leurs salons ministériels.
Ce modèle de gestion politicienne de la sécurité publique a échoué. Pire, il a fabriqué des fauves. Des officiers qui, se croyant bénis du pouvoir, n’ont plus peur de rien – ni des lois ni des journalistes ni de l’opinion publique. Ils s’autorisent des arrestations sans mandat, participent à des opérations musclées contre des adversaires politiques, ferment les yeux sur des abus commis par leurs propres hommes et instrumentalisent la justice.
Il faut une rupture. Et cette rupture commence par une réforme fondamentale du système de promotion policière. Tant que la loyauté au ministre primera sur la compétence ou l’intégrité, nous reproduirons le même modèle. Il faut une commission indépendante, avec des critères objectifs, transparents, validés par des civils et des juges, pour sélectionner les hauts gradés. Ce n’est qu’ainsi qu’on brisera ce lien malsain entre Casernes centrales et bureaux politiques.
Ensuite, il faut auditer, systématiquement, tous les fonds sensibles : reward money, caisses spéciales, allocations pour opérations confidentielles. Le secret professionnel ne peut plus être un paravent pour la corruption. Chaque roupie doit être traçable, chaque paiement certifié par des procédures vérifiables. L’impunité naît toujours de l’opacité.
Enfin, il faut un organe véritablement externe pour surveiller la police. Le Complaints Investigation Bureau et l’Independent Police Complaints Commission sont des coquilles vides. L’ICAC avait perdu toute crédibilité avec Navin Beekarry se comportant comme un agent politique. La FCC attend son DG – comment sera-t-il recruté ? Sans appel à candidatures, sans panel d’interview, ou avec panel d’interview où siègent épouses, copines et cousines ?
Il faut une «Police des polices», indépendante, dotée de moyens et d’un mandat clair : enquêter sur les abus, publier des rapports, recommander des sanctions. C’est un devoir de transparence envers les citoyens et un devoir d’honneur envers les vrais policiers qui, eux, continuent à servir sans compromission.
La République ne peut survivre si ceux qui doivent faire respecter la loi se croient au-dessus d’elle. Ce que l’affaire Deal nous apprend, c’est qu’une société qui laisse ses policiers aux mains des politiciens prépare, inévitablement, sa propre dérive autoritaire. Il est temps de choisir : voulons-nous une force policière au service de l’État de droit ou une milice politique en uniforme ?
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