Publicité
Interview
Professeur Philippe Froguel : «Mon objectif est de faire de Maurice le plus grand centre de médecine génomique de la région»
Par
Partager cet article
Interview
Professeur Philippe Froguel : «Mon objectif est de faire de Maurice le plus grand centre de médecine génomique de la région»

Professeur Philippe Froguel, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à Lille en France. © Beekash Roopun
Il y a 18 mois, le professeur Philippe Froguel, endocrinologue français réputé et sommité mondiale de recherche en médecine de précision, qui est aussi directeur d’une unité de recherche du CNRS à Lille en France, a été invité par la Clinique Mauricienne à faire du séquençage du génome de personnes indo-mauriciennes à risque de développer des maladies cardio-métaboliques, afin de découvrir quelles mutations génétiques pourraient les déclencher et traiter ces personnes par une médecine de précision pour leur éviter des complications plus graves. Il était de retour à Maurice à la fin avril pour partager les résultats obtenus. Le professeur Froguel souhaite obtenir le soutien du gouvernement et de l’université de Maurice pour aménager dans l’île le plus grand centre de médecine génomique de la région.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé en particulier à la population indo-mauricienne ?
Pour plusieurs raisons. Ce qu’il faut savoir c’est que pour faire de la médecine génomique des maladies cardio-métaboliques, qui est une médecine spécialisée, il faut une population relativement petite et ayant des complications du diabète, de l’obésité, avec notamment des maladies cardiaques et rénales. Et ces maladies cardio-métaboliques sont très élevées à Maurice, surtout chez les Indo-Mauriciens. Chez cette population, le syndrome métabolique entraîne un diabète précoce et souvent incontrôlable, une obésité abdominale et une pression artérielle forte. Cette population est extrêmement exposée aux maladies vasculaires et cardiaques. L’Organisation mondiale de la santé estime que la population mauricienne, très diverse génétiquement, représente 65 % de la population mondiale. En matière de médecine génomique, on peut faire à Maurice ce qu’on ne peut faire ailleurs.
Quel est le syndrome métabolique chez les autres composantes de la population ?
Chez les Caucasiens et les descendants d’Africains, on note plus de problèmes rénaux et d’hypertension avec des risques d’accident vasculaire cérébral plus élevés.
Échappe-t-on aux mutations génétiques ?
On n’y échappe pas. Chez tout le monde, il y a 50 nouvelles mutations génétiques qui apparaissent à chaque génération, en sus de celles héritées des parents. Notre travail en tant que chercheurs en médecine génomique est de mettre en coïncidence le génome, qui ne change pas, avec le style de vie, pour identifier et prévenir ce qui risque de se passer plus tard chez des personnes prédisposées génétiquement.
Il y a 18 mois, vous êtes venus à Maurice et avez emporté des prélèvements d’ADN de 80 patients indo-mauriciens. Comment les avezvous sélectionnés ?
Commençons par le début. J’ai été invité par la Clinique Mauricienne à développer une médecine personnalisée pour les maladies cardio-métaboliques que sont le diabète de type 2, l’obésité et les maladies cardiovasculaires. Mon collègue, le Dr Suren Budhan, qui est Mauricien, travaille avec moi depuis 29 ans. Ce généraliste et urgentiste de formation, ayant une longue expérience dans la génétique de l’obésité et du diabète, a exercé 15 ans à La Réunion avant de regagner Maurice pour monter une unité clinique sur les maladies cardiométaboliques à la Clinique Mauricienne. Il a récemment sélectionné 80 patients de la clinique pouvant présenter des anomalies génétiques et nous avons pris leurs échantillons d’ADN que nous avons envoyés à Lille pour un séquençage de génomes. Nous avons ensuite discuté de nos résultats génétiques avec le Dr Budhan et avons fait ce que nous faisons en France et en Belgique, c’est-à-dire des consultations avec des médecins et généticiens pour affiner les informations. Ces 80 patients de la clinique avaient des antécédents de maladies familiales et des symptômes complexes, qui ne peuvent s’expliquer que par des maladies génétiques.
Qu’indiquent les résultats de ces séquençages ?
Sur ces 80 échantillons, nous avons élucidé 15 % des mutations responsables de maladies. Et chez 30 % du reste, nous avons de très fortes suspicions. Je parle de ‘fortes suspicions’ car personne n’a jamais analysé les génomes mauriciens et donc, nous ne pouvons être sûrs, à ce stade, du rôle de ces mutations. Ce sont souvent des personnes diabétiques sous insuline mais dont la glycémie reste très mal contrôlée, malgré ce traitement. Nous avons trouvé la cause de ces mutations, qui permettra de remplacer l’insuline par de nouveaux médicaments génériques, qui sont peu coûteux et de stabiliser leur diabète, de même que faire du conseil génétique familial. Chez une femme de 34 ans en surpoids et qui présente un syndrome d’ovaires polykystiques dû à un déséquilibre hormonal et qui ne peut enfanter, nous avons trouvé le gène associé à son syndrome. Nous savons quel médicament lui donner pour la faire maigrir et traiter son syndrome d’ovaires polykystiques pour qu’elle puisse enfanter. On est dans une démarche individuelle. C’est cela la médecine de précision. On a prouvé que le circuit fonctionne. On a aussi trouvé un gène de cancer du sein chez une jeune femme vivant en Grande-Bretagne et qui est suivie de manière sérieuse car elle risque de développer un cancer du sein et des ovaires. Si elle était aux États-Unis, on lui aurait enlevé les deux seins et les ovaires. Nous, nous misons sur la médecine de précision et nous traitons autrement. On a aussi trouvé un gène qui donne un arrêt cardiaque et une mort subite. Ce qui a changé, c’est qu’il y a une vraie révolution thérapeutique pour ces maladies. On a des médicaments pour le diabète qui font maigrir, qui protègent le cœur et diminuent l’inflammation. Ils sont en train de passer en générique, notamment l’Ozempic. Le seul problème est que l’on traite les patients avec ces médicaments trop tardivement. L’idée est de définir les gens qui ont un profil important ou une cause particulière qu’on aidera à court et long termes afin de protéger leurs organes. Ce faisant, on espère qu’on pourra diminuer de moitié les complications cardiométaboliques du diabète. Chacun de ces médicaments diminue d’un tiers le risque de complications.
Vous êtes venu à Maurice pour partager le résultat de ces recherches. Quel accueil avez-vous reçu ?
Sur le plan du gouvernement, les choses n’avaient pas avancé avec l’équipe de l’ancien régime. Il y a 18 mois, j’avais rencontré l’ancien ministre de la Santé et il m’avait dit qu’on a besoin de spécialistes comme moi et qu’il m’inviterait à venir approfondir les recherches. Dix-huit mois se sont écoulés et je n’ai rien vu venir, hélas. Le gouvernement a récemment changé et cette fois, j’ai rencontré le nouveau ministre de la Santé, qui d’emblée, a déclaré qu’il n’était pas médecin et son conseiller, qui était le même sous l’ancien gouvernement, m’a dit de faire attention à l’éthique, ce que nous savons très bien. Mais qu’il ferait appel à moi. À l’issue d’une conférence où nous avons présenté nos résultats, le ministre de l’Enseignement supérieur, Kaviraj Sukon, nous a approchés et nous a dit de manière publique qu’il était intéressé, affirmant qu’il peut disposer de financements pour nous aider à mener à bien nos recherches. L’association des endocrinologues veut travailler avec nous et nous référer leurs patients pour que l’on fasse de la médecine génomique personnalisé avec eux. Les cardiologues et néphrologues sont aussi intéressés à travailler avec nous.
Cette collaboration prendra quelle forme ?
Nous avons un projet nommé Précidiab-Mauritius, Précidiab étant la contraction de précision et de diabète, que nous voulons développer à Maurice avec les endocriniens locaux sur une cohorte mauricienne de 1 000 à 1 500 personnes. Ce projet relève à la fois de la médecine personnalisée et de la recherche médicale. Le séquençage des génomes sera réalisé à Lille, au centre génomique LIGANmédecine personnalisée du CNRS, où la généticienne, le Dr Amélie Bonnefond, est directrice de laboratoire. Ce centre génomique, unique en Europe, a coûté 15 millions d’euros et emploie 30 personnes. Nous y avons tous les équipements les plus performants au monde pour faire du séquençage d’ADN du génome entier et pour en analyser les résultats de manière rapide, fiable et économique. Comme c’est une structure publique, financée par les contribuables français et européens, nos coûts sont dix fois plus faibles que les autres centres. Cela coûte uniquement 280 euros pour analyser le génome en entier et 120 euros pour analyser les 2 000 gènes humains. Les résultats arriveront à Maurice dans les trois à six mois. L’anomalie génétique sera certifiée ici par la généticienne Martine Beaufils et il y aura des consultations avec les spécialistes d’ici et des téléconférences avec nous, le tout à la Clinique Mauricienne. Martine Beaufils fera du conseil génétique avec la famille et le suivi des patients sur le long terme. Ces derniers n’auront qu’une charge minimale à payer. Ce sera possible de le faire jusqu’en 2028 sur nos crédits lillois.
Êtes-vous optimiste de pouvoir mener à bien ce projet à Maurice ?
Oui, je le suis après avoir écouté le ministre Sukon. Nous avons aussi exposé notre projet au Premier ministre (NdlR : Lui et le Dr Bhudan ont rencontré le Dr Navinchandra Ramgoolam au lendemain de cette interview, soit le 2 mai). Mon objectif final est d’en faire une activité internationale de ‘tourisme médical’, dirigée au-delà de Maurice vers les autres pays de l’océan Indien et l’Afrique. On me rapporte qu’actuellement, de riches Indiens dépensent des milliers de dollars avec des escrocs et je pense qu’à Maurice, on pourrait leur proposer en amont un conseil génétique de qualité. Je souhaite faire de Maurice le plus grand centre de médecine génomique de la région. Avec la médecine génomique, les possibilités sont multiples. On est même capable de dire l’âge des cellules d’une personne. Cela permet de connaître l’état de vieillissement de celle-ci, ce qui est souvent lié au stress, à l’inflammation. Il y a des choses à faire pour ralentir cela.
Ralentir le vieillissement permet d’allonger l’espérance de vie ?
On l’espère mais ce sera surtout qu’il permettra de vieillir sans handicap.
Pourriez-vous vous passer du soutien du gouvernement ?
Nous souhaitons l’obtenir d’un point de vue de légitimité car nous traitons avec des aspects très scientifiques, règlementaires et éthiques. On a besoin de former des universitaires et nous devrons conclure un accord entre le CNRS de Lille et l’université de Maurice pour que les choses soient gravées dans le marbre. Ce projet demandera aussi la formation de médecins à la médecine génomique et il faudra aménager une structure médicale et génétique multidisciplinaire, d’où l’intérêt d’avoir la généticienne Martine Beaufils sur place. Nous ne voulons pas que ce projet reste l’affaire de la médecine privée mais qu’il soit appliqué également dans les hôpitaux publics et bénéficie au plus grand nombre. À partir de là, il nous faudra définir un White Paper et des guidelines si l’on veut que le bras médical et celui de la recherche fonctionnent ensemble car ce domaine évolue très vite. Et pour tout cela, il nous faut la bienveillance gouvernementale et un core funding pour le centre sur place. Nous ne voulons pas être une structure clandestine. C’est sûr qu’on rencontrera de la jalousie. Et ça, on n’y peut rien. Nous voulons être soutenus par les médecins de terrain et par la population, et pour cela, il nous faut cette bienveillance gouvernementale. Ce projet bénéficiera non seulement à Maurice mais aussi au sous-continent indien.
Publicité
Les plus récents




