Publicité

Éclairage

Pension universelle : Un ajustement nécessaire face à la réalité des chiffres

18 juin 2025, 22:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Pension universelle : Un ajustement nécessaire face à la réalité des chiffres

Il est des réformes qui, aussi impopulaires soient-elles, s’imposent par la force des faits. Le relèvement progressif de l’âge d’éligibilité à la pension universelle à 65 ans, annoncé dans le Budget 2025-26, entre dans cette catégorie de mesures dictées non par la doctrine idéologique ou un quelconque désir de confrontation sociale, mais par la mathématique implacable d’un système à bout de souffle.

Les cris d’orfraie, les accusations de «trahison morale» ou de «barbarie sociale» lancées à la hâte par certains leaders syndicaux et figures politiques de l’opposition révèlent une stratégie connue : celle de faire de la résistance au changement un levier de capital politique Pourtant, derrière le tumulte se cache une réalité bien plus préoccupante : le modèle de pension universelle tel que conçu dans les années 50 n’est plus soutenable dans le contexte démographique, budgétaire et économique actuel.

Pourtant, le principe d’aligner l’âge d’éligibilité à la Basic Retirement Pension (BRP) sur l’âge légal de la retraite à 65 ans n’a rien de choquant. Dans la majorité des pays à revenu intermédiaire supérieur – dont Maurice fait partie – ou à revenu élevé, l’âge de départ à la retraite et celui du bénéfice de la pension publique de base sont progressivement harmonisés. Il est difficilement défendable qu’un individu puisse bénéficier d’une pension universelle à 60 ans tout en continuant à travailler jusqu’à 65 ans et percevoir un revenu mensuel net dépassant les Rs 200 000 dans certains cas.

Une bombe démographique à retardement

Cette anomalie structurelle, dont les bénéficiaires sont souvent issus de la fonction publique ou du secteur privé supérieur, constitue une forme d’injustice intergénérationnelle et sociale vis-à-vis des travailleurs modestes, exposés à des conditions de travail pénibles, et pour qui chaque roupie compte pour finir le mois.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait en 2021 que 18,7 % de la population mauricienne avait 60 ans ou plus. Ce chiffre devrait atteindre 36,5 % d’ici 2061, marquant une transition démographique radicale. Ce vieillissement accéléré, conjugué à une natalité déclinante – la population devrait passer de 1,2 million en 2023 à 920 000 d’ici 2063 selon Statistics Mauritius –, crée une pression budgétaire sans précédent sur le système de protection sociale.

Aujourd’hui, la BRP coûte déjà Rs 64,3 milliards à l’État, soit 72 % des dépenses de protection sociale (Rs 89 milliards). Ce montant devrait grimper à Rs 65,5 milliards en 2026-27, avant une légère baisse espérée avec l’effet de la réforme. En proportion, les bénéfices sociaux équivalent à près de 34 % des dépenses de l’État, soit quatre fois le budget de l’éducation, cinq fois celui de la santé, et bien plus que les revenus cumulés de l’impôt sur les revenus et profits (Rs 63 milliards).

Un calcul simple réalisé par les spécialistes d’Aon Solutions Ltd, dans un document de 32 pages, portant sur la problématique de la réforme de la pension universelle et rendu public hier, illustre l’urgence de la situation : une pension de Rs 15 000 par mois, versée pendant 20 ans à partir de 60 ans, représente une charge de Rs 3,9 millions par retraité. Avec environ 277 000 bénéficiaires actuels, cela signifie un engagement théorique de plus de Rs 800 milliards, un fardeau que les générations futures ne pourront supporter indéfiniment.

Le Fonds monétaire international (FMI), dans son rapport de mai 2024, avait déjà mis en garde le pays : «Reform the pension system to support sustainability as Mauritius faces declining population due to ageing.» Le document recommandait, entre autres, le relèvement de l’âge de la BRP à 65 ans, aligné sur l’espérance de vie ; la transition vers un système contributif ciblé plutôt qu’universel ; le gel temporaire des pensions CSG pour certaines tranches d’âge ; et le plafonnement de la BRP à 20 % du salaire moyen.

Mais à l’approche des élections générales de 2024, le gouvernement d’alors – dirigé par Pravind Jugnauth et son ministre des Finances Renganaden Padayachy – a refusé d’envisager la réforme, par pur calcul politique, préférant conserver les apparences plutôt que d’affronter une vérité économique inconfortable.

Il est donc particulièrement ironique de voir aujourd’hui ces mêmes acteurs politiques – ceux-là qui ont maquillé les statistiques, ignoré les recommandations internationales, et entretenu une générosité budgétaire insoutenable – se présenter comme les défenseurs du peuple contre une réforme qu’ils ont eux-mêmes rendue inévitable par leur immobilisme.

Il ne s’agit pas de nier les inquiétudes légitimes de certains groupes, notamment ceux qui exercent des métiers physiques éprouvants ou qui vivent dans la précarité. La déclaration du Premier ministre au Parlement, hier, concernant la flexibilité pour des cas spécifiques, montre une volonté de conciliation sociale (voir en page 3). Cette ouverture doit être consolidée par des mécanismes clairs, ciblés et transparents pour que la réforme demeure à la fois socialement juste et financièrement soutenable.

Mais le débat doit quitter le champ de la posture politicienne pour s’élever à celui de la responsabilité collective. Le vieillissement de la population ne se combat ni avec des promesses irréalistes ni avec des discours enflammés. Il exige une réforme structurelle de notre modèle de retraite, basée sur la solidarité active, le réalisme économique, et une projection sur le long terme.

La réforme de la pension universelle n’est ni un choix idéologique ni une volonté de sacrifier les aînés. Elle vise précisément à garantir que les générations actuelles et futures puissent continuer à bénéficier d’un filet de sécurité solide, équitable et durable. Le relèvement progressif de l’âge d’éligibilité à la pension universelle est une réforme de sauvegarde. C’est une décision douloureuse mais nécessaire, prise dans l’intérêt général. Elle exige du courage politique. Ceux qui cherchent aujourd’hui à détourner cette réforme à d’autres fins jouent un jeu dangereux. Ils ne défendent pas les retraités : ils hypothèquent l’avenir des jeunes, sapent la confiance budgétaire, et alimentent le cynisme démocratique.

Le pays mérite mieux qu’un débat pollué par la manipulation et l’amnésie sélective. Il mérite un dialogue honnête, rigoureux et tourné vers la vérité des faits. Réformer la pension, c’est ne pas attendre que la bombe explose.

Publicité