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L’hiver social d’un été electoral

23 juin 2025, 11:50

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Au lendemain de deux marches citoyennes massives, la colère monte contre une réforme jugée brutale : le report de la pension universelle de 60 à 65 ans. Le contraste est saisissant. Sept mois après une campagne électorale pleine de promesses sociales, le gouvernement impose une cure d’austérité qui frappe de plein fouet les futurs retraités. Entre espoirs déçus et sacrifices unilatéraux, le climat politique bascule du chaud au froid. Le peuple se souvient. Et il marche.

Il y a dans l’air un parfum d’insoumission. À Rose-Hill comme à Port-Louis, ce ne sont pas des foules manipulées, mais un peuple éveillé qui s’est levé. Deux marches citoyennes, deux soupirs profonds d’un même ras-le-bol. Car il faut être sourd – ou cynique – pour ne pas entendre le cri qui monte de la rue : ce n’est pas qu’une pension qu’on repousse, c’est une promesse qu’on trahit, crie-t-on.

Oui, il y avait des politiciens de l’opposition dans la foule. Ils flairent toujours les bonnes marées. Mais la colère ne venait pas d’eux. Elle venait de ceux qui, il y a sept mois à peine, votaient pour le changement total, croyant qu’un nouveau gouvernement les respecterait davantage que le précédent. On leur avait parlé d’empathie budgétaire. On leur sert aujourd’hui une réforme froide, budgétairement rationnelle, économiquement solide, financièrement soutenable, mais socialement – et politiquement – dévastatrice.

Car c’est bien là le cœur du problème : la brutalité du geste, plus que le geste lui-même. Reculer l’âge de la pension universelle à 65 ans, peut-être. Mais le faire sans avoir consulté, sans avoir préparé le terrain émotionnel, sans filet social clairement défini, c’est comme jeter un filet sans savoir où il tombe. Et surtout : le faire alors que les privilèges des puissants demeurent intacts. Là, l’injustice devient indécence. La rue l’a bien fait entendre hier.

En fin de semaine, Bernard Yen, actuaire, est venu dire sur notre plateau que cette réforme est nécessaire. Il n’a pas tort. Les chiffres sont implacables : une pension à Rs 15 000 versée à 260 000 Mauriciens dans un pays endetté à hauteur de Rs 642 milliards, ce n’est pas soutenable. Mais les chiffres, aussi éloquents soient-ils, ne remplacent pas l’éthique. La réforme ne peut s’appliquer qu’en respectant un pacte implicite entre l’État et le citoyen. Et ce pacte semble avoir été rompu.

Ceux et celles qui ont promis de changer la vie des Mauriciens en quémandant des votes pourront-ils justifier que ceux qui ont planifié leur retraite à 60 ans se retrouvent à devoir patienter cinq années de plus, sans compensation suffisante ? Comment expliquer que des ministres continuent de bénéficier de pensions à vie avant 60 ans, alors que des femmes de ménage doivent repousser leurs vieux jours ? Comment accepter que les véhicules Duty Free restent intouchables, pendant que la TVA s’étend et que l’importation d’une petite voiture neuve devient désormais un luxe ?

Le Premier ministre a eu l’intelligence politique de limoger le CEO de la COIREC après la tentative d’interdiction d’une des marches. Mais ce geste, s’il apaise les esprits sur la forme, ne résout rien sur le fond. La colère gronde, car les Mauriciens sentent, une fois encore, que les sacrifices ne sont pas équitablement répartis. Et dans un pays déjà fracturé par l’inflation, les inégalités, l’exode des jeunes et la fatigue démocratique, cette perception peut être explosive.

Ramgoolam, audacieux, a joué gros pour envoyer une onde de choc. Il a tout pris sur lui. Il a parié qu’un électorat pragmatique comprendrait la nécessité de cette réforme. Il a sous-estimé la mémoire du peuple lambda. Les Mauriciens n’ont pas oublié que le même homme leur avait promis, avant les élections, que la pension à 60 ans serait préservée, voire augmentée. Et qu’aucun mot, dans son manifeste électoral, ne mentionnait ce report. Il ne s’agit donc pas seulement de finances publiques. Il s’agit de parole donnée.

Alors que faire ? Maintenir la réforme, oui – mais l’adoucir. La rendre plus juste. Cibler les plus aisés. Échelonner les mesures. Réviser les régimes spéciaux. Mettre fin à l’impunité des hauts fonctionnaires et parlementaires, des nominés politiques, qui cumulent avantages sans fin. Et surtout : parler. Expliquer. Écouter. Car sans consentement éclairé, toute réforme devient une provocation.

Ce samedi, la rue n’a pas hurlé pour le plaisir. Elle a rappelé au pouvoir qu’un mandat n’est pas un chèque en blanc. C’est un contrat moral. Le rompre, c’est se couper de ceux qui vous ont portés au sommet.

La vraie austérité commence par soi. Et la vraie réforme commence par la justice.

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