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La République aux enfants qui ne viennent plus

5 juillet 2025, 07:21

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La République aux enfants qui ne viennent plus

Il fut un temps où la crainte principale des économistes était la surpopulation. Aujourd’hui, c’est l’enfant absent qui nous hante. Maurice, jadis île jeune et pleine d’espoirs, glisse lentement mais sûrement vers un hiver démographique qui ne dit pas son nom. Et pendant que la polémique sur la pension universelle, non-contributive, à 65 ans occupe micros, meetings et marches citoyennes, une autre réalité, plus sourde, plus insidieuse, est en train de fissurer les fondements de notre avenir : notre taux de fertilité est tombé depuis quelques années déjà à 1,4 (alors que le taux de remplacement est à 2,1). Et personne n’a encore osé en faire un véritable enjeu politique.

La population mauricienne vieillit. Ce n’est pas une figure de style, c’est un fait statistique, mathématique, économique, et bientôt électoral. Dans moins de trois ans, 20 % des Mauriciens auront plus de 65 ans. Et dans 25 ans, un tiers du pays sera composé de seniors. Le modèle économique qui nous a fait tenir jusqu’ici – fondé sur une main-d’œuvre jeune, disponible et peu coûteuse – est en train de s’effondrer en silence. Pourtant, le discours dominant reste focalisé sur le relèvement de l’âge de la pension. Erreur stratégique. Car repousser l’âge de départ à la retraite sans s’attaquer à la racine du problème – le déficit de naissances – revient à repousser l’inévitable. Plus de travailleurs, oui. Mais lesquels ? Ils ne sont pas nés.

Pourquoi fait-on moins d’enfants à Maurice ? La réponse tient en une équation redoutable : coût de la vie + précarité + absence de politique familiale volontariste = effondrement de la natalité. Le logement est inaccessible. La vie chère s’invite dans les berceaux. Et les jeunes couples, souvent coincés entre un emploi instable, une éducation hors de prix et l’absence d’un filet social adapté, choisissent d’attendre. Ou de renoncer. L’enfant, doux rêve d’hier, devient aujourd’hui une charge financière que beaucoup ne peuvent plus porter. Le choix de ne pas enfanter n’est pas idéologique. Il est économique.

Ce n’est pas une fatalité. Mais cela nécessite un changement de paradigme. Dans un pays où l’on accorde des milliards à la pension universelle sans jamais poser la question du ciblage ou du mérite contributif, il est paradoxal de constater l’absence totale d’un vrai plan de natalité. Pas un mot dans le Budget, pas une ligne dans les priorités stratégiques. Pourtant, ailleurs, des pays plus riches et plus prévoyants s’alarment. La Corée du Sud, le Japon, la France : tous tentent, avec plus ou moins de succès, de relancer la natalité par des incitations fiscales, des politiques de soutien à la parentalité, ou encore des congés parentaux renforcés. À Maurice ? Silence radio.

Le paradoxe est cruel : pendant qu’on s’angoisse sur les milliards que coûteront les retraités de demain, on oublie que leur survie économique dépend des enfants que nous ne faisons pas aujourd’hui. Car c’est cela, l’équation la plus brutale de notre temps : sans cotisants, pas de pensions. Sans jeunes actifs, pas de croissance. Sans relève, pas de nation viable. Nous avons trop longtemps cru que les chiffres du passé garantiraient le confort du futur. Le vieillissement de Maurice n’est pas une question morale. C’est une urgence politique, sociale et économique.

Il faut donc changer de cap. Il ne s’agit pas d’imposer des enfants à ceux qui n’en veulent pas. Il s’agit de redonner envie. De créer un pays où avoir un enfant ne relève pas du sacrifice, mais du projet de vie. Cela commence par le logement, l’éducation, la garde d’enfants. Cela passe par des crèches publiques, des congés parentaux élargis, un soutien direct aux familles. Et cela se prolonge par une réflexion sur l’intégration intelligente des migrants, seule variable démographique capable de redonner du souffle au pays à court terme.

La natalité n’est pas un sujet sexy. Elle n’offre ni slogans faciles, ni victoire électorale immédiate. Mais elle est le cœur battant de tout pays qui veut durer. À force de ne pas en parler, on s’est installés dans une fiction démographique. Or, ce que montrent les chiffres, c’est qu’il n’y a pas d’avenir sans enfants. Il ne suffit pas de repousser la pension à 65 ans. Il faut donner une raison de croire à ceux qui auront, demain, la lourde charge de financer notre vieillesse.

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La République aux enfants que l’on n’écoute plus

Ils sont là, invisibles mais pressants. Les jeunes que Rivaltz Quenette appelait à l’intelligence de l’histoire et que notre époque regarde comme une statistique démographique en berne. Les enfants que nous n’avons pas su faire venir - et ceux que nous avons mais n’écoutons pas. Deux absences. Deux tragédies. Une même incapacité politique à penser demain.

Dans «L’Escale», Rivaltz écrivait en visionnaire. Il plaidait pour une jeunesse formée, forte, libre, émancipée du carcan des patronages idéologiques, capable d’aimer sa terre, sans tomber dans les filets des factions. Il dénonçait, bien avant l’heure, le fanatisme en gestation et la confiscation du discours citoyen par ceux qui font du pouvoir une rente. Il appelait à des clubs jeunes mais désintéressés, à une mémoire historique partagée, à un projet national tissé d’abnégation. Il rêvait la nation. Nous l’avons administrée. Il espérait. Nous gérons.

Ce que Rivaltz redoutait - il est parti depuis bientôt dix ans - la dissolution des noyaux sous l’emprise d’influences secondaires, l’infiltration de logiques partisanes dans les cercles de jeunesse - s’est confirmé avec une précision glaçante. Au lieu de former une citoyenneté active, l’appareil éducatif a trop souvent accouché d’une jeunesse dépolitisée ou sur-idéologisée, oscillant entre rejet global et adhésion aveugle. Rivaltz aurait été atterré de voir cette jeunesse instrumentalisée à coups de TikTok électoraux et d’allocations en période préélectorale.

Et pourtant, son espoir n’a pas vieilli. Car dans le silence assourdissant de nos débats politiques - où la démographie est un chiffre et non une tragédie humaine - son appel à une jeunesse formée à l’histoire du pays, respectueuse de la diversité, reste la boussole qu’on n’a jamais osé suivre.

Aujourd’hui, les deux crises - celle de la natalité et celle de la représentation - se croisent et se renforcent. Comme on l’écrivait dans Politico, la semaine dernière, «Le paradoxe est cruel : pendant que l’on s’angoisse sur les milliards que coûteront les retraités de demain, on oublie que leur survie économique dépend des enfants que nous ne faisons pas aujourd’hui.» Il faut y ajouter ceci : la qualité de notre démocratie dépend de ces jeunes que nous n’éduquons plus à la citoyenneté, que nous n’accompagnons plus dans l’intelligence de l’État, que nous ne préparons plus à l’exercice de la contradiction libre.

Car la République aux enfants qui ne viennent plus est aussi la République des enfants que l’on n’écoute plus. Ceux que l’on assigne au silence au nom de leur jeunesse ou que l’on manipule pour faire nombre dans les meetings. On leur parle de patriotisme mais on ne leur donne ni la parole ni la mémoire ni l’envie.

La voix de Rivaltz résonne comme un appel resté sans réponse : «Se servir des hommes de demain pour faire du progrès une réplique du passé, c’est se préparer au fanatisme, une génération faite pour l’exemple du monde.» Il ne croyait pas en une jeunesse docile. Il croyait en une jeunesse éclairée, autonome, nourrie par la complexité de son histoire. Il voulait que chaque jeune se tienne droit, dans le vent des influences, parce qu’il connaît le sol sur lequel il marche.

Nous devons maintenant relier ses mots à notre politique. Cesser de penser le vieillissement comme un enjeu budgétaire et commencer à le penser comme un échec éducatif. Cesser d’opposer les générations et renouer les liens de mémoire et de projet. Cesser de faire de la jeunesse un corps à enrôler et en faire, enfin, la conscience critique du pays.

Cela suppose une révolution silencieuse : remettre l’histoire, la citoyenneté, le débat, l’écoute, la contradiction, la pluralité, au cœur de la formation. Cela suppose aussi que l’État cesse d’avoir peur de sa jeunesse - car une jeunesse que l’on écoute est une jeunesse qui n’explose pas.

On ne redonnera pas le goût d’avoir des enfants dans un pays où l’avenir fait peur. On ne fera pas émerger une élite politique intègre dans un pays où l’engagement est synonyme de compromission. Mais si on revient à l’idéal de Rivaltz - une jeunesse forte, lucide, généreuse - alors la République aux enfants qui ne viennent plus pourra devenir la République aux enfants que l’on prépare enfin à grandir. Et à gouverner.

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