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De Missie Moustass à Mr Algorithm
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De Missie Moustass à Mr Algorithm

Moment de silence gêné à l’Assemblée nationale jeudi soir, quand le Premier ministre a esquivé la question sur le logiciel, apparemment destiné aux téléphones portables, acquis par le PMO. Le voile reste tiré sur le nom, les capacités, les fournisseurs et surtout l’usage réel de ce «software».
Dans une démocratie fragilisée par les réseaux, les rumeurs, les algorithmes et les ambitions, le vrai pouvoir ne passe plus uniquement par le suffrage universel. Il passe par la capacité d’écouter, de capter, de manipuler, de dissimuler. Missie Moustass n’est peut-être plus là, mais il erre toujours, et l’écosystème qui a permis son heure de gloire préélectorale, ses écoutes illégales, ses fuites savamment orchestrées, lui, n’a jamais été véritablement démantelé. Il s’est simplement adapté. Il s’est modernisé, sans doute. Il s’est silencieusement institutionnalisé, et on n’en parle plus. Le sujet est presque tabou.
Aujourd’hui, en 2025, il ne suffit plus de parler de libertés publiques. Il faut parler de ce qui les altère. Des technologies numériques, dites participatives, qui horizontalisent l’expression mais verticalisent le contrôle. Des plateformes sociales qui prétendent nous libérer, mais organisent notre captivité algorithmique. De l’intelligence artificielle (IA) qui offre des réponses en un clic, mais pourrait priver chacun de l’effort de penser, de douter, de confronter.
En surface, les promesses sont séduisantes. L’IA peut rendre le service public plus réactif. Les agents conversationnels fluidifient le lien entre citoyens et administrations. Les mégadonnées promettent une meilleure allocation des ressources. Mais derrière ces slogans se cache une vérité plus sombre : la technologie, au lieu de renforcer le débat démocratique, peut aussi le court-circuiter. Elle peut automatiser les biais, amplifier les mensonges, effacer les voix discordantes. Et, entre de mauvaises mains, elle peut espionner, surveiller, réprimer.
Maurice n’est pas à l’abri. Nous avons connu un commissaire de police muet face à la presse, une institution parlementaire où les questions restent sans réponse, avec un speaker-bully. L’héritage de Missie Moustass, ce n’est pas qu’un individu. C’est un système, souvent niché au cœur de l’État. Une culture du secret. Une zone grise institutionnalisée, entre sécurité d’État et espionnage politique.
L’autre versant de cette nouvelle ère, c’est la prolifération des fuites. Documents partiels, enregistrements montés, captures d’écran sorties d’un contexte flou, circulant à vitesse virale. La presse, souvent, se retrouve au cœur du cyclone. Parfois malgré elle. Parfois avec elle.
Car il faut le dire sans ambages : les journalistes ne sont pas forcément des saints. Et les lanceurs d’alerte, pas toujours des héros. Certains fuient avec courage ; d’autres avec vengeance. Certains dénoncent pour défendre l’intérêt général ; d’autres pour régler des comptes ou survivre politiquement. Mais dans une époque où les récits se construisent avant même la vérification des faits, où les titres sont posés avant la moindre enquête, où les charges provisoires n’ont pas disparu, le risque est immense. Celui de devenir les idiots utiles d’une machination. Celui de confondre information et manipulation. Le terrain est de plus en plus miné, plus subtil. Les récits arrivent déjà emballés, montés, titrés, prêts à être diffusés. Il faut alors avoir la lucidité de les voir pour ce qu’ils sont : des matériaux bruts, pas des vérités.
Dans l’ère post-Moustass, il ne s’agit pas seulement de publier ; il s’agit de vérifier. D’authentifier. De contextualiser. De questionner les motivations, les intérêts, les manipulations. Et de le faire tout en protégeant les sources – avec des outils cryptés, des protocoles sécurisés, une rigueur de chaque instant.
Cela ne se fait pas sans douleur. Il y a la solitude du journaliste face à une source fragile, parfois instable psychologiquement. Il y a les menaces judiciaires, les convocations nocturnes, les descentes d’agents zélés. Il y a surtout cette sensation de marcher sur un fil, entre service public et instrumentalisation. Mais c’est cela, le vrai métier. Pas la publication précipitée d’un scoop au goût de revanche. Pas la complaisance envers des intérêts partisans. Encore moins la facilité de devenir le relais d’un agenda opaque.
Nous devons faire mieux. Redéfinir notre rapport à la technologie. Redéfinir notre rapport à l’information. Dans un monde où tout circule trop vite, où le vrai et le faux se confondent, il nous faut ralentir. Revenir à l’essentiel. Au discernement. À l’éthique. Ne pas céder à la dictature de la viralité. Ne pas confondre transparence et voyeurisme. Ne pas croire que l’IA remplacera un jour le sens critique humain.
La démocratie n’est pas qu’un logiciel. Elle est un processus. Un effort. Une vigilance constante. Et aujourd’hui, elle a besoin que les journalistes, les citoyens, les institutions, s’accordent pour dire non aux abus. Non à la surveillance sans contre-pouvoir. Non aux algorithmes qui effacent la diversité des voix. Non aux récits prémâchés que l’on sert à un public fatigué de douter.
Missie Moustass est peut-être tombé dans l’obscurité. Mais son fantôme rôde encore. Il plane dans les arcanes du PMO, des Casernes centrales, de Mauritius Telecom, et dans le giron du pouvoir. Dans le mutisme des autorités. Dans les serveurs dont personne ne contrôle l’usage. Dans les archives numériques qu’on ne pourra jamais totalement effacer.
Nous sommes à un tournant. Soit nous reprenons la main, en tant que société civile, médias, universitaires, juges, parlementaires. Soit nous acceptons de vivre dans une illusion de démocratie, contrôlée par quelques lignes de code, quelques opérateurs invisibles, quelques intelligences artificielles calibrées pour la distraction et l’oubli.
L’ère post-Missie Moustass peut être celle du réveil. Ou celle de la résignation numérique. À nous de choisir.
***
Une compatriote qui observe Maurice depuis la côte Est des États-Unis pose, en page 17, la question qui dérange : Maurice peut-elle devenir une “Silicon Island” ? Dans une analyse percutante, Fanishka Sookharee décrypte ce moment charnière où notre modèle économique vacille sous les coups de l’automatisation. Nos emplois offshore, nos fonctions administratives, nos centres d’appel – tout cela peut être remplacé par des algorithmes. Le Budget 2025-2026 affiche des intentions louables : un centre national d’IA, des investissements en cybersécurité et des cours d’intelligence artificielle à l’école. Mais avec seulement Rs 19 par habitant allouées à l’IA, on est loin du choc technologique qu’exige la révolution en cours.
Face à Singapour, l’Inde ou Lagos, qui injectent des milliards et structurent de véritables écosystèmes tech, Maurice joue petit bras. Et pourtant, tout n’est pas perdu. Notre crédibilité en matière de conformité, notre positionnement stratégique, nos talents multilingues sont des leviers puissants. Encore faut-il s’en servir autrement que pour faire du back-office. La promesse, selon Sookharee, c’est de passer de l’exécution à l’innovation : produire nos propres solutions regtech, exporter nos outils de conformité automatisée, et créer de vrais produits numériques mauriciens. Si on tarde, d’autres le feront. Dans le monde de l’intelligence artificielle, l’avantage n’est pas à ceux qui rêvent, mais à ceux qui bougent.
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