Publicité

Journée internationale

Destins de femmes ∣ La dure vie d’Ivy

10 mars 2024, 20:03

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Destins de femmes  ∣  La dure vie d’Ivy

Le vendredi 8 mars, on célébrait la Journée internationale des droits des femmes. L’occasion, à travers cette galerie comprenant quelques portraits, de rendre hommage à celles qui se battent au quotidien, celles qui traversent des obstacles, qui balaient les échecs d’un revers de la main entre des larmes, à coups de courage et de persévérance. Celles qui changent en toute discrétion la vie des autres, celles qui ont des rêves, des ambitions, celles qui montent au créneau pour défendre les injustices. Des citoyennes lambda qui n’ont pas l’habitude d’être sous les projecteurs mais qui portent en elle cette lumière si particulière.

«Mo bolom inn kit mwa. Asterla, mo pé pass mizer», pleure Ivy Soopramanien. Aujourd’hui, elle a du mal à faire face aux duretés que lui réserve la vie seule. Ses journées, elle les passe assise sur son fauteuil. «Péna fon sa sofa-la. Mé mo péna lot» dit-elle, résignée. Elle n’attend plus rien de la vie, si ce n’est qu’un peu de confort qu’elle ne voit pas venir malgré ses appels répétés…

Cette Chagossienne, âgée de 75 ans, habite à Agaléga depuis qu’elle a 26 ans. Nous l’avons rencontrée lors de notre visite sur place la semaine dernière. Ivy vit dans une petite maison en tôle qui la protège à peine. «Kan sa lapli-la tonbé, li fwété. Partou andan mouyé.» Son visage est rongé par les obstacles qu’elle a dû affronter. Récemment, c’est la pluie qui lui a compliqué la vie. «Mo larmwar inn mouyé inn bizin zété. Enn matla resor inn zété. Mo lili inn gagn mwazi, mo garson inn bizin graté. Enn gro télévizion lontan-la, sa si inn bizin zété» dit-elle. À un moment, elle dormait sur une couverture, jusqu’à ce que son fils lui obtienne un vieux matelas pour lui apporter un peu de réconfort. Lui dort désormais par terre dans la même maison pour veiller sur sa mère. Sa maison à lui, juste à côté, est dans un état tout aussi piteux.

À un moment, elle s’était tournée vers les autorités. Mais rien n’y fait. C’est son fils qui a dû se débrouiller pour qu’elle ait de l’électricité chez elle. Sinon, c’était à la lumière de «lalanp delwil koko» qu’elle vivait le soir. Chez elle, la salle de bain et les toilettes sont à l’extérieur, ce qui n’est pas commode pour une dame de son âge, qui de plus, souffre de ses pieds. Certes, «bann-la» lui avaient promis ces commodités. Dans une des pièces de la bicoque en tôle, un sol en béton a été construit pour accommoder des toilettes et une douche. Mais depuis, ce sol n’a pas évolué. Aujourd’hui encore, ce n’est que du béton, sans rien. Aujourd’hui encore, Ivy confie, la voix lourde de désespoir, qu’elle doit prendre sa douche dehors. Pas évident pour «enn gran dimounn», surtout lorsqu’il fait chaud et que dehors, il faut tout finir avant la tombée de la nuit.

Mais sa vie n’a pas toujours été ainsi. Ivy laisse échapper des larmes lorsqu’elle repense aux jours heureux. Ces moments où son mari, Rajen Soopramanien, était toujours de ce monde. Cela fera bientôt deux ans qu’il est parti et depuis, elle ne s’en est pas remise. Au fil de la conversation, elle revient toujours sur la relation fusionnelle qui les unissait. Lui était tailleur, elle couturière. Et ils travaillaient aussi pour l’Outer Island Development Corporation. Elle faisait tout : dénoyauter les cocos, du nettoyage, surveiller les petits à la crèche. Ils ne roulaient pas sur l’or, mais pouvaient compter l’un sur l’autre. C’était suffisant.

lexp - 2024-03-10T200324.496.jpg Des fois, ils partaient à la pêche. «Li dir mwa, ‘bolfam, fer inpe gato nou ale lapess’.» Lui pêchait pour manger, elle lui tenait compagnie. Ivy se souvient aussi de ces moments car ses gâteaux étaient appréciés de tous. Même des policiers. «Zot ti pé dir mwa fer gato améné kan péna dipin. Zot ti bien kontan nou…» Elle se souvient encore de leur jeunesse. Elle a quitté l’archipel des Chagos en 1968 lors de l’expulsion des habitants. À l’époque, elle, jeune et belle, faisait déjà chavirer les coeurs. «Ti éna garson ti kontan mwa, inn suiv mwa inn vinn Moris. Mé mo pann lé.» C’est à Maurice qu’elle a rencontré Rajen Soopramanien. «Nou finn zwenn impé dan tar.» Ils ont décidé de s’installer ensemble à Agaléga. Mais elle a fait plusieurs allers-retours à Maurice. Mais ça, c’était dans le temps. La dernière fois qu’elle a mis les pieds sur le mainland c’était avant ses 60 ans.

Puis, son époux a commencé à s’affaiblir. Elle ne savait pas qu’il était malade, mais il y avait des signes. Une fois, il a dû être hospitalisé. «Linn dir mwa li anvi alé avan mwa. Si mwa mo alé avan, li pou pran pli traka.» Face à l’état de santé de son mari qui se dégrade, Ivy décide finalement de franchir le pas et de l’épouser. «Monn al get maser. Monn fer batiz li, mem li gran. Lerla nounn maryé.» Très peu de temps après, il décède. Son visage s’illumine lorsqu’elle tente de fouiller sur son portable pour chercher les photos du mariage. Mais la technologie ne lui est pas familière. De ce portable qu’elle a reçu en cadeau, elle ne sait chercher que les cantiques qu’elle écoute à longueur de journée. Avec un peu d’aide, elle retrouve finalement la photo. Elle était encore une femme en pleine forme et joviale à cette époque, il y a environ trois ans. Peu après, son époux est mort dans ses bras. De lui, il ne reste plus qu’une table en bois qu’il avait construite et qu’elle a pu sauver des eaux.

Assise sur son canapé à l’entrée de sa maison, elle pense à ces jours passés qui ne reviendront pas. À sa robe de mariage confectionnée par son mari. «Dépi li ti la li ti démann enn lakaz. Mé li pann ganyé. Inn dir li akoz li ti volonter.» Elle en a aussi fait la demande, en vain. La maison en tôle où elle est actuellement, est invivable, ne cesse-t-elle de répéter. «Krab, léra, sat tou rantré dan sa lakwizinn-la.» Mais le plus urgent en ce moment, c’est l’argent de son mari. Il en avait sur un compte à la poste et elle a toutes les peines du monde à le récupérer car à son âge, elle ne peut se déplacer à Maurice. Et malgré les demandes et les documents remis, elle n’est pas parvenue à faire les démarches à travers les autorités. Elle attend toujours de voir la lumière au bout de ce tunnel, car sans son mari, les fins de mois sont quelque peu difficiles. S’installer à Maurice avec sa fille n’est pas une option. «Linn dir mwa isi li bien. Kapav lapess, kapav bwar koko. Mé Moris, pa pou kapav. Li pou zis asizé, pou pli strésé.»

Son rêve le plus cher ? Retourner aux Chagos, vivre comme autrefois et ne plus quitter sa terre natale.