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Nita Deerpalsing: «Ena touzour létan pou ki pa bizin swazir ant lapest ek koléra»

12 mars 2023, 18:00

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Nita Deerpalsing: «Ena touzour létan pou ki pa bizin swazir ant lapest ek koléra»

Le nom de notre invitée ne laisse pas insensible. Alors que des députés vont et viennent et sombrent dans l’oubli, Nita Deerpalsing a marqué ses deux mandats à sa façon. Loin du tumulte local, elle travaille aujourd’hui pour l’ONU. Son titre est aussi long qu’éloquent : directrice de la division des publications, des conférences, des communications, des services informatiques et de la gestion du savoir de la Commission économique pour l’Afrique. Basée à Addis-Abeba, où ses fonctions lui imposent une certaine retenue politique, elle prend le risque de jeter un regard critique sur les affaires du pays tout en restant politiquement correcte.

Depuis les élections de 2014, on vous a peu vue. De là où vous êtes, vous suivez toujours l’actualité mauricienne ?
Oh que oui. Quand j’étais étudiante au Canada, il n’y avait pas toute l’infrastructure technologique et les médias en ligne, etc. Je demandais à ma mère chaque vendredi de compiler des coupures de journaux et de me les envoyer. Vous devinez qu’aujourd’hui je suis de très près tout ce qui se passe dans notre pays.

Qu’est-ce que ça fait de lire, de loin, le traitement de la politique par les journaux quand on sait que vous étiez une politicienne très active et très en vue ; que vous aviez parfois des relations tendues avec certains titres? Je suis tombé sur une interview de vous dans «Mauritius Times» où vous critiquiez La Sentinelle.
Déjà le fait que je ne suis pas à Maurice et que j’ai pris des responsabilités professionnelles hors de Maurice, en Afrique du Sud, en France, puis en Ethiopie aujourd’hui, ça me donne du recul. Le recul nous permet d’autres angles de vues. Au sujet de mes relations avec certains titres et publications, je ne les qualifierai pas de tendues. Disons que j’étais dans un rôle d’agency. Ce n’était pas qu’avec la presse. J’étais en très mauvais termes avec ces associations qu’on appelle «socioculturelles». J’ai souvent pris position contre des dysfonctionnements. Mwa dan mo kafé pena triyaz. J’ai toujours essayé de dénoncer ce qui allait à l’encontre de la construction du bien commun. Avec le recul, quand je pense à, ou que je relis, certains de mes propos, je trouve que j’ai manqué un peu de sagesse. (On l’entend sourire).

Vous l’expliquez par le feu de l’action? La passion politique ?
(D’un ton désinvolte). Je pense que c’est surtout la forme. J’ai un peu vieilli. Ce n’est donc pas juste le recul de la distance de Maurice. C’est certes facile d’être wise with hindsight. Si c’était à refaire, je changerai peut-être la forme. Mais pas le fond. Dans le fond, je suis la même personne. Dans la forme, disons qu’aujourd’hui je prends plus le temps de m’accorder une vue d’ensemble plutôt que d’agir dans le moment.

Je prends le temps de brosser ce tableau parce qu’on connaît votre grande bouche – pour ne pas dire autre chose – et on espère pour les besoins de cet entretien que vous n’avez rien perdu de cela, même si vos fonctions aujourd’hui vous imposent un langage politiquement correct ?
Définitivement.

Vous avez parlé de dysfonctionnements. Vous êtes Mauricienne, directrice d’une division d’une importante instance de l’ONU, la commission économique pour l’Afrique. De là, que voyez-vous comme premier et plus important dysfonctionnement à Maurice ?
Je dirai que c’est le fait qu’on soit très, très loin d’une citizenship commune. Voyez une des actualités du moment, la chanson entonnée dans un collège. On doit certes décrier. Mais prenons un peu de hauteur. Que va-t-il se passer ? Ça fait du bruit, ça fait parler, et puis peu à peu, chacun reprendra sa petite route. Or, quel est l’enseignement que moi j’en tire ? Je trouve que cela démontre que depuis plusieurs décennies, nous avons délaissé le chemin de l’empathie et du lien commun. Je note avec beaucoup d’inquiétude que les liens sociaux s’effritent. Je ne suis pas de ceux qui se lamentent de «létan lontan ti méyér», mais, il y a 30 ans, nous avions beaucoup plus de liens communs. Ces récents événements ne se produisent pas dans un vacuum. C’est un écosystème qui se dégrade. L’économie en fait aussi partie. Un autre dysfonctionnement majeur que je note de l’étranger, c’est la dépréciation de la roupie face au dollar. Je viens de publier un tableau sur Facebook. Ajoutez-y le fait que le taux d’emprunt est resté particulièrement élevé à Maurice. Donc notre pouvoir d’achat a connu une érosion constante creusant l’écart entre riches et pauvres…

(On l’interrompt) Restons si vous permettez sur la chanson-polémique chantée par des étudiants du RCC. Diriez-vous que «the failure to introduce ‘secular state’ in our constitution» a contribué à cet incident ? (NdlR : elle avait présenté une motion au Parlement pour que Maurice soit décrite dans la constitution comme un état «secular»).
Ce n’est pas aussi simple. C’est beaucoup plus complexe. Mais j’insiste que le point de départ doit être l’empathie. J’avais proposé quand j’étais députée qu’on introduise dans les écoles, un programme intitulé Roots of empathy. Ma proposition est tombée dans les oreilles de beaucoup de sourds. J’ai plusieurs fois posé cette question parlementaire. Je n’ai obtenu que des réponses anodines, préparées par un adviser quelconque. Après l’empathie, un écosystème social ne peut fonctionner que s’il est rule-based. Quand les règles diffèrent d’un citoyen à un autre; quand l’empathie n’est pas enseignée et transmise, il n’y a plus d’équilibre. Dans une société, chacun doit avoir un sens de dignité humaine. Or, je ne constate pas cela. Donc…

(On l’interrompt). Le fait que cet incident se soit produit au RCC – la crème de la crème de l’élite éducative – trahit-il la profondeur du problème ?
Absolument. Et ne soyons pas binaire dans notre analyse. Il faut décrier, mais n’ayons pas de réactions de l’autre extrême. Je trouve regrettable et inutile que certains aillent porter plainte. Vous vous souvenez du sketch de ce Monsieur qui imitait un pilote d’Air India? Pareil, certains avaient porté plainte et le pauvre Monsieur, je crois, avait été arrêté. C’est regrettable. Je comprends que certains se sont sentis offensés, tout comme aujourd’hui. La question est, que faisons-nous dans de telles situations ? Doit-on appliquer la répression ou trouver un chemin pour être tous ensemble ? Je ne demande pas qu’on se voile la face. Au contraire, il faudrait concéder que c’est un problème historique et profond. Mais une société doit avancer. Porter plainte ne mène à rien. J’ai vu quelqu’un partager un témoignage que dans un lycée, le «n word» est utilisé pour décrire les personnes de cette communauté. C’est une autre institution d’élite. La société doit décrier, mais elle n’avance pas et ne touche pas à la profondeur du problème si l’empathie n’est pas inculquée dès le plus jeune âge.

Beaucoup de Mauriciens pensent que ce système ne va pas changer car il est pratiqué par le leadership politique via ses relations incestueuses avec les sociocuturels ; puis sa façon de diviser le pays en cloisons ethniques pour se maintenir, ou accéder, au pouvoir. Même la constitution nous divise. On est donc résigné à accepter que rien ne va changer.
Je ne crois pas qu’il faudrait être résigné. Je comprends ce que vous dites. Même dans ma famille et parmi mes amis, il existe ce sentiment d’impuissance ki zafer la pé glissé pé alé mém ek nou pa pé kapav fer narien. Mais nous avons tous une certaine forme d’agency. Il faudra l’exiger de notre leadership. Je pense qu’un des fondements du problème est le leadership. Il n’y a malheureusement pas de leadership éclairé à Maurice depuis plusieurs décennies. Je considère Manilall Doctor, les frères Bissoondoyal, Anquetil, Rozemont, SSR, Gaëtan Duval, comme des leaders éclairés. Hélas, nos leaders ne sont plus dans cette ligue. Parce que…

(On l’interrompt). Vous êtes ingrate. Il y a eu un leader qui vous a permis d’être députée à deux reprises. C’est de l’ingratitude vis-à-vis de Ramgoolam.
Non ce n’est pas de l’ingratitude. Et il faudrait cesser avec cette mentalité de dire que tél dimounn inn donn nou tel zafer. Je crois fermement que chacun a son destin. J’ai eu l’opportunité. Je ne le nie pas. Mais j’ai fait mon parcours aussi. Je ne voudrais pas personnaliser les débats. Je fais un constat froidement. Permettez que je place ce sujet-là dans un cadre qui m’est cher. J’ai grandi dans cette culture et je vais vous le dire. Dans les textes védiques, il y a trois formes d’état de la personne. Il y a le mode sattvique, rajassique et tamassique et je pense que c’est universel. J’exprime juste mon point de vue. Cela veut dire que l’être humain a des défauts et propensions naturels aux dysfonctionnements. Le rôle d’un leader éclairé est de ne pas se soumettre aux dysfonctionnements de l’écosystème. Un exemple : les baz dans une campagne sont un gros dysfonctionnement de l’écosystème. La corruption commence là. Je ne cible pas ceux qui «travaillent» dans ces baz. On les a à tort accusés d’être des rodér bout. Or, c’est simplement le résultat d’une très grande inégalité économique. Car ces baz fonctionnent avec de l’argent. D’où vient cet argent ? De gros bailleurs de fonds! Voilà pourquoi depuis le début, je vous demande de ne pas être binaire dans votre analyse. Il faut froidement concéder l’existence d’un cercle vicieux. Mais quel leader éclairé va arrêter cela ?

Voilà justement une autre raison de se résigner et d’abdiquer. Des Mauriciens vous diront que si l’élite économique finance ce système, nous n’y pouvons rien. L’élite politique protège ce système en refusant d’aborder légalement la question du financement des partis politiques. Les propositions de Rezistans ek Alternativ en ce sens sont restées vaines depuis 20 ans !
C’est pour cela qu’il nous faut des leaders éclairés…

Une volonté franche et réelle de justice sociale et d’égalité ralliera ‘de facto’ la population.

Mé péna li. Vous me parlez d’une utopie. Les forces économiques et politiques qui font perdurer ce système sont résilientes. Je ne vous entends pas parler d’une solution pour y arriver. Voilà pourquoi beaucoup de Mauriciens ont abdiqué.
Ce n’est pas une utopie ! C’est possible et réalisable. Abdiquer n’est pas une option. L’histoire de la civilisation humaine est marquée par des renversements qui étaient, sur le papier, impossibles. Vous m’avez parlé de Rezistans. J’ai récemment vu une de leurs conférences de presse où ils révèlent qu’au sujet des subventions accordées par l’État aux gros conglomérats et autres, 80 % de cet argent n’ont pas été remboursés et en même temps ces mêmes compagnies ont déclaré des superprofits et payer même des dividendes. Je suis encore plus choquée que ce sujet n’est pas repris dans les discours politiques. Je ne sais pas à quel point le constat de Rezistans est factuel. Je n’ai pas vérifié. Mais si c’est vrai, on est en train de socialize the risk and privatize the profits. Vous êtes en train de me dire qu’arrêter cela relève d’une utopie ? Je ne suis pas d’accord. Il s’agit d’un devoir pour une société plus juste.

Mais ça ne tombera pas du ciel. Le progrès de l’humanité a toujours été forcé par un petit groupe de personnes qui ont eu l’agency pour changer les choses. Que ce soit l’apartheid en Afrique du Sud, le mouvement des civil rights aux Etats-Unis, tout commence par un groupe de personnes qui a décrié. Nous n’avons pas le droit d’abdiquer. Ce qui m’attriste encore plus, c’est que certains leaders se comportent comme des followers. J’ai vu récemment des dirigeants d’un nouveau parti dire : «Nou bizin gété ki lépép oulé». Eoula ! Sorry ! La politique n’est pas sa ki lépép oulé. La politique n’est pas un produit de marketing. La politique, c’est des idées, la vision d’un avenir que vous voulez créer. Ce n’est pas un produit de marketing où on sonde les goûts du public, qu’on emballe le produit et qu’on formule un manifeste électoral avec un packaging vendeur. Sori ! C’est du marchandage, pas de la politique.

Qu’importe. Marchandage ou pas, avec des leaders éclairés ou pas, le Mauricien devra voter en 2024 pour tenter de sortir de la morosité politique, économique et sociale. Selon quels critères, selon vous, devrait-il exercer son choix?
L’humanité s’est toujours tournée vers la personne porteuse de cette énergie sattvique dont je vous ai parlé. De Mandela à Gandhi en passant par Martin Luther King, ces gens-là avaient cette énergie sattvique. Le peuple a vu que ces gens-là étaient fortement imprégnés d’un désir de ramener la dignité humaine et l’égalité des droits. Voilà pourquoi il faut multiplier les propositions…

(On l’interrompt) Il y a déjà une multitude d’opposants qui vont diviser les votes contre le pouvoir actuel!
Vous voyez, je ne suis pas d’accord. Il faut la pluralité. Que ce soit dans l’économie ou la politique, la mentalité du conglomérat est une source de dysfonctionnement au détriment du bien commun…

Dans un autre système peut-être. Si nous avions des élections présidentielles à deux tours, avec au deuxième tour le ralliement des idées, cela aurait pu marcher. Mais pas dans un système de «First Past The Post», désolé, «we are doomed» !
Je ne suis absolument pas d’accord avec vous. Le Canada, l’Angleterre ont tous le First Past The Post. Le problème n’est pas le système. C’est une crise de leadership. Nos leaders ont un déficit d’énergie sattvique. Une volonté franche et réelle de justice sociale et d’égalité ralliera de facto la population. C’est inévitable. Par contre, si on utilise le prétexte des votes divisés pour s’allier et tenter de gagner les élections, c’est se courber devant la mentalité de conglomérat. Ce serait la création de cartels en politique, et les cartels ne sont jamais bons.

Mais il y a le traumatisme de 2019. Les votes divisés ont conduit à la victoire d’un gouvernement minoritaire en voix récoltées, mais majoritaire en sièges remportés. Les élections sont l’année prochaine et devant cette urgence, on n’a pas le temps d’attendre l’émergence de votre leader «sattvique» ! Ce n’est pas à moi de vous donner les clés de la «realpolitik».
Je ne vais pas m’aventurer dans une analyse des forces politiques à Maurice. Mes fonctions m’imposent cette réserve. D’ailleurs, je préfère parler de manière systémique. C’est vrai que nous sommes dans Catch-22. Effectivement, si nous étions dans un pays fictif et qu’il nous fallait choisir entre la peste et le choléra, vous faites barrage à la peste car la peste est effectivement nuisible, mais vous ne pouvez pas interpeller le choléra parce que ce serait au profit de la peste. C’est dangereux. Parce que le choléra va aussi vous nuire. Il faut donc questionner les bases et les prémices. L’emballage seul ne peut pas compter. Sakenn pou prézant so manifest, koléra pou prézant 10 mézir, lapest pou prézant 15, mé sa bann mézir la sé zis lanbalaz.

Le peuple pourra se passer de la peste et du choléra si dans ce pays fictif les élections ont lieu en 2024 ?
Sérieusement, oui, je le pense. Il y a toujours du temps pour que cette force et cette cause émergent. Je crois que ce sera le cas. Dans n’importe quel pays fictif, où une vraie alternative se présente, elle reçoit l’adhésion du peuple. L’humanité progresse quand les leaders n’ont pas soif de vedettariat. Quand le leader arrive, on fait sonner des pétards, l’assistance doit se lever, chanter pour lui, etc. C’est d’un autre âge. Ça doit cesser. Sérieusement, on est où? En Corée du Nord ? Donc oui, il y a du temps pour cette personne d’émerger car ce n’est pas une question de temps, mais de ses propositions, et de son énergie. Bizin zamé perdi lespwar. Ce n’est pas cliché. Le peuple sait reconnaître l’énergie sattvique. Il va se tourner vers le porteur de justice sociale, du bien commun et de l’empathie. C’est ça qui conduit à la joie de vivre et au bien-être. Ce n’est pas la croissance qui va produire l’écosystème idéal. Baisser le prix des carburants serait bien, mais ça ne servira à rien si autour on maintient toutes les injustices sociales et économiques.

Vous aviez une requête pour cette interview, qu’au moins le titre soit en kreol. Pourquoi ?
Ce n’est pas anodin. C’est dans la lignée de créer un lien social. J’aime l’appeler le morisyen, mais qu’importe même si on l’appelle kreol. Cette langue est notre lingua-franca. C’est notre socle, le premier lien commun. Je travaille dans un autre pays où on parle une autre langue et ça me fait réfléchir car je n’arrive pas à avoir un point commun avec la population locale. Ce qui me fait dire que le premier lien vers un point commun, c’est notre ligua franca. Je sais qu’en lisant cela, certains de vos lecteurs seront réfractaires parce qu’il y a un préjugé envers cette langue. Soyons francs. Il y a des préjugés qui viennent de plusieurs couches historiques, mais il faut justement qu’on s’affranchisse de ces couches.

Aussi, la structure de notre langue est proche de l’anglais et aujourd’hui l’anglais est incontournable. La connaissance au niveau mondial, qu’on le veuille ou non, est en anglais. Je crois foncièrement que le kreol, tout en créant un lien social très fort entre les Mauriciens, est un outil qui nous rapproche de l’anglais. Je vous ai demandé cette faveur pour essayer de décomplexer les esprits et s’émanciper des préjugés que nous avons envers notre langue. Il faut être fier de notre langue.

Ravi Rutnah, alors député, avait dit en 2017, que le kreol au Parlement serait un bazar. Au-delà de ça, à chaque fois que le lobby de la langue kreol est mis de l’avant, des groupes revendiquent le même traitement pour d’autres langues comme le bhojpuri. Vous savez comment ça se passe. «Welcome dan Moris» !
Je n’ai aucun problème avec le bhojpuri. Je suis une partisane de la pluralité de l’existence et de l’être humain. Je n’aime pas biffer les différences. Celles-ci doivent au contraire être célébrées. S’il faut promouvoir aussi le bhojpuri, qu’on le fasse, ce sera tant mieux. On dit que l’apprentissage du sanskrit développe les facultés cognitives; qu’on l’introduise à l’école.

Oui, mais vous avez demandé que le titre de l’interview soit en kreol, pas en bhojpuri ou en sanskrit. Le sens de ma question, c’est que vous invoquez le kreol comme une langue fédératrice ; or, certains utilisent une telle promotion comme outil de division «pou mont latet dimunn kont langaz kreol» !
C’est pour ça qu’il ne faut souscrire à de telles réactions binaires. L’existence humaine est plurielle et pas singulière. Je n’ai aucun doute que des gens vont m’appeler pour me demander pourquoi j’ai voulu que le titre de cette interview soit en morisien. Mais c’est justement le genre de questionnement que je veux provoquer. Je ne suis pas en train de promouvoir le kreol pour qu’on rejette toutes les autres langues. Bien au contraire !

Dans l’exercice de vos fonctions aux Nations unies, voyez-vous que Maurice est toujours bien vue par les institutions internationales ou avez-vous le sentiment qu’on a été un peu démasqué ?
Pour des raisons professionnelles, je ne pourrai pas répondre à cette question dans la formulation que vous l’avez posée. Mais disons que n’importe quel pays qui chemine vers plus d’inégalités n’est jamais une bonne chose pour ce pays. Le regard international sur le pays est secondaire. Le regard sur soi, l’autocritique, est plus important.

J’ai pris le soin d’aller voir la page Wikipedia qui vous est dédiée. Cette page parle étonnamment de deux incidents qui ont marqué votre carrière politique : le jour où Bérenger vous a demandé de «al rod enn mari», et l’incident du micro de Ramgoolam à Quatre-Bornes. Ça fait tache alors que vous occupez une fonction internationale importante, ou bien vous avez fait le deuil et vous vivez avec?
La validation du self-worth d’un individu ne vient pas de l’extérieur. Elle vient de l’intérieur. Ce n’est pas à moi de faire le deuil. Il revient à ceux qui ont tenu de tels propos. Leurs propos disent beaucoup plus sur eux que sur moi. Ce que disent les autres ne changent pas ce que je suis et n’influent pas sur les idées et valeurs auxquelles je souscris, soit l’égalité de droit, la dignité humaine et l’empathie. J’espère qu’eux auront fait le deuil.

Que répondez-vous au premier Facebookeur qui va rappeler l’incident du micro en commentant cette interview?
Je vais juste regretter qu’il soit dans une énergie qui n’est pas sattvique et qui perpétue les dysfonctionnements. Je vous ai parlé tout au long de cet entretien du framework reference qui influence mes réflexions. Dans le Bhagavad Gita, Krishna réprimande sévèrement Arjun qui était dans un état de résignation face à des situations difficiles. Donc ne comptez pas sur moi, pour me plaindre et m’apitoyer sur mon sort. Au contraire, je veux inspirer les autres pour lévé, dibouté, fer fas mem bann pli gro ros dan to simé, ek pran simé ki bizin pran pou al ver enn meyer version tomem. Donc ce qu’il écrira m’importe peu. Mon action pour rester dans l’agency est plus importante.

Jouerez-vous un rôle quelconque aux prochaines élections ?
Azordi politik inn vinn esklav larzan. Je n’ai aucune envie de m’engager auprès de ceux qui veulent perpétuer l’esclavage politique envers l’argent. Jusqu’à l’heure je ne vois rien de différent.