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Discours
Séminaire électoral du réseau des compétences électorales francophones (RECEF) et d’idea international : «Quand elles sont meurtries, les identités peuvent devenir meurtrières»
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Discours
Séminaire électoral du réseau des compétences électorales francophones (RECEF) et d’idea international : «Quand elles sont meurtries, les identités peuvent devenir meurtrières»
Je n’ai aucune expertise particulière me permettant de vous éclairer sur les sujets graves à l’agenda de vos réunions. Sauf une expérience, peut-être ! Les élections, je connais pour les avoir perdues autant que gagnées, pendant trois décennies, en ma qualité de directeur de campagne politique de plus d’une dizaine de scrutins nationaux et régionaux.
Et c’est ainsi que j’ai pu apprécier combien l’organisation professionnelle du processus électoral, sa transparence, ses exigences de neutralité et d’indépendance, fondées sur des valeurs que portent et respectent ceux chargés de les incarner, sont consubstantielles à la démocratie électorale.
Je trouve cette collaboration entre le RECEF et IDEA International sur ces questions de protection des élections extrêmement pertinente et indispensable. Responsabiliser les organismes d’administration électorale, former les praticiens à la gestion des risques, qu’ils soient internes ou externes, professionnaliser les instances qui supervisent les élections participent en effet à la crédibilisation du processus électoral, en particulier dans les pays où les pratiques démocratiques sont naissantes ou imparfaites.
Et je sais combien la tâche est ardue. Promouvoir la tenue régulière de scrutins justes, fiables et transparents est un enjeu majeur en ces temps marqués par l’autocratisation d’un nombre de plus en plus grand de régimes politiques. En ma qualité de secrétaire général de la Commission de l’océan Indien, il y a une dizaine d’années, j’ai vu de près, quand ces conditions ne sont pas respectées par les princes qui gouvernent, combien les élections peuvent devenir une farce que les électeurs rejettent, parfois avec violence, dans les rues de la colère et de la défiance.
Je ne parle pas au passé. Dans certains des États de l’Indianocéanie, comme je me plais à nommer nos îles du sud-ouest de l’océan Indien, les pratiques électorales ne sont pas souvent à la hauteur de ces vertus démocratiques. Je m’inquiète des dérives récentes des pouvoirs publics dans plus d’une de nos îles. Et je crains le pire ici et là. Peutêtre qu’une implication de votre part, suffisamment tôt et suffisamment directe, pourrait prévenir une aggravation sociale dramatique et prévisible dans ces régimes en voie d’autocratisation.
Vous vous réunissez dans un pays honoré par une longue tradition de démocratie électorale. Nos premières élections datent de 1762, quand, dans l’ancienne Isle-de-France, des syndics dotés de pouvoirs municipaux étendus sont créés dans huit quartiers de la nouvelle colonie, animés par des membres élus pour trois ans.
Forts de cette longue expérience, les électeurs mauriciens, dans leur immense majorité, ont appris à faire confiance à leurs institutions, même quand des mauvais perdants ont pu tenter de mettre en doute l’intégrité du Bureau électoral. L’île Maurice doit une fière chandelle à son Commissaire électoral, Irfan Raman, et à ses collaborateurs, qui ont su résister à des assauts qui auraient pu faire basculer ce pays dans les désordres si courants ailleurs. Une fois de plus, la preuve est faite : ce sont les hommes qui font les institutions. Mais ce sont aussi les hommes qui peuvent les défaire. Ici, nous sortons tout juste, grâce à la démocratie électorale, d’une période sombre de notre histoire politique, marquée par une autocratisation rampante qui semble devenir le lot d’un nombre grandissant de régimes.
C’est pourquoi je me suis demandé si le moment n’était pas venu pour vous d’élargir votre mandat, pour vous intéresser davantage à ce qui se passe en amont des élections formelles.
Le rapport 2025 sur la démocratie, produit par le respecté V-Dem Institute de Suède, dresse un constat désolant d’un monde de plus en plus en mal de démocratie, parfois même porté par des courants populistes. Nous sommes témoins d’une véritable poussée, y compris dans de vieilles démocraties. V-Dem Institute constate que la démocratie recule partout dans le monde et se trouve aujourd’hui à son niveau le plus bas depuis cinquante ans. Pour la première fois en plus de vingt ans, le monde compte plus d’autocraties que de démocraties. Les démocraties libérales qui tiennent des élections libres et justes sont aujourd’hui très minoritaires. Cette autocratisation, qui touche 45 pays, s’accompagne d’une perte alarmante de la liberté d’expression. Il en résulte que des élections véritablement justes et fiables ne se déroulent plus que dans une trentaine de pays.
Ce qui nous pousse à dénoncer ce que Marx, hier, qualifiait de leurre électoral dans ces régimes-là ! Du fait de la perte de la liberté d’expression, de la censure des médias, de l’utilisation abusive de l’appareil de l’État, du noyautage de la société civile, de la corruption des électeurs drogués à l’argent public, dans ces régimes autocrates, il serait inepte de valider, de quelque manière que ce soit, leur vernis électoral. L’enjeu n’est pas tant le processus électoral – quand bien même il est vital –, il est aussi et surtout l’espace politique qui assure son intégrité.
De toutes les menaces et les risques qui affaiblissent la démocratie, il y a lieu de souligner le dépérissement continu de la presse, illustré par la disparition des journaux, minés par les réseaux sociaux ou les prises de contrôle par des politiques ou encore par des intérêts financiers. Il n’y a pas de démocratie sans liberté de la presse.
«Une fois de plus, la preuve est faite : Ce sont les hommes qui font les institutions. Mais ce sont aussi les hommes qui peuvent les défaire.»
Il y a un autre sujet tout aussi important à mes yeux, en particulier dans les pays du continent africain. C’est celui des identités, et de la représentation des différences ethniques. L’on voit bien combien, quand elles sont meurtries, les identités peuvent devenir meurtrières. L’île Maurice pluriethnique a inventé, dans ce contexte, un système de représentation proportionnelle des communautés au plan parlementaire qui participe à la cohésion sociale. Ce système est aujourd’hui assez décrié par ceux qui estiment qu’il est dépassé. Mais on constate combien des violences et des haines s’expriment quand les identités ne sont pas gérées avec la plus grande attention, y compris par le système électoral.
Je voudrais maintenant, en me retenant, vous parler de francophonie. Malgré les apparences manipulées, et contrairement à l’idée reçue, la francophonie n’est pas la chose de la France. La francophonie est une idée africaine. Nous devons à des chefs d’États africains – Léopold Senghor, Hamani Diori, Habib Bourguiba –, aux lendemains des indépendances africaines, l’idée d’un espace nouveau, cimenté par la pratique d’une langue commune au service du développement de tous. Elle a bien été, pendant un moment, à la hauteur de ces ambitions. Ce n’est plus aujourd’hui le cas. Sous l’impulsion de quelques présidents français, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est devenue un instrument de la diplomatie française et un regroupement disparate d’États dont certains ne sont nullement francophones, ni totalement, ni partiellement. Ils sont souvent là, propulsés par la France pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le projet francophone initial.
Il faudrait que les pays qui croient encore au futur de la francophonie se pressent de se réapproprier cet outil, qui peut servir, à condition de se réinventer. Dans les plus hautes sphères politiques à Paris, on se plaît à argumenter que la francophonie n’a pas de soucis à se faire. Par le seul fait de la démographie en Afrique, croit-on, le monde comptera de plus en plus de francophones. Je crois que l’on se trompe.
Les jeunes générations, en Afrique et ailleurs, se détourneront assez vite d’une francophonie stérile qui n’est en aucune façon une réponse à leurs préoccupations concrètes : le travail, le développement économique, la mobilité, la pratique d’une langue qui serait surtout une langue de création, de savoir et d’échange. Je postule que la francophonie de l’avenir sera un espace économique ou elle ne sera pas.
Nous aurions tort de considérer que ces questions-là ne sont que des problématiques culturelles. Elles sont très liées aux enjeux de démocratie libérale électorale qui sont vos préoccupations principales. Il y aurait une étude à mener pour déterminer les raisons pour lesquelles, en Afrique notamment, nous trouvons plus d’autocrates chez les francophones que chez les anglophones.
Voilà, j’ai assez tenté d’élargir et de compliquer votre mission… C’est une marque de reconnaissance et de confiance.
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