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Interview

Renganaden Padayachy : «La pension à 60 ans est un droit fondamental ; le GM doit faire marche arrière»

15 juin 2025, 17:00

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Renganaden Padayachy : «La pension à 60 ans est un droit fondamental ; le GM doit faire marche arrière»

Renganaden padayachy, ancien ministre des finances.

Ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy sort de son silence pour dénoncer le Budget 2025-2026, qu’il qualifie de «barbare» et «inhumain». Dans l’entretien qui suit, il accuse le nouveau gouvernement d’avoir trahi ses promesses électorales, sapé les fondements de l’État-providence en supprimant la pension à 60 ans, et plongé le pays dans un «chaos économique» par des mesures d’austérité contre-productives. Il défend le bilan de son mandat – croissance soutenue, baisse du chômage, stabilité monétaire – et accuse l’actuelle majorité d’avoir creusé la dette de 66 milliards de roupies en huit mois, tout en orchestrant, selon lui, un «retournement de veste magistral» face aux attentes du peuple. En revanche, sur les conseils de ses avocats, Padayachy n’a pas commenté les affaires présentement devant la justice.

🟦 Renganaden Padayachy, vous vous exprimez aujourd’hui, plus de sept mois après les dernières élections générales. Pourquoi ce long silence ?

Avant de commencer, je tiens à vous remercier, vous les journalistes, de me donner l’opportunité de prendre à nouveau la parole.

Après les élections générales, il m’a semblé approprié de respecter le choix des urnes : d’une part, en prenant du recul sur le tourbillon qu’est la politique, et d’autre part, en laissant le nouveau gouvernement s’installer dans ses fonctions pour mettre en œuvre sa vision.

Passer du statut d’acteur à celui de spectateur a, je dois le dire, un certain avantage : celui de prendre de la hauteur. Cela m’a permis de saisir avec d’autant plus de justesse le déroulement des événements depuis novembre 2024. Moi comme vous avons pu observer l’enthousiasme populaire des premiers jours virer au fiasco, avec pour coup de massue la présentation du Budget 2025-2026, le 5 juin dernier.

Il est vrai que certains signes avantcoureurs semaient déjà le doute sur la sincérité du nouveau gouvernement et de son manifeste électoral. De la fausse promesse d’un 14e mois pour tous, à la baisse toujours attendue de 30 roupies du litre d’essence, jusqu’aux licenciements massifs dans les administrations locales, nous avons assisté, ces six premiers mois, jour après jour, à un magistral retournement de veste du gouvernement entrant contre sa propre population.

Mais c’est ce budget, véritable acte de barbarie contre la population, qui m’oblige – non seulement en tant qu’ancien ministre des Finances mais surtout en tant que Mauricien et fervent militant de la justice sociale – à intervenir. Trop c’est trop : le silence n’est plus de mise.

🟦 Vous abordez directement le sujet qui nous préoccupe, le Budget. Alors, qu’en pensez-vous ?

En un mot : nauséabond.

C’est un budget socialement inhumain et économiquement vide de sens.

Il va plonger la population dans une profonde crise sociale et provoquer un effondrement de la structure entrepreneuriale et économique de Maurice.

Autant les luttes sociales que l’attractivité économique, durement acquises par notre pays au fil des générations et des gouvernements, sont aujourd’hui balayées d’un revers de main par un gouvernement qui, emporté par une frénésie d’arrogance, semble désormais mépriser ce même petit peuple qui l’a pourtant élu.

Parmi les nombreuses aberrations, abolir la pension universelle à 60 ans est tout simplement un scandale.

C’est une décision unilatérale, injuste et irréfléchie qui, une semaine à peine après la présentation du Budget 2025-2026, est massivement critiquée par les Mauriciens, les syndicats, les juristes, les représentants politiques de tous bords — et même par des députés de la majorité.

Alors oui, je comprends et j’adhère pleinement à la colère qui gronde. Je suis révolté. Comme beaucoup de Mauriciens. Ébranler l’État-providence et notre pacte social est une décision complètement irresponsable. La pension universelle à 60 ans est un droit fondamental pour tous les Mauriciens, et le gouvernement doit faire marche arrière.

🟦 Mais le gouvernement affirme que la caisse est vide et qu’il faut diminuer les dépenses publiques.

C’est la grande tromperie ! Le mensonge du siècle.

Tous les jours, de l’argent entre dans les caisses de l’État pour financer les dépenses publiques. Mais avec ce gouvernement, il semblerait qu’il y ait deux caisses : l’une, sans limite, pour leurs propres dépenses ; l’autre, réduite comme peau de chagrin, pour les besoins du peuple.

Ce gouvernement affirme que la caisse est vide et qu’il ne peut plus payer la pension universelle à 60 ans. Et pourtant, dans le même temps, il prévoit plus de 100 millions de roupies pour les pensions des anciens députés et ministres.

La caisse est soi-disant vide, ce qui justifierait, selon eux, de couper les allocations CSG pour les enfants, les salariés, et de supprimer l’allocation d’indépendance pour les jeunes de 18 ans. Et pourtant, ce même gouvernement modifie la loi pour verser des indemnités rétroactives aux junior ministers.

La caisse est soi-disant vide, ce qui justifierait d’augmenter fortement les taxes sur les véhicules, rendant quasi impossible l’achat d’une voiture neuve pour la classe moyenne. Et pourtant, ce gouvernement va dépenser plus de 400 millions de roupies pour l’achat de véhicules neufs, dont plus de 100 millions uniquement pour le bureau du Premier ministre.

La caisse est soi-disant vide, et le gouvernement augmente le prix des billets d’avion pour Rodrigues. Et pourtant, dans le même temps, il prévoit un budget de 125 millions de roupies pour ses voyages.

C’est d’autant plus aberrant que, selon les chiffres, priver les Mauriciens âgés de 60 ans de leur pension ne représente qu’une économie de 1,9 milliard de roupies pour l’année financière 2025-2026. Les coupes dans les allocations sociales pour les enfants, les jeunes et les salariés ne rapporteraient que 3 milliards supplémentaires.

Et pourtant, ce même gouvernement augmente ses dépenses annuelles totales de 9 milliards de roupies, passant de 252,2 à 261,4 milliards de roupies pour 2025-2026.

Pour la première fois dans l’histoire de Maurice, nous avons un gouvernement à la fois pyromane et mythomane.

Au lieu de consolider la reprise post-Covid – avec une croissance moyenne de plus de 6 % – ce gouvernement détruit tout sur son passage. Il sacrifie la justice sociale et la croissance économique sur l’autel d’une austérité budgétaire fictive.

🟦 Justement, en novembre dernier, vous disiez que l’économie était en plein essor. Or, le «State of the Economy» parle de manipulation. Que répondez-vous, et quelle légitimité pensez-vous que ce rapport possède ?

Comme l’a si bien dit le leader du MSM, Pravind Jugnauth : c’est un torchon. Et son auteur, ou ses auteurs, n’ont même pas eu le courage de le signer. Je réaffirme que nous étions dans une période de forte croissance, avec une moyenne de plus de 6 % entre 2022 et 2024. Pour l’année 2025, nous projetions un taux supérieur à 5 %.

Mais l’auteur de cette grossière supercherie, qui confesse lui-même ne pas savoir estimer l’apport du Global Business Sector dans le PIB, décide tout de même de l’exclure de ses calculs, sans aucune méthodologie ni explication. Nous parlons ici de 40 milliards de roupies ! Ce qui fausse délibérément le taux de croissance annoncé pour 2024, à 5,6 %.

Mais même ce chiffre trafiqué reste supérieur à leur propre projection actuelle, qui ne dépasse pas 3 % pour 2025. C’est dire à quel point ce rapport manque de sérieux.

🟦 Vous maintenez que les indicateurs étaient au vert pour 2024 ?

Oui. Sans la moindre hésitation. Prenons leurs propres chiffres.

– Un taux de croissance économique moyen de 6,1 % entre 2022 et 2024, contre une moyenne de 3,5 % entre 2012 et 2014.

– Un taux d’investissement de 21,4 % du PIB en 2024, contre 18,5 % en 2014.

– Un taux d’épargne de 20,8 % du PIB, contre 12,9 % en 2014.

– Un taux d’inflation maîtrisé à 3,7 % en 2024 contre 3,2 % en 2014.

– Un taux de chômage de 5,8 % en décembre 2024, comparé à 7,8 % en 2014.

– Et des réserves de change de 8,3 milliards de dollars en 2024, contre 4 milliards en 2014.

🟦 Et quid de la dette publique ?

En novembre 2024, la dette publique s’élevait à 576 milliards de roupies. Depuis, le nouveau régime a creusé cette dette de 66 milliards en seulement 8 mois ! Une hausse brutale, sans justification valable, qui propulse notre dette à 642 milliards de roupies, soit près de 90 % du PIB. Il est clair qu’ils n’ont pas travaillé depuis leur arrivée au pouvoir. La stagnation des revenus de l’État le prouve.

Entre les exercices financiers 2022-2023 et 2023-2024, les recettes publiques avaient augmenté de 9,1 %. En tant que ministre des Finances, je suivais cette évolution de près avec les officiers du ministère.

Mais depuis novembre 2024, cette croissance des recettes s’est effondrée. Le dernier budget en atteste : à juin 2025, les revenus de l’État n’ont augmenté que de 4,2 %. Ce ralentissement brutal témoigne d’un attentisme coupable. Huit mois d’inaction. Huit longs mois.

🟦 Mais vous avez été ministre pendant les trois premiers mois de l’année financière 2024-2025.

C’est exact. Et sous mon dernier trimestre de mandat – de juillet à septembre 2024 – les recettes de l’État ont augmenté de 25,3 %, selon les chiffres du ministère. C’est dire l’élan que nous avions imprimé.

Quand bien même, ne pensez-vous pas que le premier budget de l’Alliance du Changement démontre une certaine dose de courage et de responsabilité ?

Non. Je pense tout l’inverse.

Planter un couteau dans le dos du peuple de cette manière, c’est abject. Et en plus, c’est économiquement absurde.

Ce budget entraînera une hausse de l’inflation, du chômage et des inégalités. Et je vous le dis : l’économie sera en berne, bien en deçà de l’objectif de 4 à 5 % de croissance.

🟦 Et pourquoi autant de pessimisme, alors que vous avez toujours affiché votre confiance dans l’économie mauricienne ?

Justement. Parce que l’économie, c’est avant tout une question de confiance. Et cette confiance repose sur trois piliers : la clarté, la continuité et les certitudes. Sans cela, c’est le chaos.

En détricotant tout l’héritage pro-croissance du gouvernement MSM, ce gouvernement précipite Maurice dans le chaos. Par chaos, j’entends : austérité, perte du pouvoir d’achat (comme Moody’s l’a signalé cette semaine), ralentissement de la croissance, hausse du chômage et de l’inflation. Un cocktail explosif.

En supprimant la pension à 60 ans, en confisquant les allocations CSG, en abolissant la gratuité de l’éducation de la maternelle à l’université, en surtaxant les PME, en alourdissant les droits de douane sur les véhicules à faibles émissions, en freinant les investissements étrangers, et en reculant en catimini sur la taxation des hauts revenus, ce gouvernement sème le désordre, l’incertitude et la colère.

Il orchestre, de ses propres mains, les conditions de sa déroute économique.

🟦 Mais le nouveau régime évoque justement la crise économique en s’appuyant sur le rapport Moody’s, et vous en rend responsable.

Ah ! Le fameux rapport Moody’s…

Je rappelle qu’en janvier 2025, Moody’s avait maintenu la notation Baa3 de Maurice, soit un Investment Grade. Ce maintien reconnaissait la solidité et la diversification de notre économie post-Covid.

C’est notre bilan. Le bilan du gouvernement Jugnauth. J’en suis fier.

Alors que la plupart des centres financiers africains sont classés «Junk States», Maurice, grâce à une vision claire, a résisté. Notre économie a servi l’humain, même dans la tempête.

Aujourd’hui, c’est au nouveau gouvernement de faire ses preuves. Et il commence par se tirer une balle dans le pied avec ce torchon non signé, sinistrement intitulé State of the Economy.

D’ailleurs, à peine quelques semaines après sa publication, Moody’s changeait déjà sa perspective pour Maurice : de “stable” à «négative». Un vrai avertissement.

Et dans sa note de juin 2025, Moody’s va encore plus loin : il pointe un risque de ralentissement économique et juge les prévisions de croissance du nouveau gouvernement trop optimistes, au vu de sa politique d’austérité.

En d’autres termes : à cause de la combinaison toxique entre State of the Economy et le Budget 2025-2026, Maurice risque bel et bien de perdre sa note Investment Grade… et de basculer dans la catégorie des «Junk States».

🟦 Avec le recul, avez-vous des regrets quant à certaines décisions ou actes manqués durant votre mandat ?

Oui. De ne pas avoir assez insisté sur le malheur qui s’abattrait sur la population si jamais le Parti travailliste et ses acolytes revenaient au pouvoir.

🟦 Une observation pour conclure ?

Je le dis à chaque parlementaire qui s’apprête à voter en faveur de ce budget inhumain : en se rendant complice de cet acte de trahison, votre nom restera à jamais gravé dans l’histoire de notre République… comme les dépouilleurs du peuple. Avec la collaboration de tout le monde, on va réussir.

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