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Exode des travailleurs Mauriciens

Pénurie de main-d’oeuvre: l’État fait l’autruche

4 juin 2024, 22:00

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Pénurie de main-d’oeuvre: l’État fait l’autruche

Rien qu’en 2023, plus de 5 000 jeunes Mauriciens ont mis le cap sur le Canada.

Laisser filer nos talents, puis importer des travailleurs étrangers pour combler le vide constitue une fuite en avant. L’économie a besoin de stratégies à long terme pour assurer ses besoins de bras et de cerveaux.

Le Budget 2024-2025 traitera-t-il le problème urgent, celui de l’exode des travailleurs mauriciens d’une part et de la cruelle pénurie de main-d’oeuvre dans le pays d’autre part ? Accentué par une population vieillissante de plus en plus nombreuse, il exige une réponse rapide et responsable. Il requiert surtout une stratégie à long terme, à l’opposé de mesures populistes et électoralistes annoncées d’avance. Plutôt tôt que tard, si ce n’est pas déjà le cas, ce phénomène posera un défi majeur à l’économie. Malheureusement, et malgré de nombreux avertissements, l’État a adopté une attitude de fuite en avant en trouvant une solution de facilité : le recrutement de Bangladais, Indiens, Népalais et autres Malgaches pour combler le vide.

Le mouvement de travailleurs d’un pays à l’autre constitue un fait irrémédiable dans l’histoire de l’humanité. La redistribution de la main-d’oeuvre a largement contribué au développement de la planète et elle va se poursuivre de façon inéluctable. Ce sont des milliers de nos compatriotes qui ont immigré notamment au Royaume-Uni dans les années 70 et 80 pour y combler le déficit de personnel dans le domaine de la santé. Tout autant ont choisi la France, s’engageant dans divers métiers. Pour beaucoup, l’immigration est une expérience personnelle enrichissante. Mais elle peut être aussi douloureuse.

5 000 jeunes Mauriciens au Canada en 2023

Mais paradoxalement, alors que le pays connaît une ascension économique, de nombreux compatriotes choisissent l’exil. Rien qu’en 2023, plus de 5 000 jeunes ont mis le cap sur le Canada. À la fin de l’année dernière, une vingtaine d’employeurs de Victoriaville, au Québec, avaient fait le déplacement pour recruter cuisiniers, pâtissiers, mécaniciens, opérateurs de machine, techniciens agricoles, électriciens, soudeurs, chauffeurs et femmes de ménage. L’agence de recrutement qui pilotait le projet se targuait de participer à la réalisation du «Rêve canadien pour 700 Mauriciens». L’Australie, le Royaume-Uni et la France sont les autres destinations prisées des Mauriciens.

Il ne faut pas de doctorat en sociologie pour comprendre les motivations de nos jeunes qui s’expatrient, au grand dam non seulement de leurs familles, mais aussi de l’économie qui a besoin de bras et de cerveaux. Manque de reconnaissance, non-respect de la méritocratie, népotisme, besoin de bénédiction politique des princes régnants, cupidité d’agents recruteurs, perspectives limitées dans les plans de carrière sont autant de voies que de nombreux jeunes professionnels refusent. Tout comme ils ne veulent pas aller grossir les foules des meetings et espérer une faveur.

En revanche, les candidats au départ sont séduits par de meilleures conditions de travail, des perspectives de formation continue et de grimper l’échelle sociale. La pénurie du personnel qualifié et non qualifié dans les pays industrialisés, plus particulièrement depuis le passage du Covid-19, ouvre de belles opportunités aux Mauriciens et autres nationaux. Par exemple, les États-Unis ne comptent que 60 personnes à la recherche d’un emploi pour toutes les 100 pistes vacantes. Selon le rapport annuel du ManpowerGroup, une multinationale de recrutement, 75 % des employeurs dans le monde peinent à pourvoir les postes.

Aucune initiative pour stopper l’exode

Cette situation risque de durer. Statistics Mauritius ne connaît même pas le nombre de nos compatriotes qui quittent le pays. Visiblement ni l’Economic Development Board ni le ministère du Travail n’a d’officine dédiée pour stopper l’exode. La Banque de Maurice se plie à une exigence d’institutions internationales et publie chaque trimestre les flux d’argent envoyés par nos compatriotes à leurs familles. De même que ceux postés par les travailleurs étrangers en activité chez nous.

Les derniers chiffres disponibles datent du quatrième trimestre 2023. Pendant cette période, les travailleurs mauriciens à l’étranger ont envoyé Rs 742 millions à leurs familles. La France est le premier pays de provenance (157 millions), suivie des États-Unis (114 millions), et du Royaume-Uni (87 millions), de l’Irlande (44 millions) et de l’Australie (33 millions). À l’inverse, les travailleurs étrangers chez nous remettent Rs 2,829 milliards à leurs familles. Les premiers pays destinataires sont l’Inde (1,114 milliard), le Bangladesh (1,058 milliard), la France (128 millions), le Népal (70 millions) et la Chine (64 millions).

À noter qu’avec la France, les transferts ne sont que légèrement supérieurs en faveur de Maurice. Nous ne profitons donc pas de la manne de transferts globaux de fonds de travailleurs migrants qui s’élevait l’an dernier à 669 milliards de dollars, en hausse de 3,8 % par rapport à 2022. Selon Dilip Ratha, économiste à la Banque mondiale et auteur du rapport annuel en la matière, «les remises migratoires vers les pays en développement ont excédé le montant cumulé des investissements directs étrangers et de l’aide publique au développement, et l’écart ne cesse de se creuser».

Gouverner, c’est prévoir ? C’est précisément ce que les autorités mauriciennes n’ont pas fait en matière de politique de l’emploi. Il y aurait aujourd’hui un trou de 50 000 salariés à combler dans le pays. De nombreux secteurs sont simplement menacés d’effondrement à cause de manque de bras, l’agriculture, le textile, la grande distribution et la construction, par exemple. Dans certaines grandes surfaces, jusqu’à 33 % des collaborateurs viennent d’ailleurs. La question se pose : allons-nous dépendre de travailleurs étrangers alors que nous laissons filer nos compatriotes vers d’autres pays ?

Recherche d’une solution globale

Si des réponses nationales doivent être trouvées face au double phénomène de l’exode de nos compatriotes et la pénurie de la main-d’oeuvre dans le pays, il est évident qu’une coordination globale s’impose pour éviter que les pays en développement ne deviennent, comme à l’époque, que des pourvoyeurs de main-d’oeuvre aux pays riches. C’est une forme de concurrence déloyale d’hameçonner des travailleurs à l’étranger avec des dollars ou des euros. Des États dépensent des sommes astronomiques pour former des professionnels et l’exode représente des pertes sèches alors pour ceux qui recrutent, c’est tout bénéfice. C’est tant mieux pour certains pays qui disposent d’un excédent de talents et de cerveaux pour pouvoir en exporter et profiter de la manne de leurs citoyens à l’étranger. Ce qui n’est pas le cas de Maurice.

C’est dans ce contexte que l’État mauricien doit participer à un effort international pour réguler le mouvement de travailleurs. Ceci doit faire l’objet des règles équitables entre les pays pourvoyeurs et les pays demandeurs des travailleurs. Il y en a bien lorsqu’il s’agit d’importer et d’exporter des pommes ; il faudrait aussi en avoir lorsqu’il s’agit des hommes et des femmes qui quittent leur pays, et qui s’en vont fournir leurs talents et expertise à l’étranger. À ce propos, un dossier est bel et bien ouvert au sein de l’Organisation mondiale du commerce sous l’enseigne Mode 4. L’État mauricien doit coaliser avec d’autres pays en développement en vue de développer une stratégie à long terme visant à assurer l’approvisionnement de la main-d’oeuvre pour leur économie respective.

Dans tous les cas, les employeurs, tous secteurs confondus, mais aussi les citoyens, attendent une direction et responsabilité de la part du gouvernement qui présente son Budget 2024-2025 vendredi.