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Municipales

L’occasion d’un nouveau départ

8 mai 2025, 10:20

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L’occasion d’un nouveau départ

■ Les citadins ne se sont pas déplacés pour voter, dimanche 4 mai.

Le faible taux de participation populaire aux Municipales de dimanche (26,2 %, avec un taux massif d’abstentions de 73,8 %) ne doit être ni minimisé ni exagéré.

Compte tenu des circonstances politiques actuelles et face à l’indéniable mauvaise humeur du pays, la surprise, en fait, serait venue d’une plus forte mobilisation sur le terrain et d’une abstention moins prononcée que d’habitude aux municipales (en moyenne 60 %).

Faut-il s’en désoler ? Très certainement, ces élections intervenant après (i) le fait que l’électorat urbain a été outrancièrement privé pendant dix ans de son droit de vote (ii) le rétablissement en novembre de conditions démocratiques normales au plan national et (iii) la volonté politique évidente de faire repartir, aussitôt après les élections générales, l’indispensable démocratie régionale (le deuxième niveau gouvernemental d’un pays). Cette rapide désaffectation populaire, six mois après que le pays a été balayé par un immense désir de renouveau démocratique, est malheureuse, désolante et surtout inquiétante parce qu’elle révèle un scepticisme permanent désormais face à l’action de la classe politique.

Il faut, pourtant, faire intervenir dans l’observation de ce scrutin, quelques éléments qui ont toute leur importance et qui appellent à un jugement un peu plus mesuré que l’est la condamnation sans équivoque du déficit civique des électeurs.

Quelques autres facteurs doivent, effectivement, être considérés:

Le taux déclinant de participation aux élections municipales (8 % de moins dimanche qu’à celles de 2015) a toujours été la grande déception de notre calendrier démocratique. Ce taux de participation fluctue depuis 50 ans autour de seulement 35- 40 % , quel que soit le gouvernement au pouvoir et n’a jamais, depuis 1977, dépassé la barre des 50 %. Amédée Darga, ancien député-maire et ministre, rappelait fort justement au pays lundi que les municipales de 1977 (avec une participation record de 68 %) se tenaient sur fond de l’irrésistible montée en puissance du MMM après sa première participation, en 1976, à des élections générales quand il frôla le pouvoir avec 34 sièges sur 70.

Cette année, avec la non-participation du MSM et du PMSD (qui représentaient, aux élections de novembre, 25 % de l’électorat urbain), venant elle-même se greffer sur le fort taux habituel d’abstention populaire (60 %), il était plus qu’évident que l’abstention dimanche allait être massive. Je m’étonne que l’on s’en étonne.

Là encore, à l’étude des chiffres, convientil de noter que le taux de participation varie de ville en ville et de Ward en Ward: pratiquement 30 % des électeurs votant à Beau-Bassin– Rose-Hill de même qu’à Vacoas–Phoenix ; plus de 30 % dans les wards 1, 4 et 5 de Beau-Bassin–Rose-Hill, 31 % dans le Ward 1 de Quatre-Bornes, 31 % dans les Wards2, 3 et 4 de Vacoas–Phoenix, régions sans doute plus «politisées» que d’autres. Les Portlouisiens, avec 19 % de participation au Ward 6 de la capitale sont à la traîne.

Toutes les raisons de la désaffectation populaire ont déjà largement été répercutées: lassitude de l’électorat après le choc frontal de novembre ; absence d’enjeux avec la prévision d’un walk-over gouvernemental ; colère populaire face à la non-tenue de promesses électorales et à la lenteur voire l’inaction du gouvernement du Changement dans certains domaines précis, notamment les prix; lenteur des nominations et des réformes et le «more of the same»;banalisation du rôle des municipalités etc.

L’électorat est visiblement désabusé. Le nouveau pouvoir refuse toujours d’entendre et de mesurer l’ampleur de la «crisis of expectations» qui agite le pays et n’a pour réponse à celle-ci que de creux appels à la «patience» alors que la nation attend surtout de l’énergie, de l’imagination et du courage à bouger vite et à aller beaucoup plus loin dans le «nettoyage» promis.

Décevant et préoccupant sont le fait que le devoir d’engagement du citoyen n’ait pas été pleinement exercé. Mais encore plus inquiétant est le fait, confirmé sur le terrain, que ce sont surtout les jeunes qui ont boudé l’élection de dimanche. Leur indifférence est de mauvais augure pour l’avenir politique du pays.

Plusieurs questions sont désormais posées. La plus importante est celle-ci: eut-il mieux valu organiser ces élections après que soit intervenue la réforme promise des administrations régionales pour donner plus de sens et d’intérêt aux élections qui auraient suivi ? Plusieurs commentateurs ont, dans la presse ou à la télévision, adhéré à cette thèse.

J’en assume l’exacte position contraire.

Ne soyons pas dupes: en organisant les municipales début mai, soit avant le Budget de juin, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger voulaient surtout éliminer tout risque politique que le peuple ne réagisse très mal électoralement aux retombées d’un Budget qui sera obligatoirement impopulaire, compte tenu des mesures correctives qui devront être prises pour redresser d’urgence une économie nationale au bord du gouffre. Les municipales terminées, le gouvernement pourra désormais se concentrer sur l’essentiel, soit l’économie (sans disperser demain son énergie à animer une campagne municipale post-Budget), et mobiliser autour des priorités économiques actuelles. Il est clair qu’en présence d’une défaite électorale post-Budget, l’ardeur réformatrice du gouvernement aurait été considérablement affaiblie.

En même temps, il est plus qu’évident qu’une réforme d’envergure des administrations régionales basée sur la municipalisation de cinq grands villages et possiblement la redélimitation des quartiers urbains nécessitera des mois sinon des années de préparation et d’exécution, ce qui aurait pour conséquence de repousser les élections municipales à 2026 voire 2027.

Il en résulterait alors, sur le plan démocratique, deux situations absolument intolérables: (i) en laissant les municipalités inchangées, les conseils municipaux auraient légalement gardé en place les conseillers MSM qui, depuis dix ans, paralysent et défigurent nos villes. Ceci serait totalement inacceptable. (ii) L’alternative prônée par certains de nommer des commissaires administratifs (comme dans les années 70 de SSR et de Gaëtan Duval) pour suppléer aux conseillers, en attendant la grande réforme promise, serait tout aussi intolérable et inimaginable, dans la foulée d’un renouveau national basé sur une démocratie inclusive, des droits accrus au peuple à se gouverner lui-même et dans la légitimité populaire.

Nommer quelques notables comme commissaires administratifs pour un an ou deux consisterait à priver le peuple urbain de ses droits à une représentation choisie et assumée et équivaudrait à confisquer de nouveau l’expression populaire. Il n’en est absolument pas question ! Ce serait une spectaculaire trahison. Le peuple doit se gouverner lui-même, à travers ses représentants (fussent-ils incompétents, calculateurs ou inefficaces) et non pas subir cette fois le règne de notables ne rendant des comptes à personne.

Les citadins ont élu, selon leurs propres choix, 120 représentants venus de divers horizons, désireux de servir leurs quartiers en restant proches des problèmes quotidiens de leurs électeurs, disposant de compétences variées et en apparence de bonne volonté civique. Il faut les respecter, les encourager à bien faire et leur donner des moyens accrus (principalement en transférant aux municipalités les budgets hier octroyés à la NDU des Jugnauth et en leur donnant des leviers accrus de financement local tels des «Municipality Bonds» et de plus grands moyens administratifs.

Ces hommes et ces femmes méritent tout le soutien qu’on peut leur accorder. Soit dit en passant, l’arrogance avec laquelle les conseillers ont été étiquetés de «colleurs d’affiches à qui les grands partis n’auraient pas attribué de ticket aux élections générales», comme il a été affirmé dimanche soir à la télévision nationale, n’aide aucunement à réhabiliter la gestion municipale et à améliorer notre tissu démocratique. Tout le monde n’a pas la chance d’être grand notable ou riche professionnel. Chaque conseiller peut, selon ses compétences et qualités personnelles, servir là où il est en place et il est souvent plus proche des réalités du terrain et du quotidien des gens que les notables de nos villes.

Attendre la grande réforme municipale pour mettre en place de nouveaux conseils avec une autonomie, des pouvoirs et un financement accrus pour en assurer une plus grande efficience, repose par ailleurs sur un argument tiré par les cheveux.

La grande réforme à venir du ministre des Administrations régionales, M. Woochit, est d’ailleurs largement surévaluée. Tout cela pourrait bien n’être que du vent. Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a déjà lui-même engagé, en 2011, avec son ministre Hervé Aimée, une profonde réforme des collectivités locales, assurant notamment une plus grande représentation féminine, redessinant les contours des villes et mettant en place de nouvelles structures municipales. On y ajoutera çà et là quelques retouches, sans plus. Autonomie, financement accru, collaboration avec le secteur privé, budgets de développement en hausse ne nécessitent aucune grande et nouvelle législation. Tout est affaire d’hommes et de femmes dévoués, de volonté politique de libérer nos conseils de la supervision constante de Port Louis. Tout cela peut intervenir en quelques semaines.

Rediriger les budgets de la NDU vers les conseils municipaux, dissoudre la Local Government Service Commission, qui a usurpé les pouvoirs des municipalités à gérer elles-mêmes leur personnel, donner à l’occasion du prochain Budget des financements accrus pour le budget de développement des municipalités aujourd’hui réduit à une peau de chagrin – le ministre ne s’ingérant plus dans l’administration au jour le jour des conseils, les conseils associant le secteur privé à des projets municipaux – revitaliser l’Association des autorités urbaines, introduire le Kreol aux conseils ne requièrent pour l’heure aucune grande réforme des collectivités locales.

Dès aujourd’hui, le PM et le ministre Woochit, en signant quelques décrets ou en amendant quelques lois, peuvent mettre en route toutes ces actions. Dès demain, M. Woochit peut redonner aux municipalités, par un simple changement de la loi, un financement adéquat en redirigeant les budgets de la NDU, ou encore le droit de rétablir la taxe immobilière et le droit d’augmenter les redevances des commerçants et des utilisateurs de services publics. Dès la fin de la semaine, les nouveaux conseils élus peuvent inviter les entreprises dans leurs régions à participer davantage à la vie de leurs villes. Où est le problème ? Faut-il, pour cela, attendre la municipalisation des grands villages, pièce centrale de la Réforme promise ?

On verra, le mois prochain, à l’occasion du Budget, quand Navin Ramgoolam reprendra son chapeau de ministre des Finances et jonglera avec des dizaines de milliards de roupies, quel intérêt il porte véritablement aux collectivités locales. Les «moyens», c’est surtout à lui de les donner. Il n’a, pour cela, point besoin de se donner comme priorité municipale de revisiter sa propre réforme de 2011.