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Manière de voir

Le gouvernement mange à la fois aux râteliers indien et chinois

2 mars 2024, 09:00

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La tentation de l’ India-bashing serait tellement irrésistible dans certains milieux qu’on a vite vu en Pravind Kumar Jugnauth (PKJ) le «traître» qui a vendu Agaléga aux Indiens.

La construction à Agaléga par les Indiens – et totalement à leurs frais – de la jetée St James et de la piste d’atterrissage sur trois kilomètres a donné lieu à de vives polémiques, certains y voyant déjà l’installation d’une base aéronavale de l’Inde à la manière de Diego Garcia avec les Américains. Évidemment, malgré les démentis de PKJ quant à l’éventuel aménagement d’une base indienne, on voit toujours l’arrivée prochaine de militaires indiens avec des avions de surveillance ou de chasse, des navires de guerre et des sous-marins.

L’obsession de l’ India-bashing prend son enracinement dans les réalités sociologiques composant la base même de la société mauricienne. Sur le plan purement politique et électoral, l’ India-bashing rapporterait des dividendes. On pourrait de ce fait comprendre les prises de position de groupuscules qui espèrent avoir une présence au Parlement sachant que leur faiblesse ne leur permettrait pas d’accéder au pouvoir sur leur propre force. Calculs éhontés car on croirait avoir la possibilité, à partir d’une éventuelle plateforme parlementaire, de négocier avec d’autres formations politiques pour partager le pouvoir.

Cet acharnement contre l’Inde relève de manœuvres cyniques car on ne voit pas le gouvernement, malgré ses inepties et ses maladresses qui ne se comptent plus, «vendre» Agaléga à New Delhi tout en se mettant à dos d’autres puissances dont, et surtout, la Chine.

PKJ serait trop fin pour isoler Maurice davantage dans le jeu des grandes puissances. Déjà, dans le sillage des différentes actions juridiques, diplomatiques et politiques menées par les Jugnauth, père et fils, autour de Chagos, du bad blood a été créé dans les relations entre Maurice et la Grande-Bretagne. Les Britanniques, maîtres incontestables et historiques dans l’art de la duplicité diplomatique, critiquent de façon véhémente le gouvernement mauricien tout en amenant le Premier ministre Rishi Sunak à entreprendre une opération charme auprès de PKJ to buy time.

Il n’y a rien de plus négatif pour les intérêts de Maurice que quand les Britanniques et leurs relais américains décrivent notre pays comme un «stooge» de la Chine. Cela amène même les Indiens à se douter de la sincérité réelle de ceux qui parlent de Bharat Mata. On allègue même que si jamais Maurice reprenait physiquement le contrôle des Chagos, Port-Louis permettrait aux Chinois de monter une base dans cet archipel jusqu’ici contrôlé par les Anglo-Américains.

Évidemment, tout cela se fait dans un climat de vilaines insinuations à l’effet que l’argent fait courir le gouvernement mauricien.

Il faudrait reconnaître que la Chine est entrée dans l’équation mauricienne autant que l’Inde. Et l’habile PKJ joue la carte chinoise de façon majestueuse. Ainsi, à la veille même du show d’Agaléga avec la grande participation du Premier ministre indien Narendra Modi, le gouvernement organisait une fête grandiose à Port-Louis pour donner le baptême au navire Peros Banhos et chanter la gloire de la Chine. Car le bâtiment a été construit en Chine. Il serait fort intéressant de noter que le Peros Banhos a été livré par les Chinois le 19 décembre 2023 mais que le bâtiment est arrivé à Port-Louis deux mois après. Un bateau à voile du 18e siècle venant de Chine serait arrivé à Maurice dans moins de temps que le «bijou» chinois Peros Banhos. Il semblerait que le gouvernement mauricien n’était pas pressé de le voir à Port-Louis.

Le choix même du nom du navire relève de calculs bien diplomatiques. Dans l’archipel des Chagos, l’atoll de Peros Banhos est l’entité la plus importante après Diego Garcia. En gratifiant le navire chinois du nom de Peros Banhos, c’est un pied de nez qu’on adresse aux Britanniques et Américains. Voilà un bâtiment mauricien construit en Chine qui vogue dans l’océan de la discorde tout en perpétuant le contentieux Chagos. Quel meilleur exemple de l’entente Maurice-Chine au niveau de l’océan Indien.

Le timing des deux opérations successives, jour après jour, Peros Banhos et Agaléga, tendrait à prouver de façon irréfutable que Maurice tient à conserver et nourrir ses liens ‘privilégiés’ avec la Chine. PKJ dit voir dans le navire Made in China l’expression du muscle économique de Maurice au niveau de l’océan Indien même. Qui plus est, ce navire fabriqué en Chine serait aussi appelé à desservir fréquemment la «base indienne» à Agaléga.

Fait significatif à noter : quand il s’agit de recevoir des dons, nous frappons à la porte de Modiji. Mais quand il est question d’octroyer certains gros contrats, nous favorisons la Chine. Exemple : Huawei/ Safe City à coups de Rs 19 milliards et Peros Banhos lui-même.

Sur la base du comportement de Maurice sur le champ diplomatique, on pourrait comprendre que nous mangeons allégrement et à la fois aux râteliers indien et chinois. Et pourquoi pas les râteliers anglo-américains s’ils acceptent de payer un loyer annuel pour Diego Garcia ?