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Nazeer Foygoo, ex-chef d’atelier chez Valentino à Paris
La belle revanche d’un enfant pauvre de Deux-Bras sur la vie
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Nazeer Foygoo, ex-chef d’atelier chez Valentino à Paris
La belle revanche d’un enfant pauvre de Deux-Bras sur la vie

Nazeer Foygoo avec un des manteaux Valentino… et la célèbre veste
Les enfants peuvent se montrer cruels envers leurs «camarades» de classe. Pour avoir fait l’objet de moqueries constantes en raison de ses vêtements propres mais déchirés, du fait qu’il était un enfant pauvre de Deux-Bras et, qui plus est, orphelin de père, Nazeer Foygoo s’est mis en tête de devenir tailleur pour être toujours bien habillé. Ce désir de revanche sur la vie l’a mené loin, chez le célèbre grand couturier italien Valentino Garavani, qui a pignon sur rue à l’avenue Montaigne et à la rue St Honoré à Paris et où, jusqu’à mai dernier, Nazeer Foygoo exerçait comme chef d’atelier pour hommes. Une position importante et enviable, qui ne lui est pas montée à la tête pour autant. Portrait d’un des meilleurs tailleurs de Paris, qui a su rester modeste.
Lorsqu’il avait 15 ans, à l’extrême droite.
Nazeer Foygoo, 69 ans, s’est retiré en mai dernier. Sa directrice, qui travaille aujourd’hui pour Louis Vuitton, a bien tenté de le retenir mais le Mauricien a préféré jouir de sa retraite. Enfin, d’une semiretraite plutôt car plusieurs clients qu’il a côtoyés chez Valentino le sollicitent toujours pour qu’il leur confectionne des costumes. Et comme Nazeer Foygoo ne sait pas dire non, il travaille à partir de l’appartement qu’il loue avec sa famille à Bagnolet, en banlieue parisienne. Que de chemin parcouru pour ce Mauricien né à Deux-Bras…
Ses parents étaient des laboureurs, qui travaillaient dur dans les champs de canne à sucre. Ils vivaient sur le camp sucrier. Lorsqu’il a deux ans, son père, âgé de 29 ans, meurt subitement. Sa mère, qui n’a que 20 ans, tire alors le diable par la queue. Bien qu’elle soit encore jeune, elle refuse de refaire sa vie car elle veut protéger ses deux fils contre un beau-père éventuellement tyrannique. Il n’empêche qu’elle est très sévère envers eux afin qu’ils marchent droit et ne filent pas un mauvais coton. Son salaire est de Rs 16,50.
Nazeer Foygoo fréquente l’école primaire de La Rosa. Il doit parcourir quatre kilomètres à pied à l’aller, de même qu’au retour, pour acquérir les bases de littératie et numératie. Les enfants de sa classe se moquent de son uniforme propre mais déchiré. Il encaisse les quolibets en se disant, dans son for intérieur, que lorsqu’il sera adulte, il sera un tailleur toujours tiré à quatre épingles. À 11 ans, il déclare à sa mère que lorsqu’il sera grand, il lui fera construire une maison. Connaissant leur situation, elle est dubitative mais laisse son fils à ses rêveries.
Il aime l’école et s’applique. Sauf qu’il ne peut entamer son cycle secondaire, qui est payant. Les frais mensuels de scolarité coûtent Rs 11 par mois, quasiment l’équivalent du salaire de sa mère. «J’étais bon élève mais je savais que le collège m’était interdit car c’était payant et maman était très pauvre», raconte-t-il, de Paris. C’est donc à regret qu’il abandonne la partie et se fait apprenti chez un tailleur de New-Grove avant de se faire la main chez un autre tailleur à Rose-Belle. Mais Nazeer Foygoo a des envies d’ailleurs.
En situation irrégulière
Il revoit un ami, installé en France, et il partage avec lui son désir d’émigrer. Celui-ci le met dans la combine, lui recommandant d’économiser et de s’acheter un billet d’avion Maurice-Paris-Allemagne et de descendre à Paris pour vivre et travailler au noir. Il suit le conseil. Une agence de voyages qu’il connaît lui émet un billet d’avion en ce sens. Il quitte Maurice en mai 1979 et s’arrête à Paris. Il vit une semaine chez cet ami, une autre semaine chez une connaissance et se met en quête de travail. «Parfois, nous partagions une chambre d’hôtel à plusieurs.»
** «Le plus gentil était Will Smith.»**
Son adaptation est très difficile, d’autant plus qu’il doit ruser pour éviter les contrôles de police vu sa situation irrégulière sur le territoire français. Au bout d’un an, Nazeer Foygoo trouve du travail chez un tailleur, à Barbès, dans le 18e arrondissement de Paris. Il gagne 3 200 francs, ce qui n’est pas énorme pour l’époque mais il s’en contente, ravi de pouvoir enfin travailler. Il se perfectionne en couture dans plusieurs ateliers et pendant de très longues heures. Car quand on est en situation irrégulière, impossible de faire valoir ses droits. Nazeer Foygoo l’accepte, du moment qu’il peut continuer à vivre à Paris. Il survit avec les pourboires qu’il reçoit, économisant le plus possible sur son salaire.
L’année 2004 lui porte chance. À travers un ami, il rencontre un ancien mannequin qui, par le plus grand des hasards, était une amie de feu sir Gaëtan Duval. C’est elle qui lui ouvre les portes de la boutique du célèbre couturier italien Valentino Garavani. Embauché, Nazeer Foygoo est basé à l’avenue Montaigne, dans le 8e arrondissement, tout près des Champs Elysées. La directrice de l’atelier, Alice, réalise vite que le Mauricien est non seulement travailleur mais qu’il a une excellente coupe. De plus, il ne rechigne pas à la tâche. Elle sait pouvoir compter sur lui dans n’importe quel cas de figure.
Si le personnel de la boutique Valentino à l’avenue Montaigne est dénombré à 25, dont sept tailleurs, il est l’unique tailleur pour les costumes d’hommes. Et lorsqu’il n’y a pas de commande chez les hommes, il va prêter main-forte à l’atelier pour dames. Il passe dix ans à l’avenue Montaigne avant d’être envoyé à la boutique Valentino, située à la rue St Honoré dans le 1er arrondissement de Paris. Là également, il passe dix ans.
Clientèle fortunée
Il adore son métier. La clientèle comprend non seulement des Émiriens, qui ne regardent pas à la dépense, mais aussi certaines célébrités. Il côtoie des mannequins, une Miss France, des artistes, des sportifs de haut niveau et se fait même photographier avec le footballeur Didier Drogba. «Mais le plus gentil était Will Smith», confie-t-il. Il a d’ailleurs conservé des photos de toutes ces rencontres. Lors des semaines de la mode à Paris, il a le privilège de rencontrer le couturier Valentino Garavani en personne. Il est agréablement surpris par la gentillesse de l’Italien et par son parler très doux.
Nazeer Foygoo réussit, au bout de cinq ans, à revenir en vacances dans son pays natal. Il y rencontre Nazira, la bellesœur de son frère. Elle et lui se découvrent des atomes crochus et ils finissent par se marier. Nazira, qui est puéricultrice, trouve du travail dans une maternelle à Paris. Il obtient la nationalité française après son mariage et Nazira lui donne trois enfants, Sameer, aujourd’hui âgé de 37 ans, Adam, 33 ans et Jasmine, 30 ans. En 2014, Nazeer Foygoo est nommé chef d’atelier. Hormis la coupe et la couture de costumes et de vêtements en général, ce qu’il apprécie le plus chez Valentino, c’est le respect des droits des travailleurs. Quand il a décidé de se retirer et que sa directrice a compris qu’elle ne pourrait le convaincre de rester, elle et ses collègues lui ont organisé un somptueux pot de départ avec cadeaux à la clé. «Ma directrice m’a dit qu’elle n’a jamais rencontré une personne comme moi, régulier dans le travail, serviable et qui ne refuse jamais une tâche.» Depuis qu’il est à la retraite, de temps à autre, il retourne à la boutique de la rue St Honoré, histoire de prendre des nouvelles de ses collègues.
Sa mère est très fière de sa réussite. Il veut à tout prix qu’elle vienne lui rendre visite à Paris mais son aînée refuse. Comme elle est très croyante, il lui paie le billet pour qu’elle se rende en pèlerinage à la Mecque. Il n’y a alors pas plus heureuse qu’elle. «Je lui dois beaucoup et surtout le fait qu’elle ait trimé pour m’envoyer à l’école et nous élever mon frère et moi», dit-il. Sa mère a rejoint son Créateur depuis maintenant dix ans. Mais avant de faire ce dernier «voyage», elle a fait don à Nazeer et à son frère d’un terrain qu’elle a reçu à Mont-Fertile, New-Grove. «Elle a toujours voulu que nous habitions ensemble.» Pour respecter le vœu de leur mère, les deux frères y ont fait construire une maison et c’est récemment que Nazeer Foygoo a pu terminer l’étage, le rez-de-chaussée étant occupé par son frère, qui a longtemps travaillé pour l’usine Carmen et qui est aujourd’hui à la retraite, tout comme lui.
Appelé à dire s’il compte venir finir ses jours à Maurice, Nazeer Foygoo, qui suit de près tout ce qui se passe dans l’île, est formel : «Je retournerai à Maurice pour y passer trois ou quatre mois de vacances mais ma vie est à Paris.» En attendant d’y revenir, il recommande à tous ses compatriotes de «bien profiter du soleil», une denrée plutôt rare ces jours-ci dans la capitale française…
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