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Questions à…

Jean-Michel Pitot : «Nous produisons beaucoup d’artistes, mais ils vont faire fortune ailleurs parce qu’ils se sentent coincés ici»

31 mai 2025, 21:00

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Jean-Michel Pitot : «Nous produisons beaucoup d’artistes, mais ils vont faire fortune ailleurs parce qu’ils se sentent coincés ici»

Jean-Michel Pitot, «Chairman» d’Attitude Foundation.

🔹 La nouveauté du concours de chant «Konpoz to lamizik» (KTL), cette année, c’est l’approfondissement du volet de professionnalisation des artistes. Pourquoi est-ce important pour le groupe hôtelier Attitude ?

L’ADN du groupe, c’est de défendre le mauricianisme. La culture en est une partie intégrante. Nous ne sommes pas que des hôteliers ; nous avons des actions en faveur de la protection de l’environnement, de la culture, du social. Deux piliers de la fondation Attitude, c’est l’environnement et la culture. L’hôtellerie a aidé à l’émergence de pas mal de champions depuis les années 1970. L’hôtel était un passage obligé. Nous avons voulu proposer quelque chose de plus structuré.

C’est la quatrième fois que KTL revient. Des concours de chant, il y en a plein. On veut que les participants créent des œuvres originales, que ce soit leur âme qui parle. Le modèle mis en place est extrêmement encourageant. On a vu l’émergence de stars, disons les choses comme elles sont. Avec ce concours, nous restons dans le droit fil de financer le local power. Des amis m’appellent parfois en me proposant un super DJ qui se produit dans de grandes boîtes en France. Mais cela ne m’intéresse pas. Nos clients viennent à Maurice pour écouter du local. Dans nos soirées, nous n’invitons pas que le gagnant du concours, mais aussi les autres talents qui ont participé. Ti-kou ti-kou, nous mettons en place une équipe de gens que nous avons aidé à grandir.

🔹 Nous sommes à moins d’une semaine de la présentation du Budget. En général, quand la situation économique est morose, la culture est parmi les premières choses à sauter. C’est aussi vrai chez Attitude ?

Avant le Covid, nous avons défini notre identité comme une société ayant pour vocation d’avoir un impact positif. Par exemple, il n’y a plus de bouteilles en plastique dans nos hôtels. Il est évident que cela a un coût. Dans nos boutiques, nous ne proposons plus d’objets importés de Chine, en favorisant le made in Mauritius. En faisant tout cela, on se rend bien compte qu’on laisse de côté certains revenus. Avant le Covid, on s’est dit que même si on perdait deux points de profitabilité, ce n’était pas grave. On avait la satisfaction de faire du bien.

Quand le Covid est arrivé, comme nous avions lancé une machine, on s’est demandé que faire. Quand on fait ces belles choses, on a du mal à quantifier les bienfaits. Nous nous inscrivons dans le long terme. Nous arrosons une plante, si jamais il n’y a plus de pluie, il faut trouver les moyens d’arroser la plante autrement parce que l’on sait que cela rapportera des fruits. Dans toute notre palette d’actions sociétales, KTL est une initiative qui nous rend fier. Elle contribue à ce que l’entreprise soit mieux perçue. Après le Covid, les clients ont été extrêmement attentifs aux entreprises qui défendent ces valeurs, comparé à celles qui ne défendent que la valeur monétaire. Aujourd’hui, nous sommes certifiés B Corp (NdlR, une certification qui évalue l’impact de l’entreprise sur la société et l’environnement). À l’époque, dans les écoles de commerce, on disait : «Quelle est ta mission ? Faire du profit.» Mais B Corp stipule que la mission ce n’est pas le shareholder mais le stakeholder. C’est un shift drastique.

🔹 Parmi les rendez-vous culturels que soutient le groupe Attitude, figure le festival «La Isla 2068». Comme d’autres organisateurs, il attend toujours la levée des interdictions, par exemple sur la vente d’alcool qui permet de rentabiliser un festival. Quel regard jetez-vous sur l’environnement dans lequel opèrent actuellement organisateurs et artistes ?

Nous n’allons pas faire de polémique politicienne. Mais il y a parfois des règlements qui sont mis en place sans que l’on sache réellement qui les a décidés et pourquoi. Il y a sans doute eu un problème un jour dans une manifestation musicale, mais ce n’est pas parce qu’il y a eu des abus à un moment donné qu’il faut pénaliser tout le monde. Ce pays a beaucoup de challenge à relever, mais il faut attirer l’attention sur cet élément qui est important. Dans le monde entier, il y a des festivals, avec des règles. Cela fonctionne. Nous produisons beaucoup d’artistes, de stars même, mais ils vont faire fortune ailleurs parce qu’ils se sentent un peu coincés à Maurice. C’est regrettable.

🔹 Avec le recul, quel impact a eu l’utilisation de la langue «kreol» comme langue de communication chez Attitude ?

On l’a beaucoup mise en avant à Zilwa Attitude. Le projet Zilwa a été une plateforme extraordinaire pour set the tone : appliquer ce qui fait l’ADN d’Attitude, le mauricianisme. En 2010-2011, nous avons fait des cartes en kreol. Dans les chambres, il y a des sirandanes en kreol, des savates dodo. J’ai des amis qui ont été emballés d’y retrouver lespri lontan. Je suis convaincu qu’en faisant cela, nous avons aidé à décomplexer le koze kreol. Nous avons maintenant neuf hôtels à Maurice, chacun avec son identité.

🔹 Il y en aura un dixième ?

Peut-être. Il n’y aura pas un Zilwa Attitude numéro deux. Par contre, on va se servir de ce que nous avons réussi à y faire dans d’autres destinations, comme à Zanzibar. Tout le côté local sera traduit dans l’hôtel que nous ouvrons là-bas dans quelques mois (NdlR, le Matemwe Attitude ouvrira en novembre). Les visiteurs iront à Zanzibar pas pour un riz-rougaille mauricien mais pour ce que le pays a à offrir. La street-food aussi est rentrée dans nos hôtels.

🔹 La politique de tourisme culturel du pays devrait s’inspirer du modèle du groupe Attitude ?

Le pays a pour défi de se démarquer de la concurrence. Après le Covid-19, nous avions essayé de parler au gouvernement de l’époque pour dire qu’il nous manquait une économie de la culture. Nous avions engagé une belle discussion entre le secteur privé, dont l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM) avec le ministre des Arts et du patrimoine culturel de l’époque. Cela concernait la rénovation du patrimoine national.

À un kilomètre d’ici (NdlR, des bureaux d’Attitude à Beau-Plan), il y a le moulin à poudre, à Pamplemousses. Un peu plus loin, il y a le bassin des esclaves. L’idée était de trouver un partenariat public-privé pour remettre en état les sites. Le moulin à poudre ne sera peut-être jamais un site rentable mais sur 100 sites, peutêtre une cinquantaine pourrait dégager un peu d’argent en trouvant le modèle économique approprié. Le plus important c’est de définir un circuit culturel où le visiteur a accès aux histoires extraordinaires de chaque site, de l’Aapravasi Ghat aux superbes temples tamouls, par exemple. À l’époque, il y avait autour de la table Business Mauritius, la Bankers Association, l’Association of Inbound Operators, la Mauritius Tourism Promotion Authority. La proposition était peut-être audacieuse ; elle venait bousculer le système existant. Elle est restée lettre morte.

🔹 Et aujourd’hui que de nouveaux dirigeants sont en place ?

Le problème, c’est que le ministère du Tourisme n’est pas celui qui possède les biens patrimoniaux.

🔹 La Citadelle tombe sous le ministère du Tourisme.

Un appel à projets avait été lancé sous l’ancien régime. Je crois comprendre que des choses intéressantes avaient été proposées.

🔹 Pas par le groupe Attitude ? On se souvient du concert pour les 15 ans d’Attitude à la Citadelle en octobre 2023.

Quand on parle de la Citadelle, on voit toujours un peu noir. Mais la Déclaration d’intention est un pas dans la bonne direction (NdlR, Déclaration d’intention signée le 25 avril par le ministre délégué à la francophonie, Thani MohamedSoilihi, Business Mauritius, l’organisation non gouvernementale SOS Patrimoine en péril, représentée par Thierry Le Breton et Véronique Leu-Govind, junior minister des Arts et de la culture, pour la mise en place d’une fondation public-privé pour la gestion et la conservation de sites comme le Musée de Mahébourg, le jardin de Pamplemousses, l’ancienne Cour suprême).

Les idées existent. J’aurais souhaité un dialogue plus concerté entre le privé et le secteur public. J’ai l’impression que nous avons parfois du mal à nous réunir autour d’une table. Le privé pense au long terme. Entre-temps, il y a des choses qui m’inquiètent. Je n’ai pas l’exclusivité des bonnes idées. Je connais beaucoup de gens qui en ont un paquet, mais qui n’ont pas de plateforme pour les exprimer. Je souhaite vivement que davantage de partenariats public-privé se mettent en place. Durant la pandémie, on a su travailler la main dans la main. Everything is possible.

🔹 Pourquoi est-ce que cela coince ?

À un moment donné, il faudrait peutêtre avoir le courage de faire les choses différemment. Prendre des risques. Si on n’essaie pas, on ne saura jamais.

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