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Guillaume Chung To : Une fascination pour le monde islamique et sa diversité
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Guillaume Chung To : Une fascination pour le monde islamique et sa diversité

Guillaume Chung To, docteur en archéologie et chargé de cours à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
À 29 ans, Guillaume Chung To, de nationalité française et d’origine mauricienne par son père, est titulaire d’un doctorat en archéologie, avec une spécialisation sur l’islam et l’Arabie saoudite. Il enseigne aujourd’hui au niveau du master à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a également intégré l’équipe du «Khaybar Longue Durée Archaeological Project» (2021- 2024), dont l’objectif est de reconstituer l’histoire de cette région. Entretien par échanges de courriels avec un jeune chercheur passionné par la diversité du monde islamique.
Guillaume Chung To vit à Paris. Son père, Laval, Mauricien d’origine, travaille dans le secteur des ascenseurs. Sa mère, Emmanuelle, est commerciale et formatrice en validation des acquis de l’expérience pour les aides-soignantes. Guillaume a un frère jumeau, Adrien. La famille s’est installée à Auteuil-le-Roi, un village des Yvelines, où les deux garçons ont effectué leur scolarité primaire.
Après un cursus secondaire au lycée La Bruyère à Versailles, Guillaume s’oriente naturellement vers l’archéologie. «Enfant, j’adorais lire des ouvrages d’histoire et de sciences. Cette curiosité ainsi qu’une passion pour les sociétés humaines m’ont conduit vers cette discipline. Beaucoup d’enfants rêvent de devenir archéologues, mais peu concrétisent ce rêve. J’ai eu la chance d’être bien entouré, et de faire les bonnes rencontres.»
Il entame alors une double licence en archéologie et géographie à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), suivie d’un master, puis d’un master 2 et d’un doctorat à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Malgré la rareté des débouchés, il constate que de nombreux jeunes continuent de s’engager dans ce cursus exigeant. «Les mondes de la recherche et de la culture sont plus que jamais durement touchés par le contexte économique et les politiques publiques qui regardent les chercheurs de haut et osent remettre en question l’intérêt d’une discipline qui est pourtant au cœur de nos sociétés.»
Redonner voix au passé islamique
C’est au cours de son master que Guillaume choisit de se spécialiser sur le monde islamique, un intérêt né dès sa licence. Deux enseignants marquent particulièrement son parcours : JeanPierre Van Staëvel (Paris 1) et Éloïse Brac de la Perrière (Sorbonne Université). «Ils ont tous deux su me transmettre, à travers leurs enseignements, une passion, ainsi qu’une certaine fascination pour le monde islamique dans toute sa diversité. On a souvent une vision très réductrice de l’islam, mais quand on plonge dans cet univers immense par son aire géographique - de la péninsule ibérique à l’Inde – et son ère chronologique, on ne se lasse pas de s’en émerveiller devant une civilisation d’une incroyable richesse, largement sous-estimée.»
Son attrait pour l’Arabie saoudite se développe au fil de ses collaborations, notamment avec Jérémie Schiettecatte, spécialiste du Yémen préislamique, ou encore Jérôme Rohmer, Guillaume Charloux, Abdallah al-Zahrani, Derek Kennet et Seth Priestmann. «L’ouverture récente de l’Arabie saoudite a permis l’accès à un terrain sur lequel tout est à faire et qui plus est dans un pays absolument magnifique.»
Sa thèse s’est intéressée au contexte d’émergence de l’islam, un sujet principalement documenté, rappelle-t-il, par des sources textuelles. «Ce qui pose plusieurs problèmes. Premièrement, elles sont tardives, soit postérieures au VIIIe siècle et de ce fait, leur contenu n’est pas toujours précis et exact. Secondement, ces sources ont tendance à idéaliser les premiers siècles de l’islam et véhiculent une image plutôt négative de la période qui précède – l’idée d’une période d’ignorance (Jāhiliyya) marquée par la misère et l’anarchie. Le développement de l’archéologie depuis deux décennies ne permettait pas de contredire totalement cette vision offerte par les sources, voyant une réduction drastique du peuplement à la veille de l’islam puis un essor à partir des VIIIe -IXe siècles. Considérant ce constat d’un déclin, et fort de données archéologiques plus nombreuses pour l’Arabie, il s’agissait d’en proposer une synthèse. Ce travail permettait ainsi de mieux comprendre ce phénomène, les facteurs qui peuvent expliquer ce déclin et ainsi échapper au discours tenu par les sources textuelles.»
Grâce à une analyse approfondie, Guillaume montre que le déclin observé dans certaines régions n’est ni linéaire ni généralisé. «Chaque région connaît des évolutions différentes, influencées par des facteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Cette recherche démontre ainsi que la transition entre la période pré islamique tardive et les débuts de l’islam n’est pas liée à une rupture majeure mais qu’elle résulte de facteurs s’exprimant à des échelles temporelles et spatiales différentes, qui toutes contribuent à une modification des modes de peuplement de l’Arabie durant l’Antiquité tardive. On constate donc un déclin des occupations sédentaires, lié avant tout à des reconfigurations des entités politiques, des réseaux commerciaux et des organisations sociales. Mais on observe surtout une permanence des systèmes de peuplement. L’Arabie n’est pas en proie à une crise mais à une lente mutation initiée depuis le changement d’ère, qui offre un contexte propice à l’apparition de l’islam.»
Entre 2021 et 2024, Guillaume participe au Khaybar Longue Durée Archaeological Project, dirigé par Guillaume Charloux et Rémy Crassard du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), ainsi que Munirah AlMushawh de la Royal Commission for AlUla. Ce projet s’inscrit dans le vaste programme de développement touristique de la région de Médine.
«L’objectif était d’étudier l’oasis de Khaybar (56 km2), célèbre pour sa conquête par le Prophète Muhammad en 628-629, mais encore inexplorée archéologiquement. Nous avons dressé une véritable carte archéologique, de la Préhistoire à nos jours, en identifiant habitats, tombes, inscriptions, et en effectuant des sondages pour dater les structures visibles en surface. Ces données permettent aujourd’hui de retracer l’évolution du peuplement de l’oasis, la manière dont les populations s’installaient, configuraient leur habitat et ainsi écrire l’histoire de cette oasis en se fondant sur des preuves matérielles.»
Aujourd’hui, Guillaume enseigne les méthodes et outils de l’archéologie dans le cadre du Programme Jaussen & Savignac, destiné à former des étudiant·es saoudien·nes au niveau master. Mais il n’est pas au bout de ses peines. «Le parcours est encore long. Il convient habituellement de monter des projets de recherche avec des laboratoires ou universités. C’est seulement à la suite de ce parcours de recherches que commence la longue période de candidature à des postes, généralement dans l’enseignement et/ou la recherche. C’est un milieu très compétitif et les places y sont peu nombreuses.»
Guillaume ne vient pas souvent à Maurice, mais conserve un lien fort avec l’île. Sa dernière visite remonte à fin 2023. «C’est toujours très agréable de revenir à Maurice, un pays d’autant plus agréable qu’il y a ce mélange de cultures, qui en fait une richesse toute particulière. Mais ce que j’aime par-dessus c’est sa gastronomie, les marchés, la street food et cette rencontre des influences culinaires de plusieurs continents.»
Guillaume Chung To a déjà entrevu plusieurs axes de recherche, de même que des participations à des projets archéologiques. «J’espère pouvoir monter prochainement mon propre projet de recherche en péninsule arabique et sur le long terme, poursuivre dans le milieu académique. Depuis deux ans, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le Sohar Archaeological Project (@soharancientport). Ce projet conduit en Oman par l’université de Chicago et l’université Sultan Qaboos, sous la direction de Derek Kennet (Chicago), Seth Priestman (Durham), Eve MacDonald (Cardiff) and Nasser al-Jahwari (Sultan Qaboos University), vise à l’étude du principal port de l’Oman aux débuts de l’islam. Ce port est d’autant plus intéressant qu’il invite à une compréhension plus globale de son intégration et de son rôle dans les réseaux longue distance de l’océan Indien, qui se développent à cette même période.» Un vrai passionné.
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