Publicité
À la sauce FMI
Il y a des lectures qui tombent comme un couperet. Le dernier rapport du FMI, dans le cadre de l’Article IV, en est une. Derrière les tournures diplomatiques, les sigles familiers et les ratios polis, c’est une alerte rouge qui clignote: croissance en berne, dette en crue, illusion budgétaire en chute libre.
L’économie mauricienne, nous dit-on, a fait preuve de résilience. 4,7 % de croissance en 2024, une inflation maîtrisée à 2,5 %, des réserves de change qui couvrent 12 mois d’importations. L’image est flatteuse. Mais vite, le FMI déchire le rideau : croissance attendue à 3 % en 2025, déficit courant à 6,5 % du PIB, dette publique à 88 %, et surtout, une économie qui semble structurellement à bout de souffle.
Et ce n’est pas une opposition politique ou une ONG qui le dit. C’est l’institution de Bretton Woods elle-même, celle que certains accusent de piloter notre politique économique à distance, qui lance ce constat froid : Maurice doit «recalibrer» ses politiques macroéconomiques. Traduction : l’heure n’est plus au marketing budgétaire. Il faut couper, réformer, restructurer.
Le Budget 2025-26, présenté comme un tournant historique, est un exercice d’équilibriste sur un fil usé. Le déficit est censé passer de 11,4 % à 5,2 % du PIB, principalement grâce à des hausses d’impôts sur les hauts revenus, les promoteurs de Smart Cities, et un one-off géopolitique : les Rs 10 milliards de l’accord sur les Chagos. Mais sur le plan des dépenses, rien de vraiment courageux. Une contraction réelle de 4 %, maquillée en stabilité nominale, pendant que le vieillissement de la population s’accélère et que les besoins sociaux explosent.
Et au cœur du tumulte, une mesure phare : repousser l’âge d’éligibilité à la pension non-contributive de 60 à 65 ans. On dit que c’est inévitable. Que c’est soutenable. Que c’est juste. Mais le FMI, lui, insiste : sans ciblage social, la réforme est bancale. Où est le filet de sécurité pour les plus vulnérables ? Où est le dispositif pour ceux qui ne tiendront pas cinq années de plus dans des emplois pénibles ? On parle de responsabilité, mais on oublie l’équité.
Le tableau se corse encore lorsque le Fonds évoque la Banque de Maurice. Le FMI lui recommande de se désengager progressivement de la Mauritius Investment Corporation (MIC), cette entité tentaculaire aux décisions opaques et aux liens ambigus avec certains conglomérats. Voilà un message clair : l’indépendance de la Banque centrale est en jeu. La collusion entre argent public et intérêts privés doit cesser.
En filigrane, c’est tout un modèle économique qu’on questionne. Un modèle dopé aux dépenses électoralistes, soutenu par une rhétorique de croissance qui ne repose plus sur des bases solides. Car oui, pendant des années, on nous a servi un cocktail sucré de promesses populistes, d’aides tous azimuts et de certitudes monétaires. On nous disait : tout va bien, l’économie tourne. Aujourd’hui, le FMI répond : non, pas vraiment.
On pourrait s’en offusquer. Dénoncer un diktat étranger. Jouer la carte souverainiste. Mais le FMI ne condamne pas Maurice. Il tend un miroir. Il dit simplement : il est temps de regarder en face les déséquilibres, les dérives, les chiffres maquillés.
Et c’est là que la politique devient théâtre. Les anciens au pouvoir nous répétaient que la croissance était solide, que la dette était soutenable, que la pension à 60 ans était sacrée. Les nouveaux aux commandes, eux, affirment qu’on a vécu dans l’illusion, que le réveil est brutal, mais nécessaire. Que Moody’s guette. Que la note souveraine est sur le fil. Et qu’il faut réformer pour éviter la punition.
La vérité, c’est qu’on a trop dormi sur des certitudes creuses. Le FMI a jeté les chiffres sur la table : à nous de jouer. Réduire la dette ? Oui, mais pas sur le dos des plus fragiles. Restructurer ? Oui, mais sans tourner autour du pot. Il est aussi temps de s’attaquer aux privilèges des élus – l’exemplarité ne se négocie pas. Et surtout, il faut un vrai cap économique, pas un tour de passepasse comptable.
***
C’est un monde qui tangue. Et le FMI, dans son dernier diagnostic, ne cherche pas à rassurer à coups de slogans. Il met les points sur les i: la croissance mondiale ralentit, la géopolitique s’en mêle, et les guerres commerciales de Donald Trump font dérailler les chaînes de valeur. Avec une croissance mondiale revue à la baisse à 2,8 % pour 2025, la faute aux surtaxes douanières massives imposées par Washington – jusqu’à 50 % sur l’acier européen, 25 % sur les voitures, et un quasi-blocus tarifaire sur la Chine – le monde entre dans une ère d’incertitude systémique.
L’Europe, déjà engluée dans un marasme budgétaire, vacille à 0,8 % de croissance. La Chine, prise en étau, chute à 4 %. Même les États-Unis, censés mener la danse, s’essoufflent à 1,8 % de croissance avec une inflation dopée par leurs propres mesures protectionnistes.
Les chaînes d’approvisionnement se grippent, les entreprises freinent les investissements, les banques resserrent les conditions. Et pourtant, dans ce chaos annoncé, la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, garde foi en la résilience… à condition que les pays réforment en interne : investir, diversifier leurs partenariats commerciaux, et surtout, ne pas sombrer dans le repli nationaliste. Car derrière les chiffres, c’est un nouvel ordre économique mondial qui se redessine, sans règles fixes, sans arbitre. Un monde où la capacité d’adaptation, la flexibilité et la lucidité économique feront la différence entre ceux qui s’en sortiront… et ceux qui décrocheront.
Publicité
Publicité
Les plus récents




