Publicité

«No questions asked!»

15 novembre 2022, 19:33

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

La formule du constitutionaliste Milan Meetarbhan est percutante, réaliste et absolument correcte : il n’y a pas, valeur du jour, «d’accord entre La Grande- Bretagne et Maurice sur les Chagos» mais seulement «un accord pour commencer des négociations pouvant possiblement mener à un accord». La nuance, on le voit, est de taille. 

Néanmoins, les déclarations communes Londres/Port-Louis, ces derniers jours, reprises par Pravind Jugnauth au Parlement sur de futures négociations, constituent un breakthrough très significatif, qu’il s’agit de publiquement saluer. Elles mettent, pour la toute première fois, un peu d’huile dans la machinerie bloquée du débat sur les Chagos. À partir de là, il pourrait ne rien se passer, l’obstination de l’Angleterre ayant cent fois fait tout capoter, mais il pourrait aussi beaucoup se passer, en fonction de l’état du monde et des évolutions politiques surprenantes en Grande-Bretagne et aux États-Unis. 

Il convient ainsi, en premier lieu, de rendre à César ce qui appartient à César : ces progrès ne peuvent être dissociés de la détermination sans faille de Pravind Jugnauth et, avant lui, de son père sir Anerood sur ce dossier, dont les initiatives et les efforts doivent objectivement être reconnus. Deux autres chefs s’y sont consacrés avec un commitment qui n’a jamais varié : Paul Bérenger, qui a su maintenir la flamme de la revendication sur les Chagos depuis les premiers jours du MMM, et Navin Ramgoolam, qui (contrairement au défaitisme de son père SSR, résigné à la perte des Chagos) a su agir concrètement et efficacement en ayant recours aux experts et légistes les plus qualifiés pour conseiller Maurice. 

Les Chagos constituent un dossier national de première importance qui, fort heureusement, a su réconcilier l’ensemble de la nation dans une revendication moralement juste, juridiquement correcte et économiquement cruciale par l’immense impact que constituerait l’inclusion des Chagos dans la zone maritime mauricienne (un million de km2 d’océan). La communauté internationale, l’Inde en premier lieu, se tient aujourd’hui solidement aux côtés de notre pays. 

Néanmoins, il y a loin de la coupe aux lèvres. Personne ne sait encore quelle forme prendraient ces «négociations», quelle en serait l’étendue et, surtout, ce que garantirait le «droit international» invoqué pour le maintien d’une base étrangère sur ce qui (par rétrocession effective) pourrait redevenir territoire mauricien. Alors que les Anglais entr’ouvent très légèrement la porte, jusqu’ici, les Américains, eux, ne se sont guère manifestés. Or, c’est surtout eux, par pression sur Londres, qui ont toujours insisté et continuent d’insister pour un statu quo bâti dans le roc. 

La décision de Pravind Jugnauth, soutenue par les autres partis, de garantir formellement le maintien de la base américaine à Diego Garcia par un bail d’un siècle (sans doute contre une location substantielle, une aide budgétaire très importante ou un soutien économique décisif à Maurice, comme aux Philippines) a largement changé la donne. 

Mais cela pourrait bien ne guère suffire aux Américains, pour des raisons assez compliquées : la souveraineté mauricienne présupposerait, en effet, que Maurice aurait à l’occasion son mot à dire dans certaines circonstances sur ce qui pourrait bien se passer sur son territoire. Autrement, à quoi donc sert la souveraineté ? Or, qui donne ou prête peut reprendre. Qui loue peut vouloir varier les conditions ou encore insister pour un droit de visite etc. Dans tous les pays avec lesquels les États-Unis passent des accords de défense, ils refusent de «rendre compte», de quelque façon qu’on demande. Que ce soit sur la présence dans leurs bases de matériel nucléaire, des entrées et sorties de navires, des objectifs des missions militaires menées, du personnel américain présent ou des changements aux infrastructures militaires en place. La Nouvelle-Zélande, pourtant proche alliée des USA, est depuis 1990 l’illustration même des victimes économiques de cette obstination : Washington n’a jamais accepté qu’on lui pose des questions sur n’importe quoi que ce soit ayant trait à sa défense ou sa sécurité nationale. Toutes les missions de bombardement au Moyen-Orient, par exemple, ou mille autres initiatives américaines à partir des Chagos seraient-elles sujettes à interrogations et commentaires de Maurice outre-mer ? 

C’est fondamentalement pour cela que Washington s’abrite derrière et encourage la propriété par l’Angleterre du BIOT : pour ne pas avoir à répondre de ses décisions stratégiques et de ses opérations aux Chagos, dans la certitude absolue qu’il n’y aura pas, qu’il n’y aura jamais par Londres de questions, «no matter what». 

Or, quid de Maurice ? Tout, en dernier ressort, serait alors dans la relation de confiance et les garanties en béton que le pays pourrait offrir aux États-Unis, aujourd’hui ou demain. Une position non-négociable de départ pour toute éventuelle discussion contemplée par Londres et Washington pourrait donc être un brutal «no questions asked!». Si nous ne savons pas y répondre, nous pourrions bien être, dans 25 ans, exactement au même point qu’aujourd’hui.