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L’Indianocéanie, instrument de paix

25 octobre 2017, 12:15

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Le siège de la Commission de l’océan Indien, à Ébène. L’auteur appelle de ses voeux à une Communauté de l’Indiaocéanie, garante de la paix et de la sécurité dans la région.

C’est le beau nom que nous nous sommes donné : l’Indianocéanie ! Pourquoi serions- nous la seule région du monde, le seul ensemble insulaire de la planète, à ne pas porter de nom ? Même le petit ensemble formé par le Cap Vert, les Canaries, Madères et les Açores dans l’Atlantique porte le nom de Macaronésie. Nous connaissons mieux la Polynésie, la Mélanésie, la Micronésie…

Notre justification, dans le sud-ouest de l’océan Indien, à cette revendication identitaire est d’autant plus légitime que nous ne sommes pas qu’une géographie. S’il est vrai que notre espace émerge sur une même plaque continentale, il est lié surtout par des traits humains, culturels et historiques communs.

Et ce parce que nous sommes les enfants d’un double désir. D’abord, le désir d’exister, d’affirmer notre identité, de dire notre volonté de vivre ensemble dans le respect de notre diversité, dans la fierté de notre singulier pluriel. Ensuite, le désir de paix.

C’est ce qui a présidé à la mise sur pied de l’organisation que nous avons créée ensemble pour porter nos ambitions et nos espoirs, la Commission de l’océan Indien (COI), en passe de devenir la Communauté de l’océan Indien, mieux, j’espère, la Communauté de l’Indianocéanie !

Nos passeurs à nous, nos hommes-ponts, ont été des poètes. C’est le poète mauricien Camille de Rauville, qui, en terre malgache, à l’occasion d’un congrès réunissant des archivistes et des historiens des îles du sud-ouest de l’océan Indien, en avril 1960, formule l’idée que notre métissage psychique et biologique a donné naissance à «un nouvel humanisme au coeur de l’océan Indien». Il le nomme «indianocéanisme».

Il le défini comme – je cite – «quelque chose comme un climat qui refléterait la croyance en des normes de vie, des tendances de pensée qui ne coïncident pas avec ce qu’on peut appeler les tendances européennes ou plutôt ses croyances dans ‘le progrès’, dans la domestication matérielle des forces de la nature comme base d’élévation sinon de libération de l’homme». Il souligne les caractéristiques communes à ces territoires reliés par l’histoire commune de leur peuplement, cimentés par le métissage, recivilisés par des religions malgaches, orientales et chrétiennes qui s’imprègnent pour former comme un archipel «où les diversités ne contrecarrent point les convergences».

De Rauville dira combien de tout temps l’océan Indien a été un espace d’échanges et de paix partagé par les peuples marins. Il parle déjà d’une «communauté» des îles australes de l’océan Indien, et postule que la connaissance de chacune des îles n’est possible que par la connaissance de chacune des autres. C’était une autre manière d’exprimer ce que l’archevêque sud-africain Desmond Tutu affirmera plus tard : «Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous.»

À ce même congrès, l’historien Auguste Toussaint dénonce les «divisions artificielles» qui pèsent sur l’océan Indien et remarque que «l’Histoire, plus que toute autre discipline, tend à améliorer les relations entre les peuples». Au fil du temps, d’autres passeurs, d’autres artisans, ont tracé ce même chemin de paix. Auparavant, Jules Hermann, avec son mythe de la Lémurie, englobant les Mascareignes et Madagascar, le berceau oublié de l’humanité ; Jean Albany, chantre de la Créolie ; Gilbert Aubry ; Paul Hoarau ; Malcom de Chazal ; les Malgaches…

C’est sur ce socle, porté par ce substrat commun, que les peuples de l’Indianocéanie entendent forger leur destin. Et c’est le désir de paix, partagé par tous, qui les inciteront à dépasser les diversités de toute nature, les différences de statuts, les préjugés anciens, pour chercher ensemble les moyens de promouvoir la paix, chez eux, sur leurs terres étroites souvent, et pour l’Indianocéanie dans son ensemble. Ce qui va donner sa première impulsion à l’organisation qui en découlera, c’est précisément ce combat pour la paix.

La COI est l’héritière de la première conférence internationale sur la démilitarisation de l’océan Indien à Antananarivo, en juillet 1973, où se retrouvent, pour la première fois, les partis et organisations «progressistes», disait-on, de la région. Nous sommes en pleine guerre froide. Américains et Soviétiques cherchent des points d’appui militaires dans les pays de la zone. La conférence d’Antananarivo proclamera la volonté des peuples de la région de resserrer leurs liens de pays non alignés.

«Nous le savons, l’autre nom de la paix, c’est le développement !»

C’est ce même désir de paix pour l’ensemble des pays de la région qui poussera la COI à s’impliquer fortement en matière de paix et de sécurité à chaque fois que des crises politiques menacent la stabilité d’un pays membre. Et l’intervention de la commission, de l’avis de tous, a fait la différence, même si le dispositif de paix et sécurité de l’Union africaine, qui repose sur des Communautés économiques régionales, exclu pour l’instant la COI, considérée par l’Union africaine comme une commission technique de gestion de projet. En plus, la commission suscite la méfiance parce qu’elle compte la France, à travers La Réunion, parmi ses membres. À Addis Abeba, on ne fait pas la nuance.

Preuve de la valeur ajoutée de notre action régionale, ce sont les interventions des médiateurs de la COI qui ont le plus efficacement contribué à la résolution des crises politiques dans la région. Je me contenterais d’évoquer ici combien la COI a été l’instrument de la paix retrouvée lors de la dernière crise à Madagascar, qui avait débuté en 2009 avec la fuite du président Ravalomanana et la prise du pouvoir par Rajoelina, devenu président de la Haute autorité de la transition. Les présidents du conseil de la COI, les secrétaires généraux successifs, vont s’impliquer totalement aux côtés d’autres acteurs régionaux et internationaux pour tenter de ramener la paix et la stabilité politique dans le pays.

Lors de la dernière crise, en vertu de son architecture Paix et Sécurité, l’Union africaine désigne la Southern African Development Community, la SADC, pour mener la médiation. Elle a beaucoup contribué mais c’est finalement la COI, ses instances, ses médiateurs qui ont formulé les propositions précises, qui ont permis une sortie de crise honorable pour les Malgaches et acceptable à la communauté internationale qui s’était mobilisée au sein du Groupe international de contact sur Madagascar, le GIC-M.

Parce que l’Indianocéanie est un espace de solidarité – au plus fort de la crise, contrairement aux autres organismes intergouvernementaux – la COI a maintenu la participation de Madagascar en son sein, parce que nous avons une histoire partagée, parce que la proximité des hommes a créé des liens forts et anciens. Parce que nous parlons le même langage, pas seulement la même langue, nous avions bien compris ce dont ces crises successives exprimaient. Parce que nous sommes restés en permanence à l’écoute, parce que nos intuitions sont aussi alimentées par ce substrat commun dont parlent nos passeurs, nous avons été en mesure d’aider à retisser les liens rompus.

C’est sous la présidence seychelloise de la COI, sur l’île Desroches, que les deux protagonistes de la crise vont se retrouver, à l’initiative du président Michel. C’est là que seront jetées les bases de l’accord final. C’est la formule dite «ni-ni», la non-participation des deux rivaux aux élections présidentielles. Pour accompagner le processus, la COI ira jusqu’à installer un bureau permanent à Antananarivo, dirigé par un diplomate d’expérience des Seychelles, Claude Morel, mis à sa disposition par Mahé.

Et c’est ainsi que nos propositions, quand elles ont été entendues par les médiateurs officiels, ont ramené la paix et la stabilité à Madagascar. Et plus significativement encore dans le cadre des institutions malgaches recrédibilisées. C’était, à nos yeux, indispensable, notamment pour la Cour électorale spéciale, une institution émanant de la Feuille de Route qui avait perdu tout crédit depuis qu’elle avait validé des candidatures manifestement illégales et remettant en cause le «ni-ni».

Notre souci n’était pas tant de formuler un mécanisme de sortie de crise acceptable à la «communauté internationale», mais d’aider à mettre en place des institutions nationales pérennes, capables de susciter le respect des citoyens malgaches. Notre longue fréquentation de l’histoire politique malgache nous a appris combien le peuple est attaché au respect de sa souveraineté.

C’est ce que nous avons fait, c’est ce qui a permis de tenir des élections libres et transparentes, ce qui a fait que le verdict a été respecté par les perdants, ce qui a fait que les électeurs malgaches ne sont pas descendus dans les rues. Cette contribution des artisans de la région a été saluée par Ramtane Lamamra, le président de la Commission paix et sécurité de l’Union africaine, et par le négociateur de la SADC, Joaquim Chissano.

Mais les problèmes politiques ne sont pas toujours réglés une fois pour toutes. Je suis sûr que la COI continuera à suivre la situation de près. Je sens à nouveau la montée des périls, je sais par expérience que c’est en amont qu’il faut agir.

La COI et les pays de la région comme Maurice ont également beaucoup contribué à trouver des solutions pacifiques aux crises qui ont longtemps déstabilisé les Comores également, le pays qui n’a pas usurpé son nom, l’archipel des sultans batailleurs. C’est ainsi que l’Indianocéanie et sa représentation politique et diplomatique sont devenus des artisans de paix dans la région, c’est ainsi que pour la première fois depuis longtemps, l’ensemble des pays de la région jouissent d’une stabilité politique leur permettant d’utiliser leur énergie à la recherche des moyens de développer leurs pays.

Car, nous le savons, l’autre nom de la paix, c’est le développement !