Publicité

Espions sniffant, piratage, «data capture» à Baie-du-Jacotet

31 juillet 2022, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Espions sniffant, piratage, «data capture» à Baie-du-Jacotet

Baie-Jacotet, Baie-de-Jacotet, Baie-du-Jacotet bez akoté ? La bataille fait rage autour du nom de ce lieu, épicentre de l’affaire «sniffing». Retour dans le passé pour comprendre le présent.

Nous voilà contraints de sniffer une atmosphère de mélodrame en cours laborieux de rédaction, se déroulant en partie à Baie-du-Jacotet. Air de déjà-vu, pour certains. D’autres, à la mémoirepassoire, se délectent d’une histoire à venir, peut-être sensationnaliste, mais qu’ils devraient pourtant connaître, si nous n’étions pas aussi crassement oublieux de l’histoire du pays, qu’école et collège n’enseignent pas ou mal.

Littré et Robert ignorent «jacotet». C’est tout dire. Ils nous laissent fantas- mer à propos des diminutifs de Jacob ou Yacoob et leurs jacqueries, jaquettes, jacquet se jouant sur trictrac, et même jactance si familière à parle mentère. Pour ces éminents lexicographes, jacquot est perroquet africain, se mettant volontiers à table pour peu qu’on le capture. Même pas besoin d’électrique.

Rien donc de comestible chez les lexicographes. Flore, sinon de baie du Jacotet, mais d’îlot Sancho, nous parle davantage. Nous la savons riche en pommes Jacot. Cet arbrisseau madécasse à feuilles coriaces fournit un fruit à chair farineuse, comestible si l’on n’est pas allergique à l’âcreté ou acrimonie. Hargneux s’abstenir ! Joseph Guého et Guy Rouillard le rapprochent du bois de natte à pomme singe dont parle Céré. Si leur encyclopédie, consacrée aux plantes de Maurice ignore «Jacotet», elle est volubile au sujet de l’herbe jacobée, originaire, non de l’Inde, mais de Chine (possible backyard entry). Céré la cultivait. Elle atteint un mètre de hauteur (à ne pas confondre avec Maître en herbe ayant peu plaidé). Ses fleurs orange ne passent pas inaperçues. Thompson et Bojer frisent l’extradition en l’affublant d’appellations scientifiques offensantes : «Cacalia hierasicoides» et «cacalia bicolor». Bon Dieu ! Où vont-ils chercher cela ? La jacobée de France ne présente aucun intérêt. Tant pis pour le jacobinisme, cher à Macronie montagnarde.

Le Dictionnaire Toponymique de Maurice de notre valeureuse Société de l’Histoire situe cette baie à l’embouchure des rivières des Galets et de Jacotet. L’Abbé de la Caille la nomme l’Anse du Poste Jacotet. La Compagnie des Indes connaît ce poste Jacotet (du nom du militaire qui en était responsable). Ces rivières séparèrent jadis Savane de Rivière-Noire. Ce rôle revient aujourd’hui à la rivière Baie-duCap, connue pour son Mât Condé (possible officier sémaphorique). Si partisans de Makondé m’en veulent, je plaiderais : «Sémaphore. C’est ma grande amphore ! »

«L’on connaît l’épisode manqué du Grand-Port d’août 1810 mais moins la folle tentative de débarquement à Jacotet. Retrouvons donc Willoughby espionnant nos côtes sud.»

L’Histoire nourrit mieux son homme. On dit même la petite, si gourmande, venant en mangeant. Notre Baie-du-Jacotet abonde en histoires d’espionnage, de piratage, de capture de données, de Mauriciens assez lâches pour laisser étrangers user et abuser de nos eaux territoriales, sans compter nos îles lointaines excisées, squattées, colonisées, militarisées. Rien de nouveau donc sous le soleil, plus orangé quand il se couche derrière secrets d’État et autres confidentialités. Mais défense de rêver kamarad, avant le crépuscule des plus tigit ki Bondié qu’on gobe pieusement, à longueur de propagandes vespérales, devant d’accommodantes caméras, en s’emmerdant copieusement, pour ne pas être plus offensant.

Décor planté à Baie-du-Jacotet, passons à l’Acte I. Nous sommes le 20 avril (Tiens ! Tiens !) mais en 1721. En retard de douze mois. Mouillent en future Baie-du-Jacotet, Victory et Fantaisie, voiliers d’Olivier Le Vasseur, dit La Buse, et de Taylor. Ces flibustiers reviennent gribouilles de l’Inde où ils n’ont rien trouvé à pirater. Difficiles les mecs. Ils rappliquent en apprenant (merci indicateurs, sinon espions) qu’un vaisseau de la Compagnie des Indes mouille à Bourbon. Ils y complotent de le capturer. Ils se rendent à l’île sœur. Fake News ! Point de voilier. Mais ils salivent en découvrant… La Vierge du Cap. Elle est drôlement amochée. Elle jauge 800 tonneaux. Elle est plutôt canon puisqu’elle en compte 70. De quoi inspirer ségatiers. Elle quitte Goa le 25.1.1721. Elle ramène le vice-roi portugais des Indes, le comte d’Ericeira, et un archevêque, Dom Sébastien d’Andrado. Un ouragan la sur- prend en mars 1721 et la dépouille de sa superbe : canons perdus, gouvernail aussi brisé que cuisine à chef bafouillant, mâts brisés comme voix de thuriféraires aux abois. Elle parvient à Bourbon mais pas au bout de ses peines. Elle débarque ses matelots malades. Coque vide avant Covid. Démâté, La Vierge du Cap, cuisine comprise, ne peut plus manœuvrer. Elle prête le flanc à prédateurs antipatriotiques, irrespectueux envers institutions, vice-roi et prélature compris. L’arrivée de deux navires inquiète d’abord. L’espoir renaît. Ils arborent l’Union Jack. Ouf ! Ericeira veut même les aborder. Patatras. Changement de drapeaux. L’Union Jack cède la place à drapeau noir avec crâne et tibias. Des pirates qui s’avouent tels et pas assez lâches pour s’abriter derrière un trompeur survey, se voulant anodin (de).

Épargnons à nos lecteurs, tenant le coup, les détails sanguinolents s’ensuivant. La Buse, Taylor et compagnons pirates s’emparent de La Vierge du Cap, se contentant de …vols. Leur forfait accompli, ils poussent jusqu’à la baie voisine de Saint-Paul. La Fantaisie remorque La Vierge du Cap. Ils font de même avec une Ville d’Ostende, mouillant par là. L’équipage a refusé de se défendre. Déjà contestation et indiscipline. Ils échangent vice-roi contre la modique somme de 2 000 piastres. On peut donc être féroce pirate mais médiocre boursicoteur. Pas d’obole pour le prélat. Les valeurs cardinales se perdent. Nos quatre voiliers font route vers Madagascar. Une mauvaise surprise les attend. La Ville d’Ostende manque à l’appel. Les prisonniers bataves ont profité de l’ivrognerie de pirates pour reprendre le pouvoir et filer en direction de Goa, via Mozambique.

Les absents ont toujours tort. Le partage du butin se fait à Madagascar, en l’absence de soulards capturés par Bataves. La part de chaque pirate se compose de… 42 diamants. Giscard salive. La valeur de l’or et de l’argent s’élève à 60 000 livres. L’orgie est telle que 80 pirates en crèvent.

Mis en verve par La Vierge du Cap, La Buse et Taylor s’emparent de la Duchesse de Noailles. Tudieu ! Quel appétit !

Sans louvoyer davantage, retournons à Jacotet. Acte II. Mais au 20e siècle. Quel saut dans le temps. Charles de la Roncière, conservateur au Musée de la Marine à Paris, contemple, en 1934, un cryptogramme, ancêtre peut-être de nos crypto monnaies. Il s’explique dans un livret, Le flibustier mystérieux qui est, nul autre, qu’Olivier Le Vasseur, alias La Buse. Critias, alias l’Auguste Docteur Toussaint, s’épanche sur ce livret comme sur le célébrissime trésor de La Buse. Il sévit dans La Feuille Commune (Advance, Le Cernéen, Le Mauricien) du 30.1.1946. Roncière privilégie un partage de butin à Sainte-Marie, Madagascar. Toussaint (sans dessous orange) penche pour Maurice. Il se prévaut de fouilles récentes effectuées en amont de notre Baie-du-Jacotet. Roncière abuse du crypto message. Mais Toussaint est trop fin, pour s’y laisser prendre. Une phrase de Roncière retient son attention et le trouble. « Je vous convie, gribouille ce conservateur, à une belle balade dans la belle ombre d’un beau vallon». Vous et moi pensons plutôt à Mahébourg et Beau-Vallon, mieux connus que Jacotet. Mais pirates, en quête de coffres-forts à l’abri de toute perquisition policière, sont moins friands que politicards de pléthores de thuriféraires, rémunérés ou pas. Ils abhorrent la transparence. Comme d’autres absolutistes, ils privilégient l’opacité, l’absence de témoins, pouvant devenir hostile en cours de procès. Déjà difficile de dissimuler bien mal acquis, de blanchir argent sale. Nos barons de la drogue, surtout desservant la ligne Maurice/Réunion, en savent quelque chose.

Toussaint-Critias se rend, en janvier 1946, en pèlerinage à Jacotet où s’entreprennent de nouvelles recherches du trésor de La Buse. Il raconte. Sur l’îlot Sancho, il contemple nostalgiquement une ancre de belle dimension, de formes anciennes, un vieux canon pas encore usurpé par gabelou muséologue, cercueil à ciel ouvert mais creusé dans le corail. L’îlot Sancho n’est pas que massif corallien émergeant de la mer par un bon mètre, ridiculisant notre réchauffement climatique, avec montée des eaux se chiffrant à quelques millimètres par décennie. Pensons ici pieusement à massif corallien situé entre Grenier et Musée intercontinental, témoin peut-être de millions d’années d’existence. Pensons tristement à semblable massif corallien, sis à Balaclava, qui fut mais qui n’est plus car sacrifié à tristes fins d’aménagement de plages hôtelières. En amont d’îlot sans chiot, en plein champ de cannes à biomasse avantageuse, 17 blocs de corail. Leur présence surprend ici. A moins d’être points de repère pour initiés et point de repères pour ignorant. Que signifient-ils ? Un survey pourrait nous renseigner. À quoi bon… Son compte rendu sera classé «secret d’État».

Autre changement de siècle mais pas de décor. Fin… avril 1810. Toujours à Baie-du-Jacotet. Acte III. Les environs regorgent d’esclaves fugitifs, affirme Amédée Nagapen, dans son livre de référence sur le Marronnage. Il dit les Anglais ayant accointances avec d’antipatriotes voulant pactiser avec l’Étranger. Des esclaves pensent de même. Des mercenaires à la solde d’Anglais ultra conservateurs leur font croire qu’un autre colonisateur, british born de préférence, leur accordera plus rapidement la liberté. Ils désirent donc aider ceux voulant renverser leurs maîtres-négriers. Nagapen mentionne un capitaine Munro voulant, avant la prise de l’Isle de France, effectuer un débarquement à Baie-du-Jacotet, s’assurer du soutien de Marrons qu’on dit en grand nombre mais aussi de colons, abhorrant assez l’empire napoléonien, comme la républicaine révolution française, pour épouser la cause aristo de la monarchie anglaise, et marcher triomphalement sur Port-Louis. La fin justifie les moyens. La Victoire ne saurait s’embarrasser de contradictions, telles Marrons au service de Sa Majesté britannique.

Sir Nesbit Josiah Willoughby connaissait-il le plan envahissant de Munro ? Nous l’ignorons. Mais on le sait espionnant nos côtes sud en avril 1810. Rappelons le contexte prévalant alors. Les corsaires français, frères Surcouf en tête, écument les navires marchands anglais, lourdement chargés car regorgeant de richesses subtilisées à la population indienne. Ils voguent poussivement vers leur port d’attache britannique. Mais il leur faut d’abord échapper à la rapacité de ces pirates français. Londres veut en finir avec ce nid de corsaires, abusant de la position stratégique de l’Isle de France à l’entrée sud-ouest de la Mer des Indes. Dès 1809, les Anglais prennent Rodrigues, puis la Réunion, en attendant l’Isle de France (décembre 1810). L’on connaît l’épisode manqué du Grand-Port d’août 1810 mais moins la folle tentative de débarquement à Jacotet. Retrouvons donc Willoughby espionnant nos côtes sud. Cette baie l’intéresse prodigieusement mais que deux batteries protègent. Willoughby commande déjà le Néréide, «une des meilleures frégates de la Royal Navy», au dire des uns, ou «une sale petite frégate de 12 canons», selon d’autres. Il y constate la présence d’un navire américain (mais neutre et donc inattaquable) de 400 tonneaux et d’une estafette. Des marins/soldats au nombre de 100 prennent place dans des canots, le Néréide restant prudemment en pleine mer. Ils débarquent sans encombre. Il y a deux versions de ce qui s’y passe. Raymond d’Unienville dixit lors d’une promenade causerie de la Société de l’Histoire, en date du 12.12.1958. L’anglaise est plus guerrière. La française plaide l’effet de surprise, empêchant pratiquement toute riposte. Laissons historiens se disputer à l’infini sur la préférence à accorder ici. Retenons que Willoughby reprend la mer, après avoir capturé les données stratégiques se trouvant à bord de l’estafette, sous forme de courrier confidentiel, destiné aux forces françaises à la Réunion, donnant mille renseignements sur les défenses côtières de l’Isle de France. Pain béni à …manger pour stratèges british born. Il n’y a pas que ce data capture. Il y a aussi prise d’homme, en la personne de commandant de quartier, Etienne Bolger. Willoughby consent à l’échanger contre cabris, cochons, volailles, fruits, légumes et autre victuailles. Ces provisions s’ajoutent à ce que les Anglais ont déjà réquisitionné pendant leur survey.

À Port-Louis, Decaen, gouverneur tout-puissant mais ignorant que son mandat s’achèvera plus tôt que prévu, fulmine curieusement contre ces étrangers, dont des soldats cipayes indiens, osant souiller le territoire sacré de l’Isle de France.

Ultime détail : on ne connaît aucune grosse moustache à Willoughby. En revanche, il porte un bandeau noir, cachant un œil perdu en glorieux combat. Cela accentue son côté pirate au long cours.