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Preetivi Ellis, spécialiste en médecine interne et en gériatrie

«Une hausse de la démence est inévitable»

1 mars 2025, 22:00

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«Une hausse de la démence est inévitable»

Le Dr Preetivi Ellis, qui détient une double spécialisation - médecine interne et gériatrie -, est l’invitée du Medical Update Group pour animer une conférence sur la démence et son impact sur la communauté et le budget de la santé en général. Conférence prevue pour lundi. Cette Mauricienne, qui exerce dans le département de médecine hospitalière au Peacehealth Sacred Heart Hospital à Springfield dans l’État d’Oregon aux Etats-Unis, prévoit, en raison du vieillissement de la population et du style de vie actuel, une hausse importante de la démence d’ici 2050. En parler, dit-elle, c’est se préparer financièrement en famille pour la prise en charge de la personne malade et sensibiliser les systèmes de santé publique pour qu’ils fassent provision pour des dépenses budgétaires supplémentaires.

Il y a des personnes qui font des études universitaires et ont un parcours en ligne droite. D’autres, en raison de circonstances indépendantes de leur volonté, zigzaguent mais finissent par obtenir leurs qualifications. Preetivi Ellis, née Pakeeroo, tombe dans cette dernière catégorie. Elle est née à Port-Louis, il y a 44 ans. Sa mère, qui a aujourd’hui 69 ans, a, dans le temps, fait un mariage mal vu aussi bien par sa famille que celle de son mari. C’est dans cette ambiance de rejet que naît notre interlocutrice. Les pressions familiales, de part et d’autre, finissent par avoir raison du couple. La maman de notre interlocutrice doit alors prendre le premier emploi qui s’offre à elle, à savoir machiniste dans une usine textile à Port-Louis. Aussi longtemps que le Dr Ellis s’en souvienne, après l’école, elle passe ses après-midis et ses soirées dans les locaux de l’usine à attendre que sa mère finisse de travailler à 22 heures. «Je faisais mes devoirs à l’usine», se remémore-t-elle.

Lorsque sa maman a l’opportunité de quitter Maurice pour aller travailler comme femme de ménage à Paris, elle confie sa fille à son frère. Preetivi Ellis n’a alors que neuf ans mais en raison de la dureté de la vie, elle sait que son passeport pour aller rejoindre sa mère un jour passe par les études. «J’étais focussed sur cet objectif.» A la fin de son cycle primaire au Sir Edgar Laurent Governement School, Preetivi Ellis intègre le London Collège, dirigé à l’époque par feu Harold Chan Lam. La jeune fille qui veut être médecin, opte pour les matières scientifiques et lorsqu’elle obtient son Higher School Certificate, elle est en mesure de partir rejoindre sa mère à Paris. Elle passe le concours d’entrée pour pouvoir intégrer une université et étudier la médecine mais la compétition est si rude qu’elle ne réussit pas.

Qu’à cela ne tienne, elle veut aller au bout de son rêve. C’est dans le Sud de l’Inde qu’elle se rend et intègre le Kasturba Medical College à Manipal où elle étudie la médecine pendant quatre ans et demi. Après quoi, elle regagne la France où sa mère travaille toujours et fait des ménages chez des personnes âgées. La jeune femme qui a pris l’habitude de l’accompagner durant son temps libre est fascinée par les petits vieux. Preetivi fait un an d’internat à L’Hopital Militaire de Percy, dans le sud de Paris. Après ça, elle passe le concours pour les Urgences à Paris et travaille comme interne dans le département de médecine d’urgence à l’Hôpital de Paris Assistance Publique Beaujon. Comme elle n’est pas encore fixée quant à la spécialité médicale qui va la passionner, au lieu de compléter cet internat de deux ans, au bout d’un an et demi, elle décide d’explorer d’autres disciplines de la médecine et cette fois, en Angleterre, toutes ses économies y passent.

C’est au Queen Medical Centre, hôpital universitaire de Nottingham qu’elle se rend et prépare ses équivalences en vue de partir pour les Etats-Unis «où les qualifications qu’on y obtient sont universelles.» C’est à Atlanta qu’elle atterrit et réussit ses examens et le match pour faire sa spécialisation en médecine interne. Entre 2009 et 2013, elle étudie et travaille dans plusieurs hôpitaux universitaires dans cette ville américaine - le Hillandale Medical Centre, l’Emory University Hospital, le Morehouse School of Medecine. Déterminée à réussir, elle obtient sa première spécialisation en médecine interne au bout de trois ans et réussit l’examen pour intégrer l’American Board of Internal Medecine.

C’est au cours de ses études qu’une amie la met en contact avec le Ghanéen Sam Ellis, ingénieur détenteur de deux masters, un en business administration et l’autre en healthcare administration et qui travaille dans la biotechnologie à Los Angeles. Après plusieurs échanges téléphoniques, ils finissent par se rencontrer et tombent amoureux. Ils se marient lors de sa dernière année de spécialisation et le couple s’installe à Los Angeles. C’est à l’université de Californie à Los Angeles que Preetivi Ellis étudie et obtient sa deuxième spécialisation en gériatrie.

Elle suit son mari au gré de ses affectations et c’est ainsi qu’ils font halte au Texas, en Californie et finalement dans l’Etat d’Oregon où elle exerce dans plusieurs hôpitaux. Cette maman de deux enfants (Audrey, 11 ans et Nolan, neuf ans), pose finalement ses valises au PeaceHealth Sacred Heart Hospital à Springfield dans l’Oregon où elle pratique surtout la médecine hospitalière, une discipline de la médecine interne. Avec un ami, elle met en place Revnabio, un laboratoire de diagnostic à Accra au Ghana et destiné à booster la recherche scientifique et biologique sur le continent africain.

Aux Etats-Unis, elle a souvent l’occasion de consulter des personnes âgées et note de plus en plus de cas de démence. La démence, dit-elle, est un ensemble de maladies de la vieillesse affectant la mémoire et le comportement. Les plus courantes sont la maladie d’Alzheimer, la démence fronto-temporale et la démence vasculaire. «Le risque de développer la démence est élevé lorsque l’on dépasse les 65 ans», précise-t-elle. Si la maladie d’Alzheimer a une composante génétique, la démence vasculaire peut être causée par un accident vasculaire cérébral ou une rupture d’anévrisme, surtout chez des sujets souffrant de diabète, d’hypertension et de cholestérolémie. Le cerveau est alors mal irrigué et rapetisse, occasionnant des pertes de mémoire et les changements de comportement. Le Dr Ellis estime que la démence fronto-temporale est la pire car elle peut affecter les personnes plus jeunes, soit dans leur trentaine, voire quarantaine. «La démence fronto-temporale affecte directement la partie du cerveau qui contrôle le comportement et la personne n’a alors plus de filtre».

La maladie d’Alzheimer est plus lente à se développer et est progressive. «Il n’y a pas de tests sanguins permettant de diagnostiquer facilement la démence. On dispose d’un questionnaire avec 30 points, le St Louis University Mental Status (SLUMS) Examination ou la Montreal Cognitive Assessment (MoCA). L’imagerie à résonance magnétique ou TEP/PETscan du cerveau peut aider à différencier la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire. La ponction lombaire, beaucoup plus invasive comme test, est rarement utilisée. Aux Etats-Unis, on voit davantage de personnes âgées présentant la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire. C’est triste de le dire mais les cas de démence vont augmenter. Globalement, il y a 1.1 milliard de personnes de plus de 60 ans. En 2020, il y avait 55 millions de personnes affectées par la démence dans le monde. Et d’ici 2050, ce nombre va doubler avec le vieillissement de la population et le fait que les gens vivent plus longtemps.»

Si la progression de la maladie d’Alzheimer, diagnostiquée à un stade précoce, peut être ralentie par des médicaments, il n’y a pas grand-chose à faire en cas de démence fronto-temporale. Par contre, il est possible de réduire les facteurs de risque de la démence vasculaire par notamment une marche rapide (brisk walking) quotidienne de 30 minutes et une alimentation saine. Sauf que le style et le rythme de vie des familles font qu’elles ont moins le temps de préparer des repas sains et se rabattent sur des fast-foods ou des mets surgelés à réchauffer. «Préparer des repas sains demande du temps et lorsque les familles rentrent à la maison après une journée de travail, c’est plus facile pour elles de commander une pizza ou de faire réchauffer des plats surgelés qui ne sont pas toujours sains.» La démence va impacter directement la communauté, estime-t-elle, car il n’y a pas suffisamment de soignants. «De plus, ce sera impossible pour les familles de rétribuer un soignant pour qu’il s’occupe d’une personne âgée malade 24 h sur 24. Et les membres de la famille n’ont pas le temps de le faire car ils doivent travailler. Tous les foyers n’ont pas forcément les moyens de placer leur parent âgé et malade dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou une maison de retraite. La démence met énormément de pressions sur la famille et sur la communauté en général.»

De toutes les façons, le Dr Ellis ne recommande pas le placement en Ehpad, sauf si la famille ne peut faire autrement car elle dit avoir noté que l’état de santé de la personne malade empire. «Elle connaît alors une perte de repères, est désorientée avec pour résultat qu’elle devient plus agitée et incontrôlable.»

Somme toute, on ne va pas y échapper. Il faudra composer avec un plus grand nombre de personnes âgées souffrant de démence. Selon le Dr Ellis, toute personne de 65 ans à monter, devrait faire, chaque année, un test de diagnostic avec le SLUMS ou MoCA. «Malgré toutes les avancées scientifiques, on verra malheureusement davantage de cas de démence, indépendamment de là où l’on vit. Il faut en parler, sensibiliser le plus possible pour que les gens soient conscients que le problème s’accentuera dans le futur et afin que les familles se préparent en termes d’aménagement de temps pour leurs vieux parents, de même que financièrement car les tests de diagnostic et les soignants coûtent cher, de même que le placement en Ehpad ou en maison de retraite. Les personnes qui commencent à vieillir doivent se préparer financièrement avant qu’elles ne soient malades. Le système de santé de chaque pays doit également se rendre compte que la démence va peser lourdement sur son budget et il doit y parer.»

Le Dr Ellis conclut l’entretien par une pensée philosophique. «Chaque jour est un jour qui ne revient pas. Faites les choses qui vous rendent heureux et au cours de ce processus, ne faites pas de mal aux autres. Regardons la vie avec optimisme, en voyant le verre plutôt à moitié rempli qu’à moitié vide.»