Publicité

Un Noël aux habits de vent

24 décembre 2024, 10:08

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Un Noël aux habits de vent

À Port-Louis, rue Bourbon, la ville ceinturée de collines, des guirlandes pendent mollement, agitées par un vent tiède et désabusé. Les enfants ont beau chanter autour du grand flamboyant, il flotte dans l’air une atmosphère sourde.

Car cette année, sur la place centrale, une affiche étrange s’est dressée. On y voit le Père Noël, le sourire figé… vêtu d’un simple pagne rouge, comme un pêcheur revenu bredouille de la mer aux requins.

Les langues se délient vite, amplifiées par les marchands de rêve. Certains jurent qu’il a vendu sa tunique pour éponger des dettes. D’autres racontent qu’il s’est délesté de ses habits pour danser avec les alizés. Mais dans l’ombre des vérandas et des crevasses, les anciens murmurent que ce n’est ni une farce, ni une mode.

La veille de Noël, alors que les cloches de l’église lancent leurs derniers échos sur la mer, Ti-Raoul, un garçon à la tignasse ébouriffée, ose la question :

— Grand-père, pourquoi le Père Noël estil tout nu cette année ?

Le vieil homme, les yeux perdus dans les souvenirs du Caïre, tire sur sa pipe à eau :

— Ti-Raoul, il fut un temps où le Père Noël était riche. Ses poches débordaient de jouets, de promesses et de bonbons. Mais il a cru que ses poches étaient sans fond. Alors, il a emprunté à la Banque et, pour cacher les trous, il a cousu des bouts de rubans et de mots doux.

— Et personne ne lui a dit d’arrêter ?

— Si, mon garçon. Mais il distribuait ses promesses avec tant d’éclats que personne n’a vu les coutures se défaire. Il disait : « Demain, ce sera encore plus beau. » Et tout le monde a voulu le croire sur parole.

Ti-Raoul frissonne :

— Et après ?

Le vieil homme hoche la tête :

— Après, la Banque a frappé à sa porte. Mais il n’avait plus rien. Il a vendu sa hotte, son traîneau, et même son manteau. Il ne lui restait que ce pagne et ses vieilles sandales.

Ti-Raoul sent un pincement au cœur.

— Et nous, qu’est-ce qu’on va faire ?

— Ce qu’on a toujours fait, Ti-Raoul. Espérer et veiller. Pour que les promesses trouées ne fassent plus de manteaux.

Cette nuit-là, quand le Père Noël arrive sur la place du Quai, vêtu de son pagne rouge, les enfants restent muets. Il n’y a ni cris, ni rires. Juste un silence de marée basse.

Ti-Raoul s’approche, tenant dans ses mains un vieux foulard brodé, usé mais propre.

— Père Noël, c’est tout ce que j’ai.

Le vieil homme pose une main tremblante sur l’épaule de l’enfant et, au lieu de s’en draper, enroule le foulard autour des frêles épaules de Ti-Raoul.

— C’est toi qui en as besoin, mon garçon. Garde-le bien au chaud.

Puis, il s’éloigne dans la nuit.

Au loin, une voix éclate :

— Nous ne voulons plus de pagnes rouges et de poches percées !

Une autre répond :

— Ni de promesses en guirlandes !

Les cloches se taisent. Et dans le ciel dégagé, les étoiles brillent d’une lumière autre. Ce Noël-là, il n’y a ni cadeaux ni rubans. Mais à Port-Louis, au pied de la Citadelle, un espoir prend racine. Car même nu, même avec ses habits de vent, un Père Noël peut réveiller une ville et lui rappeler que les contes les plus beaux sont ceux qu’on écrit avec les mains nues et le cœur plein.