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Questions à…
Sheila Cheekhoory : «Trente années à écouter la détresse psychologique et à prévenir le suicide»
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Sheila Cheekhoory : «Trente années à écouter la détresse psychologique et à prévenir le suicide»
Cette année, l’organisation non gouvernementale (ONG) Befrienders Maurice célèbre ses 30 ans d’engagement dans l’écoute et la prévention du suicide. Affiliée à Befrienders Worldwide, l’association, présidée par Doris Dardanne, s’est imposée comme une ligne de soutien essentielle pour des milliers de Mauriciens confrontés à des pensées suicidaires ou à une détresse émotionnelle. Sa trésorière, Sheila Cheekhoory, nous éclaire sur l’engagement et le fonctionnement de l’ONG.
■ Quel est le profil des personnes accueillies par Befrienders ?
Befrienders accueille toute personne en détresse psychologique, qu’elle exprime ou non des idées suicidaires. Les échanges se font dans la plus stricte confidentialité. L’objectif est simple : offrir une oreille attentive à ceux qui n’ont personne à qui parler. Il n’y a aucune obligation d’indiquer son nom et on ne porte aucun jugement.
■ Que voulez-vous dire par détresse émotionnelle ?
La détresse prend différentes formes. Chez les jeunes, elle peut se manifester par une baisse des résultats scolaires, l’absentéisme ou des changements d’attitude. Chez les adultes, elle se traduit souvent par des troubles du sommeil, une perte d’appétit, une consommation excessive d’alcool ou de drogues ou encore des conflits familiaux. Pour certains, ces problèmes s’accumulent au point de sembler insurmontables. Il devient alors crucial de pouvoir en parler.
■ Comment abordez-vous les situations à risque ?
Lorsque nous recevons un appel ou un témoignage inquiétant, nous évaluons la situation de manière très attentive. À travers un échange ouvert, nous essayons de comprendre l’état émotionnel de la personne et de déterminer si elle a besoin d’une aide immédiate, médicale ou psychologique. Notre rôle est d’écouter sans juger mais aussi de réagir rapidement si une vie est potentiellement en danger. Dans certains cas critiques, une intervention médicale est nécessaire, parfois avec l’appui des services d’urgence.
■ Quels sont les signes d’alerte à repérer ?
Les signes peuvent être verbaux, avec des phrases telles que «Je suis un fardeau» ou «Vous serez mieux sans moi» ou non-verbaux : isolement soudain, changement d’apparence, perte d’intérêt pour les activités habituelles. Face à cela, il est essentiel d’oser poser des questions. Dire «je te sens différent, est-ce que ça va ?» peut ouvrir un espace de parole salvateur. Demander directement à une personne si elle pense au suicide ne provoque pas le passage à l’acte. Au contraire, cela peut la soulager.
■ Quels défis rencontrez-vous ?
Certains appels sont compliqués à gérer. Des personnes intoxiquées ou très en colère peuvent insulter les bénévoles. D’autres raccrochent brusquement. Les équipes sont préparées à gérer ces situations avec calme. Mais l’un des plus grands défis reste la stigmatisation : beaucoup hésitent encore à demander de l’aide, par peur du jugement ou par méconnaissance.
■ Travaillez-vous avec les écoles ?
Oui, certainement. Nous intervenons régulièrement dans les établissements secondaires et tertiaires, principalement à leur demande. Grâce à une collaboration avec le ministère de l’Éducation, Befrienders a mené des campagnes de sensibilisation auprès des enseignants des collèges des quatre zones de l’île. L’objectif est de former les enseignants à repérer les signaux de détresse chez les élèves et à réagir de manière adaptée. Nous croyons fermement que l’éducation émotionnelle est aujourd’hui indispensable dans les établissements scolaires.
■ Combien de personnes accompagnez-vous chaque année ?
Nous recevons environ 3 000 appels par an, en plus d’une centaine de suivis en face-à-face. Récemment, nous avons aussi lancé trois numéros WhatsApp pour nous adapter aux habitudes de communication des jeunes, notamment. Cela permet une première prise de contact plus discrète et accessible.
■ Faites-vous des visites à domicile ?
Non, sauf cas très exceptionnels, par exemple, si la personne est hospitalisée ou incarcérée. En principe, notre travail s’effectue par téléphone ou dans nos locaux.
■ Que faire si un proche refuse de demander de l’aide ?
Il est vrai que tant qu’une personne est adulte et volontaire, elle doit faire la démarche de demander de l’aide d’ellemême. Cependant, nous avons tous un rôle à jouer : la prévention du suicide nous concerne tous. Cela peut toucher un membre de la famille, un ami, un collègue. Être présent, maintenir le lien, écouter sans juger peuvent faire une vraie différence. Il ne s’agit pas de forcer mais d’instaurer un climat de confiance et de rappeler, avec bienveillance, que l’aide existe et qu’elle est accessible. Parfois, le simple fait d’être là, d’écouter sans insister, suffit à ouvrir une porte.
■ Trente ans d’engagement. Que ferez-vous pour marquer cet anniversaire ?
Befrienders organise plusieurs événements, dont une journée de sensibilisation, le 10 septembre, à l’occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide. Des professionnels de santé y animeront des ateliers interactifs et des conférences.
Parallèlement, nous poursuivrons notre campagne de sensibilisation à travers l’île pour rappeler que la prévention du suicide est l’affaire de tous. Nous sommes également disponibles pour animer, sur demande, des sessions de sensibilisation au sein d’organisations afin de renforcer la compréhension et la prévention autour de la santé mentale et du suicide.
Un mot peut tout changer
Befrienders rappelle qu’un mot peut tout changer et qu’une oreille attentive peut sauver une vie.
Les numéros utiles à retenir : Ligne gratuite : 800 9393 (sur téléphone fixe) WhatsApp : 5483 7233, 5831 5551, 5810 4317
Interview réalisée par A. P. et D. T.
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