Publicité
Éclairage
Robin des Bois des temps modernes
Par
Partager cet article
Éclairage
Robin des Bois des temps modernes

Le 5 juin, le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, a dévoilé le premier Budget de l’Alliance du changement : une feuille de route ambitieuse pour un pays à la croisée des chemins, sur les plans économique et social. Ce Budget s’appuie sur une philosophie selon laquelle les plus fortunés doivent être taxés pour soutenir les couches les plus vulnérables de la société. Le gouvernement endosse ainsi le rôle d’un Robin des Bois des temps modernes.
Dans un contexte marqué par la menace d’une dégradation de la note souveraine par Moody’s – ce qui fragiliserait davantage la confiance des investisseurs –, ce Budget doit également répondre à l’impératif crucial de consolidation fiscale. L’équilibre entre justice sociale et rigueur économique sera la clé de voûte du succès ou de l’échec de cette nouvelle stratégie.
Cependant, il faut se rendre à l’évidence : un exercice budgétaire ne peut jamais satisfaire tout le monde. Il est tout simplement impossible de concilier les intérêts divergents de tous les acteurs économiques tout en répondant aux attentes sociales grandissantes.
Le Budget 2025-26 s’inscrit donc dans cette réalité budgétaire. Il a, certes, suscité frustrations et contestations sociales, notamment avec la mesure visant à étendre progressivement l’éligibilité à la pension jusqu’à 65 ans. Pourtant, cette décision repose sur une certaine cohérence : il est légitime qu’un salarié, qu’il soit du public ou du privé et percevant un revenu raisonnable, ne puisse toucher sa pension de retraite qu’à l’âge légal. Cette réalité devrait être limpide comme de l’eau de source. Certes, la forme peut être adaptée – retraite anticipée pour les métiers pénibles, programmes de formation et de reconversion pour les travailleurs âgés – mais sur le fond, la situation est implacable. Les dépenses publiques liées à la pension universelle ont explosé ces dernières années, pesant lourdement sur le PIB. Selon le Fonds monétaire international, elles représentaient 3,7 % du PIB en 2013, 5 % en 2015, et pourraient atteindre 11 % en 2060.
Le Budget 2025- 26 mise ainsi sur une consolidation fiscale pour augmenter les revenus de l’État, estimés à Rs 223 milliards pour l’exercice en cours, soit une hausse de Rs 42 milliards (23 %). Parallèlement, il tente de contenir la progression des dépenses courantes à seulement 4 %. Ainsi, le Premier ministre et ministre des Finances vise l’essentiel : contrôler les dépenses publiques grâce à une meilleure efficience des institutions et à la réduction du gaspillage, tout en augmentant les recettes fiscales. Cette hausse repose principalement sur une taxation accrue des plus fortunés et des grands conglomérats, dans le but de soulager les plus démunis et de favoriser leur ascension sociale.
C’est un appel à la solidarité nationale que lance Navin Ramgoolam à ceux qui en ont les moyens. Dans un contexte où «l’économie est en ruine», cet effort, dit-il, est nécessaire, bien qu’il soit temporaire – prévu pour durer trois ans –, le temps de reconstruire les bases économiques.
Le gouvernement opère un rééquilibrage stratégique de sa politique fiscale, privilégiant une hausse des impôts directs tout en limitant la pression sur les taxes indirectes, souvent jugées plus injustes socialement. Cette orientation vise à protéger les ménages à faible revenu face à l’inflation et à assurer une redistribution plus équitable des richesses. Les recettes issues des impôts directs devraient croître de 31 %, contre seulement 9 % pour les taxes sur la consommation. Ce choix délibéré allège le fardeau fiscal sur les consommateurs, en particulier les plus vulnérables, en renforçant la contribution des plus hauts revenus. Trois postes clés – impôts directs, taxes à la consommation et recettes liées à l’accord sur les Chagos – représenteront plus de 82 % de la hausse totale des recettes publiques. À eux seuls, les impôts sur le revenu et les bénéfices contribueront à hauteur de 36 %.
Parmi les mesures phares, la réforme de l’impôt sur le revenu des particuliers réduit le nombre de tranches de 11 à trois, avec une nouvelle contribution de solidarité : 10 % supplémentaires pour les revenus annuels entre 12 et 24 millions de roupies, et 20 % au-delà. Ces mesures s’inscrivent dans le principe de capacité contributive et renforcent la justice sociale.
En pratique, cette réforme ne touchera qu’une infime minorité : les statistiques fiscales 2023-24 montrent que seulement 2 054 personnes déclarent un revenu net supérieur à 5 millions de roupies, avec une moyenne de 10 millions. Moins de 1 000 contribuables dépasseront le seuil des 12 millions, limitant ainsi l’impact fiscal.
Par ce choix assumé d’une fiscalité plus progressive, le gouvernement ambitionne de réduire les inégalités, d’améliorer la répartition des richesses et de préserver le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires, dans un contexte économique mondial incertain.
Le premier Budget de l’Alliance du changement lance par ailleurs plusieurs chantiers d’infrastructure – logement, transport, eau, déchets solides, drains – pour un investissement de Rs 128 milliards sur cinq ans. Mais surtout, il témoigne d’une volonté de poser une nouvelle feuille de route économique fondée sur l’innovation, la recherche, les investissements, la productivité et le bien-être collectif. Le gouvernement entend rompre avec l’ancien modèle de croissance basé sur la consommation et ses lourdes importations qui siphonnent les devises.
Par ailleurs, le gouvernement ne veut pas prendre de retard face à la révolution de l’intelligence artificielle. Il prévoit les moyens nécessaires pour intégrer l’IA dans la culture administrative, un pari audacieux et ambitieux. En misant sur une fiscalité plus progressive et une rigoureuse maîtrise des dépenses publiques, le Budget 2025-26 ouvre la voie à une profonde réorganisation du modèle économique mauricien. Mais la route s’annonce semée d’embûches.
Une fois l’effet d’annonce passé, il faudra entreprendre un vaste travail de pédagogie pour expliquer les mesures budgétaires. C’est une tâche que mène déjà le ministre délégué aux Finances, Dhaneswar Damry, lui-même entrepreneur dans l’âme. S’il parvient à apaiser les tensions sociales et économiques, d’autres portes pourraient s’ouvrir à lui – et au pays.
Le nouveau gouvernement devra conjuguer habilement solidarité nationale et discipline budgétaire, sous peine de voir s’effondrer la fragile reconstruction économique qu’il espère. L’enjeu dépasse le simple exercice financier : c’est la crédibilité même du gouvernement et l’avenir de Maurice qui se jouent aujourd’hui. Le duo Ramgoolam-Bérenger joue gros. Après avoir fustigé la mauvaise gestion économique du précédent régime, ils ont désormais un devoir de résultat.
Publicité
Publicité
Les plus récents




