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Qui doit porter le fardeau de l’économie ?
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Qui doit porter le fardeau de l’économie ?
Dans le vaste théâtre des nations, où les idéologies s’affrontent et les régimes se succèdent, l’économie reste un champ de bataille central. Pourtant, au-delà des chiffres et des promesses, une question cruciale persiste : à qui confier les rênes économiques ? Aux politiciens, souvent perçus comme des manipulateurs des faits au service de leurs ambitions personnelles ou aux technocrates, gardiens autoproclamés de la rationalité et de l’expertise, mais sans états d’âme ?
Le Premier ministre britannique sir Keir Starmer, nouvellement arrivé au pouvoir, avait dénoncé «l’héritage noir» laissé par son prédécesseur conservateur : un déficit budgétaire abyssal de 26 milliards de livres. De l’autre côté de la Manche, la France n’est guère en meilleure posture, avec un déficit budgétaire de 172,1 milliards d’euros en 2023. À Maurice, la scène est tout aussi dramatique : l’Alliance du changement a hérité d’une économie «désastreuse», selon Navin Ramgoolam. Le rapport State of the Economy, fruit d’un audit postélectoral, dénonce un maquillage statistique orchestré par l’ancien tandem au pouvoir, Pravind Jugnauth et Renganaden Padayachy. Les chiffres révisés parlent d’une baisse nominale du Produit Intérieur Brut de 22 milliards de roupies pour 2023, une révision qui frappe par son ampleur.
L’histoire économique moderne est parsemée d’exemples où la vérité a été manipulée à des fins politiques. Goebbels, maître de la propagande nazie, avait institué une règle sinistre : un mensonge répété mille fois devient une vérité. Aujourd’hui, ce cynisme s’actualise sous des formes plus subtiles, mais tout aussi destructrices. L’économie devient un outil de storytelling politique : des tableaux flatteurs sont présentés pour masquer une gestion désastreuse.
Ces manœuvres ne sont pas sans rappeler l’époque stalinienne, où la famine en Ukraine était dissimulée derrière une façade d’utopie soviétique. La différence, aujourd’hui, réside dans la vitesse et la portée des manipulations numériques. Les algorithmes, ces nouveaux instruments de pouvoir, amplifient les récits fallacieux et distraient l’opinion des vérités essentielles : la dette publique, les déficits budgétaires, et surtout, l’absence criante de réformes structurelles.
Les politiciens, par définition, naviguent dans des eaux mouvantes, où la survie électorale prime souvent sur l’intérêt général. À Maurice comme ailleurs, les cycles électoraux encouragent des décisions à court terme, souvent déconnectées des impératifs économiques à long terme. L’utilisation opportuniste des ressources publiques, comme la manipulation des fonds de la banque centrale, illustre les dangers d’un système où l’économie est subordonnée aux calculs politiques. Quand Rama Sithanen avait parlé d’«helicopter money», il avait enfilé son béret de patriote indépendant. Aujourd’hui il a changé de casquette.
Mais le problème ne se limite pas à la malhonnêteté ou à l’incompétence. Il est aussi structurel. La tentation de confondre croissance économique et marketing politique créé un cercle vicieux, où les solutions durables sont sacrifiées sur l’autel des promesses électorales.
Face à cette dérive, les technocrates apparaissent comme une alternative séduisante. Dotés d’expertise et (en théorie) dénués d’ambitions partisanes, ils incarnent une rationalité nécessaire. Pourtant, leur approche n’est pas sans risque. L’histoire récente regorge d’exemples où des technocrates ont privilégié des réformes brutales, ignorant les réalités sociales et politiques des sociétés qu’ils cherchaient à transformer. La crise de la dette en Europe, gérée sous l’égide de technocrates de la Troïka, a laissé un goût amer dans les pays périphériques, souvent contraints à des sacrifices démesurés.
Alors, quelle voie choisir ? La réponse réside peut-être dans un modèle hybride. Une économie saine nécessite une articulation entre vision politique et expertise technocratique. Les politiques publiques doivent être ancrées dans la réalité économique, mais également guidées par une boussole morale et une sensibilité aux besoins sociaux. Cela suppose une transparence accrue dans la gestion des affaires publiques, des institutions robustes pour surveiller les abus, et un effort constant pour éduquer l’opinion publique sur les enjeux réels.
À Maurice, cette refonte doit aller plus loin. Le paysage politique, dominé par des dynasties et des intérêts particuliers, doit s’ouvrir à de nouveaux visages et à de nouvelles idées. Les électeurs indécis ont un rôle crucial à jouer. Ils doivent refuser de céder aux mythes et aux manipulations, et exiger des réponses claires sur les grands défis du pays.
Dans un monde où le pouvoir économique est souvent instrumentalisé, la quête de vérité devient un devoir collectif. Face à la cacophonie des promesses et des narratifs contradictoires, il est urgent de réaffirmer l’importance des faits. Non pas des «faits alternatifs» fabriqués par des machines de propagande, mais des faits vérifiés, discutés et partagés.
Car au-delà des chiffres, c’est une question de confiance. Et la confiance, cet actif intangible mais vital, est le fondement d’une économie prospère et d’une démocratie vivante. L’économie ne peut rester l’otage ni des politiciens ni des technocrates : elle appartient à ceux qui ont le courage de regarder la vérité en face.
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