Faisons un petit jeu. Vous devez rédiger une lettre importante sur un sujet confidentiel. Votre première réaction, de nos jours, serait sans doute de vous installer devant votre ordinateur et de taper mécaniquement. Vous vous souciez des lettres et non de vos pensées. Refaites l’exercice en prenant cette fois une feuille blanche et un stylo pour rédiger. Les sensations sont-elles les mêmes ?

Dans le deuxième cas de figure, vos doigts doivent tenir le stylo, vous devez presser sur la surface de la feuille, votre main va former des lettres, votre cerveau agit sur votre attention. Cette technique favorise même votre orthographe et l’écriture. Donner des tablettes aux enfants du primaire est un pas en avant ? Apprendra-t-il mieux à former les lettres, les mots, à les épeler et à les prononcer ? Lorsqu’il tape sur un clavier, obtient-on les mêmes résultats ?

Pourquoi constate-t-on que le niveau baisse en orthographe et en écriture cognitive (ce qui implique l’activité du cerveau), particulièrement quand les jeunes et les ados s’envoient en permanence des messages via leurs téléphones ? Ils utilisent une orthographe atrophiée et résument les mots en quelques lettres. Ils ont même inventé, sans le savoir, une façon d’écrire qui favorise la vitesse, le raccourci au détriment du vocabulaire et de l’expression d’une pensée profonde. Il ne faut alors pas s’étonner que leur vocabulaire s’appauvrisse et que la maîtrise de l’orthographe baisse.

L’écriture manuscrite C’est-à-dire à la main.

Deux petites définitions pour la cognition. D’abord, la mnémotechnique, ce qui aide la mémorisation, qui la facilite... un outil de la mémoire. Ensuite, l’encéphalographie. Quand on écrit à la main, elle enregistre les activités électriques du cerveau qu’elle reproduit sous forme d’un tracé.

Il faut, dès que faire se peut, continuer à écrire le plus souvent à la main. Ce type d’écriture, différent du clavier, implique d’associer des sons, la formation des lettres favorisant ainsi la lecture et l’orthographe, pas seulement chez les enfants. Écrire à la main stimule le cerveau, ce qui est nettement moins le cas quand on tape simplement sur le clavier. Cela améliore même la concentration.

Prenez le cas des étudiants. Il est prouvé par des chercheurs que ceux qui prennent des notes à la main, au lieu de les saisir au clavier, retiendront mieux les cours. Cette connectivité cérébrale, et cela a été démontré, explique leurs meilleurs résultats. Cette écriture manuscrite engendre des capacités mentales comme la pensée critique ou la créativité. Des avantages cognitifs évidents.

De nos jours, les claviers et les écrans ont supplanté l’écriture à la main en classe, au bureau, durant des réunions. Or, on se souviendra davantage de ce qu’on a écrit à la main que sur un clavier. Ça fixe la mémoire et renforce l’apprentissage d’une langue. Ah, le bon vieux temps du penmanship à l’école primaire !

Dès l’enfance

Revenons à l’enfant.En écrivant à la main, il apprend inconsciemment à relier des lettres d’un mot, donc à unifier une idée. Il maîtrise mieux alors l’alphabet. Certes, il pense plus lentement, mais son cerveau capte mieux les idées et les contenus. Ses mains «actionnent» en quelque sorte les capacités du cerveau. Il pourra plus facilement coucher sur le papier ses propres pensées. Taper sur un clavier est monotone, cela mobilise moins le cerveau et entraîne une certaine uniformité. Pour rester concentré de manière satisfaisante, l’écriture manuscrite est une aide précieuse. Si l’on veut que l’enfant soit plus apte à assimiler des connaissances, mettez-lui un stylo (le temps de la «plume» est révolu) en main. C’est un exercice plus lent, mais moins passif que devant le clavier d’un ordinateur.

Tout ceci a été vérifié par des chercheurs grâce à l’encéphalogramme. La courbe enregistrée est nettement plus prononcée avec une écriture au stylo et presque plate avec le clavier. Et puis, avouons-le, l’écriture manuscrite provoque un petit plaisir physique, voire une activité amusante qui n’est pas monotone.

Cognition et cerveau

L’exercice de l’écriture à la main dépasse largement le simple fait d’appuyer sur des touches. Entrent en jeu l’information visuelle et auditive, des sens que le clavier ne titille pas. Le toucher avec le stylo à la main active des zones du cerveau que n’exerce pas le toucher au clavier. Dans le premier cas, la cognition est supérieure parce qu’elle touche les sens, la mémorisation, l’apprentissage. On est plus attentif, plus concentré et on mémorise mieux le texte que l’on rédige. Ce sens du toucher joue un rôle essentiel pour assimiler l’information.

Le cerveau est alors comparable à un réseau routier qui va flécher de nombreuses directions. Le fait d’écrire à la main indique à l’enfant l’autoroute à emprunter en reliant différentes parties du cerveau pour faire circuler l’information.

Essayez un autre petit exercice. Pour faire un dessin, on peut dessiner sur un écran tactile et déclencher ainsi une activité cérébrale. Dessiner à la main met en route différentes zones d’activités cérébrales. Seule l’écriture à la main, contrairement au clavier, va provoquer ces oscillations effectives. Or, pour un enfant en primaire, le développement du cerveau est essentiel. Ce cerveau l’entraîne de façon qu’il s’en sorte même sur une route très fréquentée, soit toutes les nouveautés qu’on veut lui inculquer.

Une société productiviste optera définitivement pour l’écriture sur l’iPad. Comme un cautère sur une jambe de bois. On panse, mais on ne pense pas. Il n’est pas question ici de faire le procès du clavier, mais de démontrer comment, dans certains cas précis, il vaut mieux avoir recours à l’écriture manuscrite si l’on veut activer la mémoire, la pensée critique (comme se remettre en cause), la créativité (pour un poème par exemple).

Cette chronique résume des travaux menés par des chercheurs. Essayez de vous remettre à l’écriture à la main pour tout ce qui est confidentiel, comme pour une lettre d’amour (c’est très vintage, ça). C’est comme le slow que seule l’ancienne génération pratique encore. Il est mort pour les jeunes générations, mais quoi de plus sensuel que ce corps à corps de quelques minutes ? Ringard ?

Profitons-en pour rendre hommage à Roberta Flack, récemment décédée, interprète du slow intemporel Killing Me Softly. C’est un peu ce que l’on peut ressentir quand on se saisit d’un stylo pour jeter ses confidences sur papier.

«Il est des phrases qui ne peuvent s’écrire qu’à la main.»