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Éclairage

Maurice : du miracle économique à l’épreuve de la réalité

15 avril 2025, 06:00

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Maurice : du miracle économique à l’épreuve de la réalité

Lorsque The Economist, l’un des magazines les plus respectés en matière d’analyse économique internationale, consacre un article à Maurice, c’est souvent pour souligner les singularités remarquables de cette île de l’océan Indien. Mais cette fois, c’est sur un ton plus grave que l’hebdomadaire britannique sonne l’alerte, dressant un portrait d’un «miracle économique» vacillant, emporté par les dérives de sa gouvernance, les faiblesses structurelles de son appareil productif et l›explosion incontrôlée de sa dette publique. Ce constat sans concession impose une réflexion en profondeur sur les défis qui menacent aujourd’hui la soutenabilité du modèle mauricien.

Pendant plusieurs décennies, Maurice avait su séduire par sa capacité à dépasser les contraintes de son insularité. En transformant une économie jadis mono-sectorielle, dominée par la canne à sucre, en un modèle de diversification intégrant à la fois l’industrie manufacturière, les services financiers et le tourisme, entre autres, le pays avait réussi à élever son niveau de vie, réduire la pauvreté et bâtir une classe moyenne dynamique.

Pourtant, derrière cette success story, les fragilités s’accumulaient. The Economist souligne, à juste titre, que l’embellie économique repose désormais sur des fondations de plus en plus instables, au point de faire craindre une crise profonde si des mesures courageuses ne sont pas rapidement prises.

À analyser l’actuelle architecture économique, une réalité saute aux yeux : les moteurs de croissance d’hier donnent de sérieux signes d’essoufflement. Le secteur agricole, jadis porté par l’industrie sucrière, est en déclin depuis de nombreuses années. Incapable de se réinventer face aux changements structurels du marché mondial, il a vu nombre de planteurs abandonner leurs terres, faute de rentabilité et de soutien adéquat. La filière cannière, pourtant symbole de l’essor initial du pays, est aujourd’hui réduite à une part marginale du PIB, illustrant le désengagement progressif du monde rural.

Le tourisme, pilier incontournable de l’économie mauricienne depuis les années 1980, peine également à retrouver son dynamisme d’avant la pandémie. Si la fréquentation européenne, notamment française et allemande, et sud-africaine, reste relativement stable, les professionnels du secteur ne parviennent pas à diversifier leur clientèle et à conquérir de nouveaux marchés à fort potentiel. Pendant ce temps, des concurrents directs comme les Seychelles ou les Maldives ont réussi à repositionner leur offre, en attirant massivement les touristes indiens, chinois et du Moyen-Orient. Cette stratégie privilégiant le statu quo pèse lourdement sur la compétitivité touristique de Maurice, dont le modèle demeure trop centré sur ses marchés traditionnels et vulnérables aux chocs économiques exogènes. Cela, alors même que les cas d’agressions et de vols contre les touristes se multiplient et sont loin de projeter une image positive sur la destination touristique mauricienne.

Autre pilier sous pression : le secteur financier. L’île, qui s’était imposée comme une plateforme incontournable pour les investissements vers l’Inde et l’Afrique, subit les conséquences du renouvellement du traité fiscal avec l’Inde en 2016. La perte de certains avantages fiscaux, conjuguée à une pression réglementaire internationale accrue, notamment de la part du Groupe d’action financière (GAFI) et de l’Union européenne, a affaibli l’attractivité du centre financier mauricien confronté aujourd’hui à d’autres compétiteurs dans la région. Les choses se compliquent avec une Financial Services Commission sans Chief Executive Officer depuis quatre mois suivant le changement du gouvernement, alors que les dossiers s’empilent et les interrogations et autres demandes d’informations des opérateurs restent sans réponse. Entretemps, l’exode des jeunes professionnels en quête de meilleures opportunités dans d’autres juridictions se poursuit.

Signaux inquiétants

Quant au textile, autre fleuron industriel né des réformes des années 1980, il a été rattrapé par la concurrence des pays à bas salaires comme Madagascar ou le Bangladesh. Face à une grave pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur, l’imposition de 40 % des exportations sur les exportations, dont le textile, par la nouvelle administration Trump, même si un sursis de 90 jours a été accordé, devrait changer la configuration de cette industrie avec le renouvellement de l’African Growth and Opportunity Act fortement en suspens.

Sans doute, le climat de gouvernance constitue des signaux inquiétants. L’image du pays reste pour le moins écornée par les arrestations, largement relayées dans les médias internationaux, de plusieurs figures emblématiques du précédent gouvernement. L’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, son ministre des Finances, Renganaden Padayachy, ainsi que l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, sont désormais éclaboussés par des affaires de blanchiment d’argent, de détournement de fonds publics et de mauvaise gestion. Ce contexte a accentué la défiance aussi bien des citoyens que des investisseurs étrangers, minant le capital de crédibilité que Maurice avait patiemment construit depuis son indépendance.

En même temps, on entend la petite musique qui monte et qui veut faire croire dans certains milieux que la Financial Crimes Commission (FCC) est en train d’overdo par rapport à ces high profile cases impliquant ces ex-VVIP. Or, de l’avis de certains observateurs, «il faut savoir ce qu’on veut. Soit on veut un pays où les puissants restent impunis, comme c’était le cas avant, ou on veut un judiciaire foncièrement indépendant avec une seule justice pour tout le monde, même si certains, ayant occupé des postes hiérarchiques au sein de l’État dans le passé, doivent faire des défilés au siège de la FCC».

Sur le plan macroéconomique, les signaux d’alerte se multiplient. Le poids de la dette publique a explosé, atteignant des niveaux jugés inquiétants, 90 % du PIB en juin prochain, selon le Premier ministre, Navin Ramgoolam, récemment au Parlement. En parallèle, le déficit budgétaire a dérapé, frôlant la barre symbolique des 10 % du PIB, conséquence d’une politique irresponsable de dépenses publiques de l’ancien régime. Après Moody’s, c’est au tour de Standard & Poor’s de placer Maurice dans son viseur, brandissant la menace d’une dégradation de la note souveraine si aucune correction rapide n’est opérée. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale observent la situation avec une attention soutenue, rappelant que le pays ne dispose que d’une marge de manœuvre financière extrêmement limitée pour amortir de futurs chocs. Le changement politique intervenu à l’issue des élections de novembre dernier a certes évité une dérive incontrôlée. En écartant un pouvoir discrédité par les affaires et la mauvaise gestion, les électeurs ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour redresser la barre. Cependant, cette opportunité reste fragile. Le nouveau gouvernement, dirigé par un Premier ministre qui a choisi d’assumer également la charge du ministère des Finances, sera jugé quant à sa capacité à opérer un redressement rapide et crédible. Le prochain Budget, très attendu par l’ensemble des acteurs économiques, devra répondre à une double exigence: contenir les pressions sociales dans un contexte de vie chère, tout en engageant des réformes structurelles douloureuses pour assainir les finances publiques.

Au-delà de l’urgence budgétaire, la question fondamentale est celle du modèle de développement. Maurice ne pourra pas durablement renouer avec la prospérité sans repenser en profondeur ses stratégies économiques.

Pour beaucoup, Maurice est aujourd’hui pris au piège du middle income trap, ce cap redouté où une économie, après une phase de rattrapage, stagne, faute de sauts qualitatifs en innovation, en productivité et en montée en gamme. Rama Sithanen, gouverneur de la Banque de Maurice, résume la situation avec une métaphore dans l’article de The Economist : «Nous sommes comme les Queens Park Rangers, une équipe anglaise en seconde division. Excellente dans les ligues inférieures, mais incapables de s’imposer au plus haut niveau.»

Le «miracle économique» dont parle la publication britannique n’est donc pas mort. Maurice dispose d’atouts : une localisation stratégique, un environnement fiscal attractif, un État de droit fonctionnel et une culture démocratique bien ancrée. Le pays peut encore attirer des investisseurs dans la fintech, par exemple, les fonds d’investissement et les family offices : «Si JPMorgan s’installe à Nairobi, pourquoi pas chez nous ?», s’interrogeait récemment le ministre délégué aux Finances, Dhaneshwar Damry.

Pour cela, un sursaut est indispensable. Il ne suffit plus de gérer l’héritage des réformes passées. Il faut au contraire inventer une nouvelle trajectoire de développement, plus inclusive et durable, et surtout portée par des institutions solides et transparentes. C’est tout le programme gouvernemental 2025-2029.