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Maurice au cœur des tractations mondiales

24 février 2025, 12:00

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Maurice au cœur des tractations mondiales

Plus d’une fois, Maurice a su jouer de son insignifiance apparente pour peser, en silence, sur les grandes décisions du monde. Voilà qu’une nouvelle fois, notre pays se retrouve au carrefour des ambitions et des stratégies internationales. L’annonce par Navin Ramgoolam de la venue du Premier ministre indien, Narendra Modi, pour les célébrations du 12 mars dépasse largement le cadre symbolique d’une fête nationale. C’est un message, un avertissement, une mise en garde peut-être. Un signe que, sous les éclats de drapeaux, se trame quelque chose de plus vaste, de plus lourd.

L’Inde ne se contente pas d’honorer ses liens historiques avec Maurice. Elle marque son territoire. Elle envoie un signal clair, à un moment où la Grande-Bretagne, sous Keir Starmer, et les États-Unis, sous Donald Trump, s’apprêtent à rediscuter de l’avenir de l’archipel des Chagos (voir page 6). Un hasard du calendrier ? Rien n’est jamais fortuit dans les grandes manœuvres diplomatiques.

L’Inde, puissance montante du XXIe siècle, a compris que sa destinée ne se joue pas uniquement sur le sous-continent, mais aussi sur les flots. L’océan Indien est son prolongement naturel, et Maurice, une pièce maîtresse dans son ambition maritime. Cette visite de Modi n’est donc pas qu’un geste d’amitié envers une nation sœur. C’est une réaffirmation de l’ancrage indien dans la région, à un moment où les rapports de forces évoluent et où la rivalité entre puissances s’intensifie.

Avec la Chine qui avance ses pions dans l’océan Indien – Hambantota au Sri Lanka, Gwadar au Pakistan – New Delhi ne peut se permettre de relâcher son emprise. Maurice, par sa position et son influence dans les organisations internationales, reste un allié crucial. Mais pour combien de temps ? Beijing, fort de ses investissements et de son pragmatisme économique, sait aussi parler à Port-Louis. Dans ce jeu subtil d’équilibres, Modi vient sans doute rappeler que l’Inde, elle, a une autre carte à jouer : celle des racines et de l’histoire partagée.

Si le monde s’agite autour de Maurice, c’est aussi parce que la question des Chagos revient sur le devant de la scène. Depuis des décennies, Port-Louis réclame la restitution de cet archipel, ultime vestige du colonialisme britannique dans l’océan Indien. Mais Londres, sous couvert de realpolitik, a toujours manœuvré pour préserver la base militaire de Diego Garcia, exploitée par les États-Unis.

Maurice pourrait-elle enfin obtenir gain de cause ? C’est une possibilité. Mais rien n’est jamais gratuit dans les hautes sphères du pouvoir mondial. Si Washington et Londres discutent de l’avenir des Chagos, c’est qu’ils y trouvent un intérêt stratégique.

Modi, en posant le pied sur le sol mauricien, ne vient pas simplement célébrer l’indépendance. Il vient aussi marquer son territoire. L’Inde, qui a toujours soutenu la revendication mauricienne sur les Chagos, pourrait chercher à jouer un rôle plus actif dans ce dossier.

Dans cette partie d’échecs mondiale, Modi avance prudemment, mais il avance. Sa récente visite aux États-Unis sous l’ère Trump a déjà montré les limites de l’autonomie stratégique de l’Inde. Certes, New Delhi a obtenu des avancées dans ses relations bilatérales, mais à quel prix ? En acceptant d’accroître ses achats d’énergie américaine et en s’engageant à acquérir des avions de combat F-35 à des coûts exorbitants, l’Inde s’est placée dans une posture de dépendance croissante vis-à-vis de Washington.

Ce rapprochement indo-américain peut-il avoir un impact sur Maurice ? Probablement. Car si l’Inde se rapproche des États-Unis, c’est aussi pour mieux contrer l’influence chinoise dans la région. Or, Maurice a toujours su naviguer entre ces deux géants, tirant parti de leurs rivalités pour servir ses propres intérêts. La présence de Modi à Port-Louis pourrait ainsi traduire une volonté d’infléchir cette dynamique, en poussant Maurice à choisir définitivement son camp.

Alors que le monde observe, Maurice doit jouer ses cartes avec habileté. L’enjeu dépasse largement la simple venue de Narendra Modi. Il s’agit de savoir jusqu’où Port-Louis est prêt à s’engager avec l’Inde, à un moment où les rapports de force mondiaux évoluent à grande vitesse. Accepter un soutien plus marqué de New Delhi sur le dossier des Chagos pourrait ouvrir de nouvelles perspectives, mais aussi enfermer Maurice dans une dépendance stratégique dont elle pourrait avoir du mal à se défaire.