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L’étoile prisonnière des silos

9 décembre 2024, 09:23

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Les premiers mots du président Dharam Gokhool, hier au Réduit, sont prometteurs. Après avoir salué la transition entre son prédécesseur Pradeep Roopun et lui-même, (qui s’inscrit dans la tradition augurée, une semaine plus tôt, par Reza Uteem et Soodesh Callichurn), il a émis l’idée de rassembler les anciens présidents (quelle que soit leur couleur politique) pour discuter des affaires nationales, au-delà des partis politiques et de leurs agendas de politiciens. Rassembler au lieu de diviser. Voilà un bon plan pour recoudre le pays après les divisions semées lors de la campagne électorale.

Un demi-siècle s’est écoulé depuis ce 12 mars 1968, où Maurice s’est levée libre sous son étoile. Pourtant, notre récit national reste cloîtré dans quatre silos ethniques, héritage pesant d’une ère coloniale qui refuse de mourir. Nous sommes bien plus vastes, bien plus profonds que ces cellules imaginaires. Mais le multiculturalisme, érigé hier en modèle exemplaire, s’avère aujourd’hui un frein à l’envol de l’interculturel. Pris en otage par des politiciens aux ambitions tribales, ce modèle étouffe l’aspiration à une véritable nation mauricienne.

Regardons-nous. Nous célébrons un passé où notre île changeait de nom au gré des conquêtes – Dina Arobi, Mauritius, Isle de France – et de maîtres. Carrefour d’horizons lointains, berceau de récits de navigateurs et de poètes, Maurice demeure une énigme: éblouissante à distance, mais fracturée de près. Aujourd’hui, le pouvoir s’agrippe à des dynasties et des lobbies sectaires. Le modèle démocratique, figé dans le marbre du passé, empêche l’émergence d’une voix unificatrice, d’un leader capable de transcender nos divisions.

Derrière l’image d’Épinal du paradis arc-en-ciel se cache une vérité amère : l’arc-en-ciel, par sa nature même, est fugace. Ce n’est pas un mélange homogène mais une juxtaposition fragile de couleurs. Le melting pot que nous aimons tant évoquer n’est qu’un mythe. Nos divisions, soigneusement entretenues par ceux qui prospèrent sur le divide and rule, nous empêchent d’avancer.

Sur l’échelle de l’Afrique, nous semblions prospères il y a quelques années de cela. Face à Singapour, nous sommes en retard, bloqués dans un temps révolu. Ce contraste illustre un paradoxe mauricien : une nation à la croisée des chemins, prisonnière de son histoire, et hésitant à embrasser un futur où l’identité individuelle prime sur les appartenances ethniques.

Que pourrait faire ce nouveau président, choisi entre autres pour sa caste, pour libérer l’étoile prisonnière? Il pourrait, peut-être, dessiner un autre avenir, où le multiculturalisme se transforme en véritable interculturalité, où l’on construit des ponts au lieu de fortifier des murs. Il pourrait nous inviter à rêver au-delà des silos, à refuser les chaînes invisibles d’un passé qui ne veut pas mourir.

La tâche est immense, presque titanesque. Mais n’est-ce pas cela, après tout, le rôle d’un chef d’État ? Être le gardien des rêves enfouis, l’architecte des horizons impossibles. Si Maurice doit un jour transcender sa condition insulaire, elle devra commencer par élever son regard, dépasser ses fractures, et renouer avec cette étoile qui, il y a cinquante-six ans, a promis la liberté.