Publicité

Appel au Premier ministre

Les demandeurs d’asile supplient qu’on leur accorde un droit de travail temporaire

30 juin 2025, 09:10

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Les demandeurs d’asile supplient qu’on leur accorde un droit de travail temporaire

Bien que Maurice n’ait pas signé la Convention relative au statut des réfugiés (Convention de Genève), elle tolérait la présence de demandeurs d’asile ayant reçu une attestation de la United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR). Ces derniers pouvaient travailler en attendant que leur demande d’asile soit approuvée par un pays tiers. Or, depuis mai, une circulaire du bureau du Premier ministre interdit le travail aux étrangers, qui n’ont pas de permis. Ce qui pénalise les demandeurs d’asile vivant à Maurice, de même que leurs familles restées au pays natal. Ils en appellent à la générosité de cœur du Premier ministre.

Ces images de gangs ciblant et attaquant une personne pour la dépouiller, ces exactions subies pour raisons politiques, ces purges raciales, ces menaces et ces viols de femmes qui ne veulent pas obtempérer ou simplement pour montrer qui détient le pouvoir, nous les regardons dans des films diffusés sur des plateformes de streaming, en étant confortablement calés dans nos fauteuils. Or, ces personnes que nous avons rencontrées, jeudi, - les trois quarts étant de la République démocratique du Congo (RdC) et un du Burundi –, elles ont vécu cette terrible réalité dans leur chair.

Ce ne sont pas des va-nu-pieds venus à Maurice pour vivre au frais de l’Etat. Ils ont fait des études supérieures dans leurs pays et sont tous diplômés. Et ce ne sont pas des diplômes achetés d’une obscure institution mais des documents bel et bien validés par des universités. Parmi eux, il y a des médecins généralistes, des ingénieurs, des infirmiers… En attendant d’obtenir le droit d’asile, ils font des métiers que de nombreux Mauriciens refuseraient de faire aujourd’hui comme nettoyer les toilettes dans certains établissements. Mais cet emploi leur permettait de payer leur loyer, de vivre, de s’acquitter de leurs frais médicaux, d’envoyer un peu d’argent à leur famille qu’ils ont quittée à contrecœur, par obligation, pour rester en vie.

Mike, 33 ans, aîné de neuf enfants, est venu s’installer à Kinshasa, la capitale de la RdC, il y a 12 ans, afin de faire ses études de médecine générale et son stage de fin d’études qu’il a complétés en 2020. Il travaillait dans un hôpital à Kinshasa et afin de suppléer à ses revenus, il faisait des extras en soirée dans une clinique. Un soir qu’il sortait du travail et attendait l’autobus sur un arrêt vers 21 heures, il s’est fait attaquer par un groupe d’une douzaine de Kuluna, des bandits urbains qui volent, saccagent, enlèvent et tuent. Ils se sont emparés de son ordinateur et d’une petite boîte de pinces chirurgicales qu’il transportait. Quand il a pu crier au secours, ils se sont enfuis et l’un d’eux a escaladé une haute clôture d’une concession privée et est mal retombé. Blessé à la tête, le Kuluna a été transporté en clinique où il est mort. Mike, quant à lui, a porté plainte à la police pour vol.

Une vie pour une vie

Quand les Kuluna ont su que leur «frère» était mort, ils se sont mis en tête de le venger et ils ont pourchassé Mike. «Dans leur tête, c’était une vie pour une vie. Il a fallu que je change de quartier», racontet-il. Il a été vivre chez une tante mais comme les Kuluna ont un vaste réseau, ils l’ont cherché, ont consulté sa page Facebook et ont fait circuler sa photo pour que les bandits des autres quartiers le retrouvent. «J’avais arrêté de travailler, je ne sortais plus. Mes parents ont cotisé pour m’envoyer à l’étranger. C’était la seule chose à faire si je voulais rester en vie.»

Pourquoi le choix de Maurice ? «Parce que c’était loin et qu’à Maurice, il n’y a pas de guerre». Mike a débarqué dans l’île le 8 décembre dernier avec un visa de touriste de 30 jours. Peu après son arrivée, il s’est rendu à l’Organisation internationale des Migrations (OIM) qui l’a référé au bureau de l’UNHCR en Afrique du Sud. Au cours d’une conversation téléphonique d’une durée de plusieurs heures, il a non seulement dû décliner son identité, son lieu de naissance, le nom de ses parents, son cursus, les raisons de son exil et le pays d’accueil où il souhaitait se rendre, «j’ai dit au Canada ou aux États-Unis», le travail qu’il faisait à Maurice et il lui a été rappelé que Maurice n’avait pas signé la Convention de Genève. Par la suite, il a reçu une attestation du bureau de l’UNHCR indiquant que son dossier est traité.

Jusqu’à mai, ce célibataire travaillait tous les jours pour un contracteur, qui l’emmenait nettoyer les toilettes de plusieurs établissements et bien qu’il ne pratiquait plus son métier, il était reconnaissant pour cet emploi qui lui permettait de payer son loyer et de se nourrir. Mais depuis que la circulaire du bureau du Premier ministre est sortie en mai, le contracteur ne le fait travailler que lorsque les Mauriciens s’absentent. Et cela constitue une baisse drastique dans ses revenus. Lorsqu’il travaille, il mange à la cantine et ensuite, il rentre dormir mais c’est seulement deux fois la semaine. Il s’endort souvent le ventre vide.

Cette situation plombe parfois son moral et sape son courage. Dessus viennent se greffer les moqueries de certains de ses collègues mauriciens qui savent qu’il est un médecin généraliste et qui le tancent parce qu’il est réduit à nettoyer les toilettes. Rien qu’à cette idée, Mike est démoralisé et il préfère baisser la tête pour ne pas montrer l’émotion qui l’étreint. «Je supporte mais par moments, ce n’est pas facile. Je prie Dieu pour que ça ne dure pas. Aujourd’hui, même ce travail à Maurice m’est refusé. La vie est devenue intenable…»

Hyacinthe est une infirmière de 30 ans, originaire de Kinshasa. Sa maman était une petite commerçante et son père un fonctionnaire au ministère des Finances. Ce dernier a été tué en mai 2023 alors qu’il faisait une inspection. Du jour au lendemain, la vie de cette jeune Congolaise et celle de sa mère, qui n’avait jamais été acceptée par sa bellefamille, ont changé. Quand il a appris que son frère n’était plus, l’oncle paternel de la jeune femme, qui est général dans l’armée congolaise, a débarqué et lui a demandé de lui remettre les documents de la parcelle qui appartenait à son frère défunt. «Il m’a harcelée pour que je les lui remette en disant que mon père était mort car ma mère faisait de la sorcellerie. Il a mené la vie dure à ma mère et voulait tout nous prendre. J’avais vu cela dans d’autres familles mais je n’avais jamais imaginé que cela m’arriverait. J’ai résisté et il a commencé à me menacer.» Elle a tenu bon.

Un soir, les deux femmes ont reçu la visite surprise des Kuluna. C’était par une nuit de septembre 2023. Ils ont tout saccagé dans la maison. Ils sont revenus une nouvelle fois peu après et ont mis une machette sous le cou de sa mère, exigeant que la jeune femme leur remette les documents de la parcelle. C’est ainsi qu’elle a eu confirmation qu’ils avaient été envoyés par son oncle. «Je leur ai dit que les documents n’étaient pas avec moi. Que pouvais-je dire d’autre ? La maison sur cette parcelle c’était tout ce que nous avions. Comment allions-nous vivre autrement ? Ils ont trainé ma mère au sol avant de s’en aller.»

Pot de terre contre pot de fer

Quand Hyacinthe a téléphoné à son oncle pour lui parler de ces deux attaques, il lui a dit qu’elle devait se débrouiller seule car elle s’était montrée entêtée. Étant très pieuse, elle a parlé à son pasteur et celui-ci les a envoyées dans le quartier de Kinkole vivre dans une maison abandonnée sur une parcelle lui appartenant. «Nous sommes restées là de septembre 2023 à janvier 2024». Hyacinthe s’est fait repérer en retournant à Kinshasa et en se rendant au ministère des Finances où travaillait son père. On la suit jusqu’à Kinkole. «Un soir alors que ma mère et moi sortions pour aller à l’église, nous avons vu une Jeep et plein d’hommes autour. Nous étions tétanisées. Le conducteur était en tenue militaire. Ils nous ont forcées à monter dans le véhicule, à nous mettre à terre et à baisser la tête. À chaque fois que j’essayais de relever la tête pour voir où ils nous emmenaient, je recevais un coup sur la nuque.»

Les deux femmes ont été conduites dans un endroit boisé et désert. Les hommes n’arrêtaient pas de lui demander où elle cachait les documents de la parcelle familiale. «Ils disaient : ‘Pourquoi es-tu têtue ? Tu veux mourir. Où sont ces documents ? Quand ils ont compris que je les faisais marcher, ils ont appelé mon oncle pour demander ce qu’il fallait faire de nous. Il leur a dit de faire ce qu’ils voulaient. Quelqu’un s’est rué sur moi et s’est mis à déchirer mes vêtements et j’ai été traînée par les pieds loin de ma mère qui était en train d’être battue. Je ne savais plus ce qui se passait. À un moment, j’ai perdu connaissance et quand je me suis réveillée, j’étais à l’hôpital», raconte Hyacinthe, qui interrompt son récit tant les souvenirs de ce vécu sont vivaces et traumatisants. Elle est en larmes. On comprend alors qu’elle a été violée…

Quand elle est en mesure de reprendre le fil de son histoire, elle laisse entendre qu’elle ne sait pas ce qui est arrivé à sa mère. «Je ne sais pas où se trouve ma mère et j’ignore si elle est encore en vie. Dans mon pays, quand tu as du pouvoir, c’est toi qui as le dernier mot. Mon pasteur a pris la décision de m’envoyer à Maurice. Je ne savais même pas que Maurice existait. Je n’ai pas voulu lui demander de chercher où se trouvait ma mère car je ne voulais pas qu’il s’attire des ennuis.»

Hyacinthe est arrivée dans l’île en janvier dernier. Elle n’a pu se payer un hôtel que pour quelques jours et après, elle ne savait plus où aller. «J’ai vu une église chrétienne et je suis entrée et j’ai parlé aux personnes présentes. Ils m’ont dirigé vers l’OIM qui m’a mis en rapport avec le bureau de l’UNHCR en Afrique du Sud.» Elle également a eu droit à un long entretien téléphonique et après un certain temps, elle a reçu son attestation de demandeuse d’asile. «Je n’ai même pas précisé dans quel pays je voulais être. J’ai juste dit que je voulais être en sécurité. Choisir un pays c’est comme si que je faisais un voyage d’agrément alors que je n’ai pas quitté ma patrie par plaisir.» Elle également travaillait avec le contracteur et nettoyait les toilettes tous les jours. Jusqu’à l’émission de la fameuse circulaire du PMO en mai dernier.

Les Congolais demandeurs d’asile se sont regroupés et partagent une villa. Ils sont dans une chambre minuscule à trois. Ils se cotisent pour payer le loyer mais travailler deux jours par semaine lorsque les Mauriciens s’absentent ne leur rapporte pas de quoi vivre décemment. «Nous travaillons pour payer notre loyer, parfois notre nourriture. Caritas a été très gentil envers nous et nous a offert quelques provisions mais nous ne mangeons pas à notre faim tous les jours. Nous sommes terriblement stressés et lorsque nous tombons malades, nous n’avons pas de quoi payer les frais hospitaliers. Les propriétaires des maisons que nous louons ne comprennent pas toujours lorsque nous les payons en retard. Et nous ne pouvons dormir sur la rue. Nous souffrons et nos familles restées au pays souffrent aussi car nous n’avons pas la possibilité de leur envoyer de l’argent. Nous faisons un appel au Premier ministre. Nous le supplions de nous accorder un droit de travail temporaire pour avoir un toit et à manger jusqu’à ce que notre demande d’asile soit acceptée… »

Publicité