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Khalil Elahee

«Il faut une prise de conscience que l’eau, c’est la vie»

12 février 2025, 21:00

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«Il faut une prise de conscience que l’eau, c’est la vie»

Khalil Elahee, chargé de cours à la Faculty of Engineering de l’UoM.

Les sécheresses à Maurice sont de plus en plus longues et sérieuses. Y a-t-il des solutions pour pallier ces périodes sèches ?

Il y a 13 ans, le projet Maurice île Durable (MID) avait établi un plan d’action pour le secteur de l’eau. Contrairement à ce qui a été fait depuis, MID nous invitait alors à penser et à agir de manière systémique. Concrètement, la solution durable, voire les solutions elles-mêmes, ne peuvent être identifiées que si nous considérons ensemble toutes les dimensions du problème. Depuis, il y a eu une publication internationale récente par les chercheurs Jhungeer, Nowbuth et Mungul de l’UoM, qui doit nous interpeller. Elle souligne qu’il y a une sécheresse hydrologique plus sévère que la sécheresse météorologique. Cette dernière arrive environ un mois avant la première, celle qui n’est pas qu’une question de pluie qui tombe ou non.

Les sécheresses seront évidemment plus longues et sérieuses avec le changement climatique, qui est au fait un dérèglement du climat causé par les hommes. Je pense que les solutions doivent être holistiques, c’est-à-dire, fondées sur le concept de durabilité. Cela veut dire que les mesures piecemeal n’apporteront qu’un soulagement temporaire. Il faut une approche systémique car tout est lié. Sinon, nous ne sortirons pas d’un cercle vicieux marqué par du crisis management en permanence.

Des solutions mises en œuvre ailleurs, comme le «cloud seeding» ou les «shade balls» seront-elles efficaces à Maurice ?

C’est justement l’erreur qu’il ne faut pas commettre : proposer des solutions sans une prise en compte du problème dans son intégralité et dans le contexte local. Je ne connais pas la réponse, mais je parlerai d’une dimension que je connais : le dessalement de l’eau de mer. D’abord, il faut savoir quelles en seront les implications économiques, sociales et environnementales. Trop souvent, on s’arrête à la première. Et cela même de manière partielle en négligeant, par exemple, les besoins en énergie pour le dessalement. Finalement, une mesure efficace pour un hôtel, par exemple, peut être inefficace pour l’ensemble du secteur domestique par rapport au dessalement. Cela veut dire aussi qu’il faut une approche pluridisciplinaire engageant pas seulement quelques personnes ou experts.

L’idée de fouiller les réservoirs pour augmenter leur capacité a été émise, mais il y a eu des mises en garde contre cette pratique. Quel est votre avis sur cette question ?

Ce n’est pas mon domaine, mais je parlerai de l’aspect énergétique de la question, qui est non moins essentielle, en relation avec l’hydro-électricité. Je préfère ne pas me prononcer, car toutes les dimensions du problème doivent être analysées : c’est une question complexe et multidimensionnelle. On sait, par exemple, que le réservoir de Sans-Souci a été fouillé mais il ne sert pas pour l’approvisionnement en eau. Toute son eau va vers la mer en passant par la centrale hydro de Champagne. Il faut une étude pour évaluer les impacts de la fouille et aussi chercher des utilisations de l’eau en aval de la centrale au lieu de la jeter à la mer.

Avez-vous des pistes pour mieux gérer l’eau afin d’éviter les longues périodes sèches ?

Je pense que nous pouvons apprendre des techniques courantes de la maîtrise de la demande en énergie afin de mieux gérer l’eau. Par exemple, la décentralisation des systèmes peut inspirer la pratique de décentralisation de l’approvisionnement en eau. Tout comme il faut une vision d’avoir des panneaux photovoltaïques sur les toits, il faut y associer l’idée de la récolte des eaux de pluie sur nos surfaces tout comme de l’usage optimal des eaux usées à travers le recyclage. Je dirai simplement qu’il faut des solutions win-win dans l’intérêt du bien commun dans le respect de l’environnement. Ainsi, si nous nous tournons vers le dessalement, cela ne peut être qu’au cas par cas, jamais au détriment de la gestion de la demande. Je me demande pourquoi le water management ne peut pas être un domaine aussi important que l’energy management qui aujourd’hui a même ses propres normes.

Il faut une prise de conscience que l’eau, c’est la vie tout simplement et qu’il faut la gérer avec responsabilité. Je suis pour une démarche de sensibilisation forte reposant sur des dimensions éthiques, voire morales et spirituelles. Tant de nos rituels sont impossibles sans l’eau, mais respectons-nous cette ressource vraiment ? Cette conscientisation peut s’appliquer à l’eau comme à l’énergie, en somme à toutes nos ressources naturelles. Tout cela nous ramène à l’urgence d’un développement dans la durabilité, la sustainability mentionnée avant, qui est une obligation aujourd’hui.

Plus généralement, quelles sont les mesures urgentes à prendre pour augmenter la résilience de l’île face au changement climatique ?

Précisément, il faut désormais penser donc notre développement en relation étroite avec l’adaptation à la réalité du dérèglement climatique. Cela ne signifie pas que l’atténuation des émissions n’est pas notre priorité. Nous sommes condamnés à tout faire afin que la limite de 1,5 C de hausse de température avant la fin du siècle soit retenue comme une cible par les gros pollueurs de la planète. Ce n’est qu’ainsi que nous aurons une meilleure chance de nous adapter tant bien que mal au dérèglement climatique. Le facteur temps joue contre nous. Il faut agir vite. Avant d’énumérer les mesures possibles, commençons par ne pas opposer le développement et la protection de l’environnement.

La résilience climatique intègre holistiquement l’environnement et le social comme des assets. Il y a moyen aujourd’hui de quantifier la résilience, et cela, pas uniquement en termes de profitabilité. Concrètement, cela signifie qu’il faut réellement valoriser, par exemple, l’eau qui nous tombe du ciel, pour revenir à votre sujet. Bref, au-delà des mesures urgentes spécifiques que nous savons, comme avoir des constructions et infrastructures bioclimatiques dans les zones côtières, il faut voir comment s’articule tout ce que nous faisons dans un cadre de gouvernance qui doit être un départ radical du business as usual.


Pas d’impact sur la production d’électricité

La production hydroélectrique du CEB tourne autour de 3 %. Avec la sécheresse, cette production est fortement impactée. Cependant, il n’y a pas de changement dans la fourniture d’électricité. Au niveau de l’instance, l’on explique que cette production est facilement rattrapable ailleurs, surtout avec les turbines à gaz de la station de Nicolay.