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Kronik KC Ranzé

Budget de circonstance

8 juin 2025, 08:30

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Budget de circonstance

Au départ même, il y a un gouffre d’interprétation et d’appréciation des faits et des faits alternatifs, dans la meilleure des traditions trumpiennes…

Ceux qui sont aujourd’hui aux commandes évoquent une situation financière insoutenable, largement confirmée par le State of the Economy et la nécessité donc de trancher dans le fatras, de réduire les déficits et les dettes, de stimuler la productivité et, ce faisant, la production, de réduire drastiquement le déficit commercial et le déficit des comptes courants. Avec empathie et compassion ! En quelques mots, il s’agissait pour eux de passer à la population le message a priori difficile, qu’on lui avait vendu une illusion, que nous vivions au-dessus de nos moyens et qu’il fallait retourner sur terre avant de confronter bien pire. Qu’il fallait être responsable pour protéger les prochaines générations, notamment face au vieillissement de la population, qu’il faut rétablir les équilibres financiers et éviter la sanction potentiellement dévastatrice de Moody’s qui aurait accéléré la spirale vers l’enfer. On peut sûrement leur reprocher d’avoir fait des promesses électorales qui allaient au-delà de ce que le pays pouvait supporter, même avant d’avoir pris connaissance des tripatouillages des chiffres officiels révélés par le State of the Economy, mais nous en étions arrivés à un tel dévergondage de promesses démagogiques et irresponsables, que sans ces promesses, le gouvernement n’allait pas changer et le pays aurait donc été encore plus mal…

Face à ce postulat, le gouvernement sortant n’a cessé de nous assurer que tout était pour le mieux, que l’économie carburait au premium, que les gâteries sociales pouvaient continuer de plus belle, qu’il n’y avait aucun besoin de réformer les pensions et la CSG pourtant largement déficitaires, qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter d’importations (Rs 314 milliards en 2024) qui n’étaient couvertes qu’à 1/3 par nos exportations, que le déficit de la balance des comptes courants (avec l’apport du tourisme) n’était pas inquiétant, même si cela dure depuis au moins 10 ans. Cette thèse s’accrochait (et s’accroche toujours…) à l’argument fébrile que le pays a des réserves de devises importantes et que nous sommes donc d’évidence… riches!

Cette approche, venant de ceux qui ont (1) dilapidé les Special Funds du Budget gouvernemental de Rs 36,8 milliards en juin 2022 à zéro à l’heure qu’il est; qui ont, de plus (2), pompé la Banque centrale de Rs 80 milliards pour la MIC et de Rs 76 milliards pour le Consolidated Fund du gouvernement ; qui, (3) malgré ces fonds, ont endetté le pays à hauteur de 91 % de ce que nous sommes, tous ensemble, capables de ‘produire’ en une année ; qui ont (4) brillamment dépensé presque autant (Rs 26,9 milliards) en pénalités pour Betamax/BAI/ Neotown que pour la pandémie Covid (Rs 29,6 milliards) ; qui (5) nous laissent des pertes et/ou des dettes importantes à la Metro Express Ltd, au CEB, à la STC, au NPF, à la CWA, à la WMA, à MK, à la CNT, aux Casinos, à Rose Belle SE,… qu’il faudra bien payer et qui (6) n’ont rien fait pour ne serait-ce qu’atténuer les déficits des plans de pension, y compris ceux des corps paraétatiques qui s’affichent, pour l’heure, à Rs 149 milliards; c’est vraiment un peu gros! Surtout que ces ‘réserves’ de forex n’appartiennent PAS au gouvernement (*) et ne s’ajoutent, nets et libres qu’à environ 5,0 milliards de dollars alors que nous importions pour $ 6,65 milliards en 2024…

À l’évidence, nous ne sommes pas riches et nous avons de sérieux défis devant nous! Le gouvernement Ramgoolam avait le choix de faire ‘la bouss dou’ ou de réveiller le pays. Il a fait un peu des deux, ce qui est tout de même un changement assez fondamental par rapport au gouvernement précédent qui préférait largement le soporifique et l’illusoire. Il serait d’ailleurs passionnant d’entendre Padayachy, Seeruttun ou Jugnauth sur ce qu’ils auraient fait de different dans le Budget 2025/26, admettant qu’ils aient aussi mis en œuvre toutes leurs promesses électorales estimées à environ Rs 70 milliards! Pouvait-on tripatouiller encore plus ?

L’autre argument moins entendu ces jours-ci, c’est que puisque les appels à l’austérité et autres décisions difficiles n’ont jamais été concrétisés dans le passé et que cela n’a pourtant PAS mené à la catastrophe, il n’y avait qu’à ‘continuer pareil’ ! Or, il est clair qu’aucune réforme, ni freinage nous a DEFINITIVEMENT RAPPROCHES de la catastrophe et qu’à l’image de celui qui marche vers le précipice malgré les appels à la raison ; tout va, en effet, excellemment bien… jusqu’au dernier pas de trop ! Un argument qui n’est pas sans rappeler les Ponzis qui paient toujours leurs clients, jusqu’au dernier jour, où cela s’écroule inévitablement parce que l’on ne peut plus lever suffisamment de capital frais pour satisfaire (et rembourser…) le capital déjà mobilisé à très cher…

Je gage que ni Ramgoolam, ni Bérenger, ni les autres convaincus qu’il fallait changer de direction, ne souhaitaient se retrouver dans la situation du président Rajapaksa du Sri Lanka, par exemple, qui, au bout de plusieurs années de gestion catastrophique, menait son pays à la faillite et livrait sa maison opulente à l’invasion et au pillage ?

Cependant, un gouvernement est tout de même mené par des politiciens et c’est ainsi que nous avons le discours du Budget du 5 juin.

Contrairement au Budget de Trump qui élimine ce qui aide les plus faibles (Medicaid, USAID, Food stamps, etc.) pour réduire la taxe des plus riches tout en augmentant la dette, le Budget de Ramgoolam taxe ceux qui ont plus de moyens pour éviter, tant que faire se peut, de trop réduire les prestations sociales en faveur des plus démunis, en rabotant la dette. On aurait pu faire plus, plus vite, mais l’important c’est aussi la dose et le gouvernement a souvent choisi les éliminations de dépenses graduelles plutôt que brutales, établissant ainsi une ligne claire de tendance, qu’il espère suffira à rassurer le FMI et Moody’s.

Car, ne nous voilons pas la face. L’objectif principal de ce Budget était de convaincre que nous étions sérieux au chantier de la consolidation fiscale et de la réduction de la dette !

Les mesures proposées, est-il espéré, verront la dette brute du secteur public être réduite des 90 % de cette année, 2024/25 à 79,7 % du PIB dans trois ans. Cela suffira t-il quand les chiffres officiels indiquent que ce ratio était de 71,9 % en 2023/24, soit près de 10 % de moins que notre objectif pour dans trois ans ? La folie dépensière d’une année électorale 2024/25 est passée par là et elle aura mené à ce ratio de 90 % du PIB, soit… 25 % de plus en une année !

On en paie maintenant le prix en marges de manœuvre plutôt réduites.

J’attendais ce gouvernement de pied ferme sur les pensions. Une réforme était absolument capitale ! Passer l’âge de la retraite à 65 ans, graduellement, est bien mieux que rien, mais n’oublions pas que le Comité d’Experts envisagé confronte du sérieux : le NPF, que l’on souhaite réanimer, porte déjà un trou financier et n’était pas soutenable à terme et il s’agira maintenant de trouver des niveaux de cotisations suffisants pour assumer les pensions envisagées, avec ou sans CSG ! Et n’oublions pas les Rs 149 milliards d’insuffisance aux plans de pension para étatiques dont il faudra aussi s’occuper…

À part la consolidation fiscale, il fallait aussi montrer de l’empathie sociale. C’est plutôt réussi !

Et, à la fois, stimuler l’investissement et la croissance qui paieront pour cette empathie, ce qui paraît plus problématique.

J’aime bien l’idée de ‘repurpose ‘ nos ressources disponibles pour une meilleure productivité. J’ai moins confiance dans la bureaucratie nationale pour la recherche, l’innovation, la digitalisation et l’utilisation de l’AI de manière PRODUCTIVE. J’ai peur de la ritournelle usuelle de séminaires, de logos, de concours de dissertation, de ‘box ticking’ généralement vides de résultats! J’espère me tromper. Peut-être qu’il faudra partout injecter de la jeunesse ‘disruptive’, autant que de la tech du même acabit ? Un produit de la ‘séniorité’ peut-il vraiment comprendre et faire le pas vers un monde qui n’est plus le sien? Rs 5 milliards d’économies gouvernementales en trois ans ? A la bonne heure !

Rs 30 milliards sur trois ans pour de l’énergie renouvelable, c’est bienvenu. Favoriser, rapidement des initiatives ‘Waste to Wealth’, c’est excellent! Doubler le nombre d’étudiants étrangers, allons-y ! Le Blue Economy sera encore un effet d’annonce ? L’art créatif vous croyez ? Il nous faudra un Jack Lang à nous, pour cela… L’Art Trading ? Essayons! Pour le tourisme, un Blue Print de plus: celui de la BM ne suffit donc pas ? L’e-gate va sûrement aider. Sécurité alimentaire : bonne chance ! La M4, le Ring Road, c’est bien. La MPA et la CHC, ça aurait dû être bien plus radical ! Riviere-des-Anguilles ? Encore ?

Ce Budget essaie de composer avec ce qui est nécessaire et juste et s’écarte fortement de la voie illusoire de la consommation et du tripatouillage, quel qu’en soit le prix. Il y avait donc, en conséquence, bien moins de tap latab. C’est un excellent début.

Car trois ans de vrai travail nous attendent!

Là où le gouvernement a été particulièrement mal inspiré, c’est de ne pas soigner les effets d’optique ! Les voitures neuves coûteront plus cher pour tous, SAUF pour les duty-free ! Les salaires et le nombre de ministres, de juniors et de conseillers ne baisseront pas ! Les pensions d’ex-parlementaires, de présidents, de vices non Plus ! Pire! Les junior ministers toucheront plus, backdated ? L’exemple ne viendra pas de là-haut ? Il n’est pourtant pas trop tard…

(*) Mises en perspective....

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