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Éducation secondaire

50 ans après la grève estudiantine, des disparités toujours aussi criantes

17 mai 2025, 18:00

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50 ans après la grève estudiantine, des disparités toujours aussi criantes

Cinquante ans se sont écoulés depuis la grande grève estudiantine de mai 1975. Une révolte qui portait alors les espoirs d’une génération avide de justice sociale, d’égalité des chances et d’accès équitable à l’éducation. Aujourd’hui, le système éducatif a certes évolué, mais les défis, eux, restent bien présents. Certaines disparités sont devenues plus criantes encore. Surtout entre l’enseignement secondaire privé subventionné et les établissements publics.

Arvind Bhojun, président de l’Union of Private Secondary Education Employees (UPSEE), dresse un constat nuancé mais lucide : «Oui, nous avons fait du chemin. Il y a eu des améliorations dans le public comme dans le privé. Mais certains problèmes se sont croisés : les disparités qui existaient avant dans les collèges privés se retrouvent aujourd’hui dans les collèges d’État, et vice versa. Il y a eu un brassage, mais aussi une perte de repères.»

Le cœur du problème, selon Arvind Bhojun, c’est l’absence d’un système unifié et harmonisé. «On ne peut pas continuer avec deux poids, deux mesures. L’éducation doit être équitable, avec les mêmes services, les mêmes facilités pour tous les enfants mauriciens, qu’ils soient dans un collège privé subventionné ou un collège d’État.» Pourtant, dans les faits, la différence de traitement est flagrante. *«Tous les enseignants et non-enseignants des collèges privés subventionnés sont payés par l’État. Mais la somme allouée à ces établissements n’est pas la même que celle que reçoit un collège d’État. Et paradoxalement, ce sont les collèges publics qui sont devenus les parents pauvres du système.» *

Des fonds mal utilisés… et des élèves pénalisés

Le président de l’UPSEE déplore un autre phénomène inquiétant : le mauvais usage des fonds publics. «Certains collèges privés reçoivent beaucoup d’argent, mais une bonne partie de ces fonds ne bénéficie ni aux enseignants, ni aux élèves. Cet argent reste entre les mains des propriétaires, qui n’investissent pas dans l’amélioration des infrastructures ou l’achat de matériel pédagogique. Résultat : ce sont les élèves et le personnel qui en pâtissent.» Il cite en exemple deux établissements, l’un dans le nord, l’autre dans l’est du pays, où les infrastructures sont restées délabrées malgré les subventions reçues. «Les collèges publics, eux, n’ont pas de marge de manœuvre. Ils doivent se débrouiller avec les fonds de la PTA, ce qui est dérisoire.»

La gestion du personnel est un autre point noir. Arvind Bhojun pointe du doigt l’absence de critères clairs de compétence et de mérite dans certains collèges privés : «Il faut mettre la bonne personne à la bonne place. Dans les collèges d’État, on avait l’habitude de recruter sur la base des qualifications. À l’inverse, dans le privé, beaucoup de gens sont entrés avec des qualifications moindres, et certains managers n’ont aucune compétence en gestion scolaire. Cela crée de graves problèmes dans la gestion quotidienne.» Même quand le personnel est qualifié, il n’est pas toujours valorisé. «Aujourd’hui, on a plus de personnel qualifié dans le privé, dans l’administration comme dans les labos. Mais ils sont toujours traités comme inférieurs à leurs collègues des collèges d’État. Il n’y a pas de postes de school superintendent ou de lab auxiliaries dans le privé, alors même que certains sont plus compétents que leurs homologues du public.»

Une hiérarchie absente et un management passif

Autre problème criant : le manque de défense du personnel par leurs propres managers. «Il faut un management qui défende ses troupes. Ce sont des gens compétents, mais leurs supérieurs ne prennent pas leur défense. Aucun ministre n’a pris position pour faire évoluer ce système. Certains feraient même travailler des membres du personnel à des tâches domestiques durant les vacances scolaires ! C’est un mépris total.» Arvind Bhojun estime que la Private Secondary Education Authority (PSEA) aurait dû intervenir pour mettre fin à ces pratiques et rétablir un équilibre. «Au final, c’est l’enfant qui en souffre.» Dans le public, la situation n’est pas toujours meilleure. «Il y a des recteurs qui imposent le respect et ont l’étoffe du poste. Mais dans certains collèges, on se demande s’ils ne sont pas eux-mêmes des adolescents. Manque de maturité, de leadership… Il y a eu une dégradation de la méritocratie.»

Et surtout, une question dérange : «Après 50 ans, a-t-on formé des intellectuels capables d’influencer le pays ? Ou a-t-on offert une éducation gratuite qui laisse beaucoup de jeunes en marge du système académique, sans leur offrir de véritables débouchés ?» Car au fond, la vraie question est là : *«En 1975, on s’est battu pour l’accès à l’éducation. Mais aujourd’hui, est-ce qu’on forme des citoyens responsables, des travailleurs qualifiés capables de faire vivre leur pays ? Non. Les jeunes ont du mal à trouver un travail décent à Maurice.» *

Le business de l’éducation dénoncé

Suttyhudeo Tengur, enseignant de formation et négociateur syndical, ne mâche pas ses mots. Pour lui, «l’éducation privée subventionnée est devenue un business. Ces collèges reçoivent de l’argent de l’État, mais leur priorité n’est pas la réussite des élèves.» Il compare avec les collèges privés payants non subventionnés : «Là, les parents paient, mais les résultats sont au rendez-vous. Les professeurs s’impliquent.» Suttyhudeo Tengur dénonce aussi une forme de népotisme : «Ces collèges subventionnés sont parfois gérés comme des affaires familiales. On y retrouve les gendres, belles-filles, cousins… La qualité n’est pas une priorité.»

Autre dérive inquiétante : l’exclusion déguisée. «Dans certains établissements privés payants, on donne de bonnes notes aux enfants pour rassurer les parents. Mais arrivé en Grade 9 ou 11, quand les examens nationaux approchent, on pousse les élèves en difficulté vers la sortie. Résultat : ils se retrouvent sans soutien, exclus du système. Et aucune loi ne vient encadrer ces pratiques. Il y a une centaine de collèges qui fonctionnent ainsi.»

Cinquante ans après la grève estudiantine, le combat continue. L’éducation gratuite a ouvert des portes, mais les inégalités subsistent, parfois aggravées par des logiques économiques ou politiques. L’heure est venue de repenser un système qui n’a pas su harmoniser ses structures. Il ne suffit pas de garantir l’accès : il faut garantir la qualité, l’équité… et la dignité pour chaque enfant mauricien.


HSC 2025 : les élèves voulant de meilleurs résultats n’auront pas à payer

Alors que Maurice commémore les 50 ans de la grève estudiantine – symbole fort de la lutte pour l’égalité des droits dans l’éducation – une décision du ministère de l’Éducation soulève des interrogations. Selon une circulaire récemment publiée, les élèves qui souhaitent reprendre les examens du Higher School Certificate (HSC) en 2025 pour améliorer leurs résultats ne bénéficieront pas automatiquement de la prise en charge des frais d’examen. Une mesure que déplore Arvind Bhojun, président de l’UPSEE. *«Est-ce qu’on va marquer le cinquantenaire de la révolution estudiantine en tolérant que certains jeunes soient privés de leur droit à une éducation équitable ?» s’insurge-t-il. Pour lui, cette décision est injuste : «C’est triste de voir qu’un élève qui veut se donner les moyens d’intégrer une meilleure université ou de décrocher une bourse se voit refuser ce soutien, alors que d’autres, qui n’ont pas fait d’efforts l’année dernière, en bénéficient.» Il considère que le ministère a été mal conseillé et appelle à une révision de cette décision. «Le droit à une éducation équitable doit s’appliquer aussi à ceux qui veulent progresser. Pourquoi les en priver ?»

Mais revirement de situation hier aprèsmidi. Par le biais d’un communiqué le ministère de l’Education a annoncé que les élèves qui répondent aux critères d’éligibilité pour le School certificate, le GCE « O » Level et le Higher School Certificate et qui souhaitent améliorer leur performance en repassant l’examen, seront intégralement pris en charge par l’Etat. Eux aussi auront droit à la subvention. Les élèves qui souhaitent une troisième tentative ou qui dépassent le critère d’âge devront, quant à eux, assumer les frais. Seule exception : ceux issus de familles enregistrées au Social Register of Mauritius pourront solliciter une aide supplémentaire auprès du ministère de l’Intégration sociale. Alors que la question de l’équité dans l’éducation revient au cœur des débats, la voix des syndicats plaide pour que personne ne soit laissé pour compte. Surtout pas ceux qui aspirent à mieux.

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