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Nada Padayatchy : «Singes, science et éthique : Maurice au cœur de la recherche biomédicale mondiale»

3 juin 2025, 20:00

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Nada Padayatchy : «Singes, science et éthique : Maurice au cœur de la recherche biomédicale mondiale»

Nada Padayatchy, «Trapping and Sustainability Manager».

Alors que Maurice s’associe pour la première fois au «Be Open About Animal Research Day» (BOARD), Nada Padayatchy, «Trapping and Sustainability Manager» chez Bioculture (Mauritius) Ltd, explique le rôle stratégique du pays dans la chaîne de valeur mondiale de la recherche biomédicale. Dans cet entretien accordé à «l’express», il plaide pour une transparence accrue, revient sur les limites des méthodes alternatives et affirme la volonté de faire émerger un véritable pôle de recherche à Maurice, malgré les critiques d’activistes.

🟦 Qu’est-ce que le Board 2025 que vous nous présentez ?

Le Be Open About Animal Research Day est une initiative de l’European Animal Research Association (EARA), qui réunit des institutions publiques et privées du secteur biomédical. L’objectif est d’informer le public sur l’utilisation responsable des animaux dans la recherche scientifique et de promouvoir la transparence. Ce 3 juin, plus de 1 000 institutions, réparties sur six continents, y participent pendant 24 heures. Bioculture (Mauritius) Ltd s’y associe car nous partageons pleinement cette philosophie d’ouverture.

🟦 Pourquoi une telle insistance sur la place des animaux dans la recherche ?

Parce qu’on en parle trop peu ou mal. Beaucoup de citoyens ont une image déformée, voire négative, de la recherche biomédicale impliquant des animaux. Le manque d’informations, combiné à la désinformation véhiculée par certains activistes, alimente cette perception. Chez Bioculture, nous ouvrons régulièrement nos portes aux journalistes, organisations non gouvernementales et parties prenantes. Le dialogue éclairé est la seule voie pour aborder sereinement un sujet aussi complexe, où se croisent éthique, science, innovation et enjeux économiques.

🟦 Les méthodes alternatives ne rendent-elles pas les animaux obsolètes dans la recherche ?

Pas du tout. L’engagement à réduire ou remplacer les animaux – le principe des 3R (Réduire, Raffiner, Remplacer) – existe depuis 1959. Mais les alternatives comme les organs-on-chips ou l’intelligence artificielle ne suffisent pas encore. La complexité biologique d’un organisme vivant dépasse nos modèles actuels. Les tests sur animaux ne sont utilisés qu’en l’absence de solutions équivalentes, comme le stipule la directive européenne 2010/63. Les New Approach Methodologies sont prometteuses mais encore loin de pouvoir remplacer complètement les modèles animaux dans toutes les phases de recherche.

620 x 330 (32).png Nada Padayatchy, «Trapping and Sustainability Manager» chez Bioculture (Mauritius) Ltd.

🟦 Cela veut dire que l’industrie d’exportation de singes à Maurice a encore de l’avenir ?

Oui, pour encore plusieurs années – voire décennies. Les singes représentent moins de 1 % des animaux utilisés en recherche mais leur impact est considérable pour la recherche sur le VIH, les maladies cardiovasculaires ou encore l’oncologie. Les macaques mauriciens sont particulièrement prisés : ils ne portent pas certains virus, ont un patrimoine génétique stable, et bénéficient d’un élevage certifié aux normes internationales (ISO 9001, AAALAC International).

🟦 Pourquoi cette forte demande internationale aujourd’hui ?

La Chine a arrêté ses exportations depuis 2020, ce qui a occasionné une pénurie. Maurice a contribué à combler ce vide mais l’élevage de primates ne peut être industrialisé: il faut du temps, des soins, des infrastructures adaptées. D’autres pays comme le Cambodge se sont lancés mais ont été rattrapés par des scandales de contrebande. À l’inverse, Maurice agit dans un cadre légal clair, encadré par la Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora (CITES).

🟦 Les activistes évoquent pourtant un statut d’espèce en danger ?

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a effectivement reclassé le macaque à longue queue comme «en danger» en 2022, mais ce classement est contesté. À Maurice, cette espèce est introduite, et cause des dégâts à la flore et à l’agriculture. La capture encadrée reste un outil de régulation. De toute façon, les laboratoires préfèrent les animaux nés en captivité.

🟦 Vous évoquez aussi l’idée de faire de la recherche à Maurice. Où en est-on à ce niveau ?

Depuis 2017, il existe une réglementation permettant d’octroyer des licences de recherche. Mais elle est trop limitée pour attirer de grands investissements. Il nous faut un cadre légal robuste et un écosystème favorable. Bioculture Ltd veut y contribuer: nous sommes aujourd’hui l’actionnaire majoritaire de Franklin Biolabs, une Contract Research Organisation issue du Gene Therapy Program de l’université de Pennsylvanie. Nous voulons aller au-delà de l’élevage et participer activement à la chaîne de valeur biomédicale. C’est stratégique pour nous et pour Maurice.

🟦 Vos détracteurs parlent d’image négative, voire de «tache» sur le pays…

Nous assumons notre rôle. Nos singes ont contribué à la mise au point de vaccins, y compris contre le Covid-19, et à des progrès majeurs en santé publique. Ce n’est pas une tache mais une contribution au service de l’humanité. Nous respectons les opinions contraires, même si certains critiques oublient qu’ils bénéficient euxmêmes des traitements issus de cette recherche. Notre devise reste prendre soin de la vie – cela englobe les animaux, les chercheurs, et la société dans son ensemble.

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