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Facile !

26 mars 2023, 07:00

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Le «cycle de 24 heures» de l’information moderne, où le public doit constamment être assouvi avec du neuf, n’a pas que de bons côtés.

Prenez l’affaire Franklin.

Aujourd’hui, l’opinion publique est plutôt éloignée des questions de fond et s’excite et s’enfièvre facilement derrière les «Tu as vu ça ?» qui précèdent la dissémination du dernier prête-nom, de la photo de la dernière Ford Raptor ou de l’identité des invités aux «rave parties» au ranch de Grand-Bassin, avec pont d’accès sur… Mare-aux-Vacoas, siouplaît !

Ce faisant, on s’éloigne de l’essentiel, bien sûr !

M. Franklin a fait l’objet d’un mandat d’arrêt international il y a de cela 20 mois. Un pays ami, la France, a aussi lancé une demande de commission rogatoire envers Maurice. Les autorités locales n’ont répondu à aucune des deux procédures, alors que Franklin était pourtant condamné à sept ans de prison ferme. «POURQUOI ?» est la question clé. Et «QUI A DÉCIDÉ ?» est la question qui va avec et qui souligne peut-être une caractéristique de nos décisionnaires : celle de systématiquement remettre en question les décisions de justice, si elles ne conviennent pas ?

Quand l’affaire Franklin est révélée par l’express et que l’opinion publique offusquée se mobilise, les autorités arrêtent enfin Franklin, mais, faut-il le remarquer, ce n’est ni pour trafic de drogue, ni pour enrichissement inexpliqué mais pour blanchiment d’argent… Or, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut blanchir que de l’argent «sale», c.-à-d. un argent découlant de «proceeds of a crime». Pour le moment, personne ne semble s’intéresser aux actes et transactions qui auraient mené au blanchiment d’argent imputé, ce qui pourrait peut-être fragiliser tout procès sous la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act, malgré CN No : 1295/2010 ?

Cela arrangerait qui, à part Franklin ?

En France, depuis des semaines entières, on manifeste et on fait la grève contre le projet du gouvernement de, pour l’essentiel, relever l’âge de la retraite.

Cette semaine, les citoyens, peut-être fatigués par l’odeur des sacs de poubelle qui s’accumulaient dans les villes françaises à la suite des grèves, ont commencé à les brûler et à casser aussi. Pourquoi ? Eh ben, si l’on a bien compris, parce que le gouvernement, malgré quelques concessions (notamment de ne pas relever l’âge de la retraite à 65 ans, mais de s’arrêter, pour le moment, à 64 ans), a insisté pour utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer sa réforme des pensions.

Cet épisode me laisse pantois !

D’abord parce que la réforme des pensions tente de solutionner un problème très réel. En effet, la France des Gaulois rationnels dépense déjà 14 % de son PIB sur les retraites, soit, généreusement, presque le double de la moyenne dans l’OCDE ! De plus, s’il y avait 13 millions de pensionnés en 2005, ils avaient déjà augmenté à 17 millions en 2020, notamment parce que la population vit en moyenne de plus en plus longtemps. Il est mathématiquement clair qu’un fonds de pension qui paie des mensualités qui ne baissent pas, pour de plus en plus longtemps, a de plus en plus de bénéficiaires, court le risque d’aller droit dans le mur, surtout si le nombre de citoyens qui travaillent et qui contribuent au fonds baisse par rapport à ceux qui… encaissent. Or, c’est bien le cas qui s’annonce en France, comme dans beaucoup d’autres pays d’ailleurs : en 2021, il y avait 1.78 citoyens français au travail pour chaque pensionné. Ils ne seront plus que 1.45 en 2050.

Quant à notre beau pays, en 2014, alors que la pension universelle (Basic Retirement Pension) était à Rs 3 623, on comptait 4.6 personnes actives pour chaque pensionné. Ce taux passerait à 2.4 en 2034 et 1.6 en 2054 ! La pension payée, en roupies dévaluées, il est vrai, sera de Rs 13 500 bientôt et sûrement pas moins jusqu’en 2054 ! Or, il n’y a aucune proposition de relever l’âge de la retraite, ni d’appliquer un «means test» qui réduirait la charge sur le budget du gouvernement. Je ne vous ferais pas, à nouveau, une projection chiffrée, puisque même le ministre des finances ne pense pas que c’est nécessaire. Ce qui est sûr c’est que ça va coûter diablement plus cher et que quelqu’un va devoir payer ! Devinez qui !

Retour en France. Le problème est donc bien réel. Mieux, Macron est réélu président en avril 2022 sur la base d’un programme qui promet explicitement de réformer les plans de pension. Encore mieux, le problème est connu depuis longtemps déjà (*) et tous savent que la meilleure façon de le traiter, d’un point de vue de politicien, comme ici même d’ailleurs, aurait été tout simplement de ne pas y toucher, de ne rien expliquer et/ou de renvoyer le problème à ceux qui vont prendre le relais dans 10, 20, 30 ans… C’est une technique reconnue que Macron, en homme responsable, récuse. Finalement, la clause 49.3, qui représenterait un «déni de démocratie» selon ses détracteurs, est bien une provision de la Constitution de la Ve République du général de Gaulle, approuvé en septembre 1958 par 68 % des Français, qui avait été explicitement introduite pour ne plus laisser les parlementaires bloquer les affaires de l’État, comme sous la IVe République compliquée ! D’ailleurs, s’il est clairement préférable d’obtenir un vote parlementaire, 49.3 a été utilisé une centaine de fois déjà et par presque tous les présidents depuis 1958 !

Alors ? Qu’est-ce qui explique que la majorité des Français sont maintenant contre la réforme et tolèrent encore des grèves ? Quelle est d’ailleurs l’alternative ? Un syndicat a suggéré d’augmenter les salaires afin que les contributions automatiquement relevées, permettent de maintenir la retraite à 60 ans… Et que si ça ne suffisait pas, on pourrait taxer les profits (qui restent) des entreprises.

Si seulement c’était aussi facile !

Rien n’est facile, en effet, au point où on sent maintenant comme une petite brise de réalisme dans les propos pré-budgétaires du ministre des Finances, qui semble avoir perdu trace de la marquise à qui il répétait, depuis trois ans déjà, que «tout va très bien» ! Ou y a-t-il vraiment un bon dieu transactionnel pour Maurice et attend-on candidement, comme un enfant la veille de Noël, le prochain pactole venant des Chagos ?

Pour le cas d’outrage de Rozemont, il a fallu le témoignage de deux policiers. Pour le cas du Premier ministre à Surinam, où il dit s’être exprimé en privé en tant qu’avocat, la technologie a suffi pour remplacer les policiers-témoins de manière irréfutable et pour rendre le privé… très public !

Les paroles de Pravind Jugnauth prononcées à Surinam rappellent celles de son père sur le jugement du juge Ahnee dans l’affaire Medagama, une Sri lankaise enceinte de huit mois dont la demande d’injonction contre sa déportation de Maurice fut approuvée par le juge Ahnee, pour être ensuite désavoué par le Premier ministre d’alors, SAJ, qui expulsa quand même la Sri lankaise, ce qui provoqua la démission du juge…

Je me souviens d’avoir alors eu, comme de nombreuses personnes, un élan d’admiration pour ce geste fort, mais d’avoir rapidement pensé qu’un geste admirable dans un environnement moins qu’admirable… n’était peut-être pas la solution idéale ! En effet, j’ai rapidement pensé qu’un chef de l’exécutif qui voulait mettre au pas les esprits libres et indépendants du judiciaire n’avait plus qu’à vertement critiquer ou passer outre tous les jugements de ceux-là, pour qu’il ne reste alors, assez rapidement, que les couards et les béni-oui-oui, ce qui ne nous laisserait plus qu’un simulacre de judiciaire… Facile !

Bien plus préférable que Jade Ngan Chai King ne démissionne surtout pas et que l’on ait recours à la loi elle-même pour mettre ceux qui outragent le judiciaire au pas. La vive réaction des avocats, du Bar Council, de l’opposition, de l’opinion publique est saine. Espérons qu’elle sera salutaire ! D’autant que dans les milieux gouvernementaux on défend le Premier ministre en disant que la loi sur l’outrage est «désuète» et «dépassée», en citant même ce qui leur convient dans le rapport de 2013 de Geoffrey Robertson, en oubliant évidemment toutes les autres recommandations faites pour renforcer la liberté de la presse, par exemple…

En attendant la réforme, Messieurs, la loi c’est la loi ! Et personne ne peut plaider l’ignorance de la loi. Surtout, peut-on supposer, pas un avocat !

(*)https://www.schroders.com/sk/insights/ economics/world-pension-ages-on-the-risewhen-will-you-retire/