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Pouvez-vous, en tant que président de l?Information & Communication Technologies Authority (ICTA), expliquer pourquoi l?autorité a décidé de bloquer l?accès du site Internet «Facebook» aux internautes mauriciens pendant plusieurs heures jeudi dernier ?
Le scénario imaginé par certaines personnes de mauvaise foi est le suivant : le Premier ministre m?aurait téléphoné pour faire état d?un cas d?usurpation de son identité et m?aurait demandé de faire enlever le site incriminé du Net. Il n?y a rien de plus faux. En vérité, le directeur exécutif de l?ICTA, le Dr Krishna Oolun, a eu une lettre officielle du ministère des Technologies de l?Information et de la Communication lui demandant ses «views» sur ce cas d?usurpation. Rien de plus.
Le Dr Oolun a également eu des représentations de membres du public attirant son attention sur ce cas précis. L?ICTA est tenue d?agir dans de tels cas, comme elle l?a fait plus tôt cette année. Le directeur exécutif a donc convoqué une réunion de travail avec son équipe et le conseil légal de l?ICTA pour décider de la marche à suivre.
Il importait tout d?abord pour l?ICTA de prendre connaissance de la «web policy» du site en question, de se conformer aux modalités à suivre pour déposer une plainte officielle auprès de Facebook et d?écrire à l?administrateur américain du serveur pour lui demander d?enlever les pages incriminées tout en demandant aux fournisseurs locaux d?accès Internet de bloquer l?accès à Facebook de manière temporaire.
Une fois toutes ces procédures complétées, l?accès au site a de nouveau été autorisé. Je tiens à préciser que ces décisions ont été prises par la direction, en toute indépendance, sans ingérence de son président, du ministère ou d?une quelconque tierce partie.
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Que s?est-il passé concrètement au niveau des fournisseurs d?accès et de «Facebook» ?
Les fournisseurs d?accès Internet ont suivi les instructions de l?ICTA à la lettre et l?accès a été bloqué à ce site temporairement. J?ai été, de mon côté, contacté par plusieurs amis et des journalistes pour me demander s?il n?y avait pas moyen de mettre fin à cette suspension de l?accès.
C?est là qu?on m?a informé qu?il ne s?agissait que d?une mesure temporaire et que l?accès allait être rétabli dans les heures qui suivent. Alerté sur ce cas d?usurpation par l?ICTA, l?administrateur américain du site a réagi positivement à notre demande. Nous avons eu des réactions de la part de certains fournisseurs mauriciens d?accès Internet et la grosse majorité d?entre eux est d?accord avec cette démarche.
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Bloquer l?accès à un site Internet, c?est quand même un peu excessif, vous ne trouvez pas ?
Facebook et les autres sites communautaires ne sont pas au-dessus de tout reproche. Il y a des cas de cyber-bullying, de violation de la vie privée, d?usurpation d?identité, de fraudes en tout genre et même de pédophiles enregistrés sur ces sites aux Etats-Unis. Il est clair que nous ne serons pas à l?abri de dérapages encore plus sérieux sur le Net et plus particulièrement sur les réseaux sociaux à l?avenir. L?ICTA devrait-elle demander aux opérateurs de bloquer l?accès, même temporairement, à des sites Internet en cas de problèmes graves comme ceux que je viens de citer ? Ou bien, devrait-elle uniquement attirer l?attention des fournisseurs d?accès ? Il y a tout lieu d?avoir une consultation générale avec les stakeholders, afin de dégager une fois pour toutes une politique, qui pourrait prendre la forme d?un «position paper on social networking». Cela dans le sillage des recommandations de l?Union internationale des télécommunications et celles de l?Union européenne sur «The Protection of minors and Human Dignity» sur Internet en particulier et de l?Internet Governance en général. Nous ne devons pas nous fier à ce qui a été fait jusqu?ici sans nous remettre en question, sans nous concerter avec d?autres autorités régulatrices pour définir les «best practices» par rapport au cybercrime.
«S?il y a usurpation d?identité
d?un personnage de l?Etat mauricien
quel qu?il soit, l?ICTA a l?obligation
d?intervenir pour rectifier les choses.
Je soutiens la direction sur
les décisions prises.»
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Mais êtes vous d?accord avec cette décision ?
S?il y a usurpation d?identité d?un personnage de l?Etat mauricien, quel qu?il soit, l?ICTA a l?obligation d?intervenir pour rectifier les choses. Je soutiens la direction sur les décisions prises, même si je me pose des questions sur la pertinence de la décision consistant à bloquer même temporairement l?accès à des méga-sites ou à des sites de «social networking» comme moyen de régler des problèmes qui pourraient se poser à l?avenir. J?estime qu?une consultation avec les stakeholders ? opérateurs, associations des consommateurs et pourquoi pas, la presse aussi ? s?impose afin de dégager un consensus sur la question.
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Entre bloquer l?accès à un site Internet pour usurpation d?identité du Premier ministre et censurer des propos exprimés en ligne, il n?y a qu?un pas?
Nous ne sommes pas là pour intervenir sur des propos ou opinions exprimés sur des forums de discussion ou ailleurs sur le Net. Il est important de le préciser. Les Internautes s?expriment librement et cela doit continuer ainsi. En revanche, l?autorité régulatrice est tenue, selon les provisions de l?ICTA Act, de traquer les imposteurs qui portent atteinte aux droits du citoyen mauricien, quel qu?il soit. Mais pour cela, il faut que nous soyons alertés.
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Donc, si d?autres personnes ont été victimes d?usurpation d?identité, ils peuvent se rendre à l?ICTA qui agira en conséquence ?
Si d?autres l?ont été, nous les invitons à venir et nous enclencherons les procédures.
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Il existe une perception selon laquelle l?ICTA souffre d?un déficit de communication et subit une certaine ingérence ministérielle?
Vous faites sans doute référence à ce qui s?est produit dans le sillage de la présentation du catalogue des coûts d?interconnexion, prévue au siège de l?ICTA et qui a finalement eu lieu au ministère des Technologies de l?Information et de la Communication. Ce matin-là, nous étions au ministère pour remettre le document en question au ministre Etienne Sinatambou. C?était plus raisonnable de continuer sur place et de ne pas faire déplacer tout le monde.
Quant au problème de communication, j?en suis conscient, surtout après les commentaires de certains opérateurs ce jour-là et après l?intervention du ministre pour remettre les choses dans leur perspective. Par conséquent, j?ai demandé à la direction de l?ICTA d?aller à la rencontre des opérateurs plus régulièrement afin que nous ne soyons pas pris de court par certaines prises de position plutôt embarrassantes pour le ministre et moi-même.
Propos recueillis par
Patrick HILBERT