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Kreol: ces expressions lor simé alé

30 octobre 2016, 18:36

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Kreol: ces expressions lor simé alé

Certains termes et expressions qu’ils utilisaient peuvent aujourd’hui faire sourciller. Ou faire sourire. La Journée de la langue créole, célébrée le 28 octobre, nous a donné l’occasion de nous replonger dans ce savoureux parler «morisien», conjugué au mode «létan lontan».

Après avoir longtemps subi des regards «dan zar» de la part des bien-pensants, le kreol fait un retour en force. La troisième édition du Diksioner Morisien est en préparation, ainsi qu’un logiciel pour la vérification de l’orthographe. Pour beaucoup, c’était une étape nécessaire pour que survive la langue. Car il est un fait que de nombreuses expressions qu’utilisaient nos «gran dimoun» ont disparu en raison d’une absence de graphie. Deux jours après la Journée internationale de la langue et de la culture créoles, certains se demandent à quoi pouvait bien ressembler une conversation… vers le milieu du siècle dernier.

Aujourd’hui, l’utilisation de quelques vieilles expressions peut faire sourire… Mais elles sont aussi évocatrices d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Après tout, c’est «dan vié karay ki fer bon lasos»…

Nos grands-parents avaient le verbe haut en couleur. Et mettaient leurs «konserv» pour protéger leurs yeux du soleil. Allez savoir pourquoi les lunettes de soleil étaient ainsi désignées. Puis, ils prenaient le bus pour aller «an vil». Pendant longtemps, la capitale a été la seule ville du pays et se rendre «an vil» ne pouvait laisser aucun doute sur la destination. D’ailleurs, les Portlouisiens, qui étaient «gran nwar» – eh oui, même ceux qui étaient petits et de teint clair – considéraient toute région hors des frontières de leur localité comme des «bitasion». Même aujourd’hui, les rares fois où le terme est encore prononcé, il garde cette connotation péjorative. Mais revenons au bus…

Changements d’ordre culturel

Il y en avait beaucoup moins qu’aujourd’hui ; donc il faisait «aspéré» longtemps à l’arrêt. Et il valait mieux être en avance, «pangar» il passait plus tôt que prévu. D’autres disaient «sinapa», mais le sens était presque le même. Pas de bus après avoir attendu une éternité ? «Devetet», qu’il était déjà passé. Mais c’était toujours une joie de le voir arriver, le chauffeur bien installé derrière son «kondiraz». L’influence du français est indéniable, par moments… Le tarif n’était pas élevé, mais on imagine bien que quelques «teterkelo» – des individus peu recommandables – rechignaient à payer. Les radins ont existé de tout temps. Mais pour ceux qui étaient «mizer couma lapo petar», c’était une tout autre histoire. L’on aurait aujourd’hui bien du mal à suivre une conversation entre grands-mères et grands-pères, mais personne ne peut nier que les termes qu’ils utilisaient avaient une saveur authentique, presque aussi épicée qu’un plat préparé dans un «dekti», que grand-maman aurait touillé avec un «kalchoul» avant de s’essuyer les mains dans un «safi» tout en prenant garde à ne pas le mélanger avec les serviettes. En l’absence de gaz, les mères de famille devaient préparer les repas à ciel ouvert sur un feu qu’elles faisaient partir en soufflant dans un «poukni». Un plat trop corsé ? Toute la famille se mettait à «dans lasangui».

Pourquoi ces mots et expressions se perdent-ils ? Selon Dev Virashawmy, qui a plusieurs ouvrages en kreol à son actif, cette perte est partiellement due aux changements d’ordre culturel. Notre manière de cuisiner, de nous déplacer, bref, de vivre, a changé, et le vocabulaire a évolué avec. Prenons les jeux. Demandez à un gamin de faire une partie d’«aring bouring» ou de «gouli danta», il vous regardera comme si votre «lespri inn piqué» avant de retourner à ses consoles.

Il faut juste prier pour que cet enfant ne soit ni un «laryaz» ni un «katar» à l’école. Sinon, il risque de passer sa vie à «riss diab par laké». Il aurait aussi la possibilité de prier pour demander une intervention divine. À condition, bien sûr, qu’il ne soit pas un «zangarna» et qu’il croie en Dieu…

Langage fleuri

Les expressions d’antan étaient souvent poétiques, quelquefois empreintes de pruderie. Un «gran dimoun» s’excusait pour aller au «privé» ou au «drénaz» à la rigueur. Mais de manière paradoxale, il pouvait adopter un langage fleuri lorsqu’il était froissé ou lorsque les circonstances semblaient propices. Comment décrire un homme ayant une femme parfaite, mais à qui il faisait tout de même des infidélités ? C’était tout comme «donn kosson manz napolitenn». Comment ne pas traiter ainsi «enn lamoné zété». En d’autre termes, un individu irrécupérable.

Quant aux affaires d’escroquerie, elles n’allaient jamais loin car nos aïeuls avaient l’esprit vif et se rendaient compte qu’il «vomie assiz dan fourmi rouz» que de se faire avoir.

Outre les expressions, les chiffres avaient aussi une place spéciale dans les conversations d’antan. Autrefois, un «zennzan» avait une «35», et non une «fam». Si la «35» était très jeune, elle était une «17». D’ailleurs, s’il ne se mariait pas avec elle, il restait «zennzan», peu importe son âge. S’il se mariait, il devait passer par le mariage religieux et le «maryaz lapolis», c’est-à-dire devant l’officier de l’état civil.

Bref, nos grands-parents avaient toute une panoplie de descriptifs qui sont souvent repris par les politiciens lorsque leur «tartari pran zot». Pas compris ? Remplacez par «babani». Non plus ? «Nérasténi», alors ? Toujours pas ? Il reste à espérer qu’un diksioner morisien pourra vous mettre sur la voie…