Publicité

Drogues synthétiques : il est collégien... et dealer

11 septembre 2015, 15:35

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Drogues synthétiques : il est collégien... et dealer

Cet article avec le témoignage d'un jeune de 15 ans, «dealer» dans son collège a suscité nombre de réactions sur les réseaux sociaux. Nous tenons cependant à préciser que la photo initiale utilisée pour illustrer ce texte ne concerne pas l'établissement scolaire y figurant. Ceux qui auraient reconnu l'institution, malgré le floutage de la photo, ne devraient donc pas se livrer à une interprétation erronée. 

 

Il nous avait donné rendez-vous dans l’enceinte du collège. Mais Sharma a changé d’avis au dernier moment. Il a préféré que l’on aille se parler ailleurs, à quelques mètres de l’établissement. Ce n’est pas qu’il a peur de se faire attraper, loin de là. C’est juste qu’il était en route pour aller «fim enn kout» avec des amis… Et non, il ne s’agit pas de gandia. Mais de «fraise». Pas celle que l’on trouve dans les bois. C’est le nom que l’on donne à une poudre compacte, rougeâtre, une drogue synthétique. «Li pa nouvo lor marsé sa, mé samem mwin danzéré…» 

 

À voir sa bouille, son visage parsemé de boutons d’acné, son uniforme et son cartable, on a du mal à croire que ce gamin de 15 ans est un «jockey». «Mo enn intermédiaire», explique-t-il, d’une voix où l’on sent presque poindre de la fierté. 

 

En fait, sa fraise, il la revend à Rs 500 le «carré». Le patron, un homme âgé d’une trentaine d’années, le charge de livrer les «doses» à des clients spécifiques, majoritairement des collégiens. Mais attention, pas ceux qui fréquentent le même établissement que lui… 

 

L’argent qu’il récupère, il le remet au dealer. «Ek enn stock, kapav gagn ziska Rs 15 000 parla.» Ce qu’il obtient, lui, en  retour ? Rs 500 après la livraison des «colis» et sa part du «gâteau», à la fraise bien entendu. 

Qu’il se fait un devoir de partager avec ses amis collégiens. «Nou fimé preské tou lézour», admet-il sans gêne aucune. Les amis en question ont préféré prendre la poudre d’escampette avant que nous n’arrivions. Qu’en est-il de ses clients ? Peut-on dresser leur profil ? «Non, ils sont nombreux et je vois rarement les mêmes personnes.» 

 

Sinon, comment devient-on «jockey» à 15 ans ? Pour Sharma, consommer et passer de la drogue sont des choses tout à fait normales. Il faut dire qu’il côtoie cet univers depuis qu’il est tout petit, son père étant lui-même un planteur de gandia. Ce dernier lui aurait même refilé quelques astuces, à mettre en pratique s’il se fait attraper par la police… Son principal argument ? «Je suis mineur.»

 

 Le gandia, c’est une chose, mais est-il au courant du fait que les  drogues synthétiques peuvent le conduire à Brown-Séquard, voire à la morgue ? Les mises en garde, il les balaie d’un revers de la main. 

 

De toute façon, il a déjà vu la mort de près. Ce jour-là, il avait consommé du Black Wasabi – autre drogue  synthétique – qu’un de ses amis travaillant dans un hôtel avait ramené. Après en avoir fumé, il a perdu connaissance, et ses amis ont attendu qu’il se réveille au lieu d’appeler les secours… Sharma n’y voit guère là un signe de couardise. Bien au contraire. «Zot pa finn laisse mwa tousel. Nou lamityé for.» 

 

Et puis, selon lui, le risque est moindre avec la fraise. «Nous n’avons jamais eu de problème avec. Le Black Wasabi est dangereux car c’est un mélange de plusieurs produits que l’on fait chauffer. Dans la fraise, il y en a une seule.» Même s’il avoue qu’il n’en sait pas plus sur le produit en question, ni sur le procédé de fabrication. «Je sais que le mélange contient des feuilles, peu importe lesquelles. Mais le patron ne me donne pas la recette, il a peur que je me mette à en fabriquer et que je ne lui fasse de la concurrence.» 

 

Ce n’est pas pour autant qu’il ne tente pas de percer le secret si bien gardé. «Lorsque j’en fume, il y a une odeur similaire à une solution que ma mère utilise pour nettoyer le sol qui s’en dégage et cette solution est rouge, justement… C’est peutêtre cela la base.» Et il essaiera de reproduire le mélange dès qu’il en aura l’occasion, précise-t-il, tout en ajoutant qu’il sera son «propre cobaye». Quitte à finir sur une table d’autopsie.

 

 Mais pas le temps de lui en dire plus… Nous sommes arrivés au coin de la rue. Le temps presse, Sharma ressent l’appel de la fraise. Ses amis s’impatientent. «Zot inn fini kolé tou la. Pé atann zis mwa…»

 

L’invasion 

 

Des élèves qui s’évanouissent en classe, des  morceaux de «bambou» et des «pots lakol»  retrouvés dans la cour des collèges… Autant  d’indices qui démontrent que les drogues  synthétiques ont trouvé le chemin de l’école. En début de semaine, le parent d’un élève qui fréquente un collège de la capitale a porté plainte à la police après que ce dernier a confié avoir pris de la drogue synthétique en classe. «L’élève a  expliqué que la substance a été fabriquée sur place par ses camarades», laisse entendre une source. Et d’ajouter que dans certains collèges, des «preuves» récoltées démontrent que des mélanges hallucinogènes ont bien été «concoctés» sur place. 

 

Interrogés à ce propos, des enseignants déclarent que ce sont les toilettes et les coins«sombres», dans les cours des établissements scolaires, qui font  office de laboratoires pour les apprentis chimistes. 

 

Du côté du ministère de l’Éducation, un préposé  indique que celui-ci «suit de très près la situation. Nous menons une campagne de sensibilisation auprès des élèves. Les recteurs en sont conscients et organisent des causeries axées sur la prévention». Selon Madoo Ramjee, président de l’Association des  recteurs de Maurice, ce ne sont pas uniquement les écoles qu’il faut surveiller mais aussi les endroits où l’on donne des cours particuliers ainsi que les centres commerciaux, lieux assidûment fréquentés par les jeunes.

 

 

 «Récemment, un étudiant a perdu connaissance pendant qu’il assistait aux leçons particulières. Après des analyses médicales, il s’est avéré qu’il était sous  l’influence d’une drogue synthétique», fait-il valoir. Et de déplorer le fait que les recteurs n’ont pas suffisamment de pouvoir pour changer les choses. «Nous ne pouvons pas, par exemple, fouiller les sacs.»