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Crise énergétique

Un «powership» turc pour sauver le courant ?

1 juillet 2025, 22:15

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Un «powership» turc pour sauver le courant ?

■ Un «powership», aussi appelé navire-centrale, est équipé de turbines flottantes capables de produire entre 90 et 110 mégawatts d’électricité.

Le Central Electricity Board (CEB) a récemment lancé un appel d’offres international pour la location d’une centrale électrique flottante – un powership – censée produire jusqu’à 100 mégawatts d’énergie. Une solution qualifiée «d’urgence stratégique»

L’électricité manque. L’État panique. Et la Turquie s’invite dans la gestion de la crise énergétique mauricienne. Le contrat, prévu pour une durée de cinq ans, pourrait bien finir dans les cales d’un opérateur aussi puissant que sulfureux : Karpowership. Derrière ce nom, un géant turc aux allures de sauveur mais dont les pratiques ont fait tanguer plus d’un État. Ce qui devait être une réponse technique à une crise devient peu à peu une question de gouvernance, d’éthique et de souveraineté énergétique.

🟦 Diplomatie énergétique ou précipitation politique ?

Le ministre de l’Énergie, Patrick Assirvaden, a embarqué pour la Turquie, peu avant de lancer l’appel d’offres. Pas pour visiter une centrale photovoltaïque ni un projet d’interconnexion. Non. Il se rend à Ankara, où il s’entretient avec le ministre turc de l’Énergie… et celui des Transports. Le tout, dans un timing presque trop parfait. Ce déplacement n’est pas anodin. Il intervient dans un contexte où la Turquie est le principal fournisseur mondial de barges énergétiques par l’intermédiaire de Karpowership, fleuron de l’industrie turque. Une entreprise qui a l’habitude de s’implanter là où les réseaux s’effondrent, les gouvernements vacillent et les marchés publics deviennent poreux.

Alors, pourquoi la Turquie ? Pourquoi pas l’Inde, leader en ingénierie thermique ? Pourquoi pas la Chine, championne des projets à grande échelle ? Pourquoi un seul interlocuteur quand l’enjeu réclame pluralité et transparence ? Ce n’était pas possible de visiter sept pays, se défend le ministre.

Sur le papier, Karpowership a tout pour séduire. Elle propose des centrales flottantes, opérationnelles en quelques semaines, capables de raccorder un port à un réseau national pour injecter de l’électricité à la demande. C’est simple. C’est rapide. C’est efficace. Trop, peut-être. Car derrière le discours marketing, les scandales s’accumulent.

Au Liban, deux de ses navires ont été saisis par la justice, en raison d’allégations de commissions occultes versées à des hommes d’affaires proches du pouvoir. Karpowership réclame USD 100 millions d’impayés, mais les autorités locales parlent de surfacturation et de corruption. En Afrique du Sud, ses projets ont été suspendus par les autorités environnementales. Motif : études bâclées, absence de consultations publiques, mise en danger des écosystèmes marins. Pire : des organisations non gouvernementales et communautés de pêcheurs dénoncent un passage en force, orchestré avec la complicité de hauts fonctionnaires.

Et ce n’est pas tout. Au Pakistan, le contrat de USD 565 millions avec une filiale de Karadeniz a été annulé par la Cour suprême, après des révélations de versements suspects à des intermédiaires. Une affaire qui traîne encore devant les juridictions internationales.

À Maurice, ces antécédents n’ont, semble-t-il, pas refroidi l’enthousiasme gouvernemental. L’appel d’offres est lancé. Mais les dés sont-ils déjà lancés ? Le déplacement du ministre, les interlocuteurs choisis, l’absence de consultations alternatives : tout donne à penser que Karpowership est déjà dans la course, voire en tête sans courir. Le flou persiste sur les critères d’évaluation, les garanties demandées, la compatibilité environnementale et surtout… le prix. Car selon plusieurs analyses, l’électricité produite par powership coûte jusqu’à cinq fois plus cher que celle des énergies renouvelables. Alors, pourquoi cette option, coûteuse, temporaire et risquée ?

🟦 Un mirage flottant pour l’autosuffisance énergétique ?

Ce projet de powership ne vient pas seul. Il arrive dans un pays insulaire, dépendant des importations, où les énergies renouvelables peinent à atteindre leurs cibles. La tentation est grande : brancher une barge au port, injecter du courant, gagner du temps. Mais cette facilité a un prix. Un prix financier, bien sûr. Mais aussi politique, environnemental et social. Les risques sont nombreux : émissions de gaz à effet de serre, pollution des lagons, impacts sur la pêche artisanale et surtout, captation du marché électrique par un acteur étranger, dans des conditions contractuelles opaques.

L’appel d’offres est encore ouvert. Les plis seront décachetés dans les semaines à venir. Officiellement, aucune décision n’est prise. Officieusement, les projecteurs sont braqués sur Istanbul. Karpowership, si elle répond, aura l’avantage d’un pas d’avance… et d’un couloir diplomatique bien huilé. La question est donc simple : Maurice choisira-t-elle de louer son avenir énergétique à une multinationale turque controversée pour cinq ans ? Ou saurat-elle dire non à une solution trop facile au nom de l’urgence ?

Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement un contrat technique. C’est une vision du futur. Soit un modèle flottant, externalisé, cher et transitoire. Soit une stratégie ancrée dans le sol mauricien, tournée vers l’autonomie, l’innovation et la transparence. Un powership, ce n’est pas juste une barge. C’est un symbole. Reste à savoir lequel : celui du sauvetage… ou genèse d’un naufrage ?

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