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Kronik KC Ranzé

Trop d’eau ? Ou pas assez ?

28 avril 2024, 09:15

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Trop d’eau ? Ou pas assez ?

Ce n’est quand même pas sorcier ! Nous ne sommes pas le pays le plus pluvieux du monde. Ni ne pouvons-nous dire, a contrario, que, comme Dubaï, nous puissions être pris par surprise, étant un des pays les plus secs du monde.

Que disent les faits ? La Banque mondiale nous catégorise comme le 32e pays le plus pluvieux du monde, avec 2,041mm par an, selon des chiffres compilés jusqu’en 2020. Il s’agirait de la précipitation moyenne entre 1961 et 2020. Un tel volume de pluie représente 3 800 millions de mètres cubes d’eau annuellement. Si ça n’étonnera personne que nous recevions moins de pluie que Singapour (14e avec 2,497mm/ an) ou les Seychelles (20e avec 2,330mm/an), cela m’a interpellé de savoir que nous recevions plus de pluie que le Brésil (43e , 1,761mm), le Royaume-Uni (74e , 1,220mm/an), la France (100e , 867mm/an), la Suède (128e 624mm/an) ou le Canada (139e , 537mm/an), ce qui devrait encore plus nous dégoûter, qu’à l’intérieur de seulement 720 miles carrés, nous soyons toujours incapables d’assurer une fourniture d’eau 24/7 ! Et de réduire les ‘pertes’ dans le réseau de 55 % à, mettons, un 15 % civilisé ! En effet, comment font ces immenses pays avec une pluviométrie moindre ? Mais ça, c’est pour un autre débat…

La question du jour concerne les inondations et il est clair que notre pluviométrie a toujours été forte au point ou dès les premières décades de la colonisation française, les gouverneurs faisaient de la construction de drains imposants une priorité absolue. Ces drains que l’on trouve à Port-Louis, à Souillac et à Mahébourg, à ma connaissance, représentent encore les systèmes principaux d’évacuation des eaux de pluie du pays, surtout dans la capitale…

Port-Louis est un cas à part, car elle est ceinturée par des montagnes et construite presque au niveau de la mer, dans sa partie la plus basse. L’urbanisation a évidemment réduit la capacité d’absorption des ruissellements d’eau de pluie ; l’indiscipline civique qui n’assure pas la propreté des drains n’aide pas non plus ; et les constructions faites en dépit du bon sens dans des régions vulnérables aux glissements de terrain ou sur/ dans les drains n’améliorent aucunement l’évacuation des déluges d’eau ; mais les vrais défis se trouvent ailleurs.

D’abord, il est clair que l’effet «cuvette» de Port-Louis, à un moment où la pluviosité est rendue bien plus concentrée par le changement climatique, demande que l’on évacue plus d’eau en moins de temps. Avec essentiellement le même dispositif de drains qu’au 18e siècle, cela paraît plutôt problématique ! On a évoqué un cut-off drain sur le flanc de la colline Monneron. Cela va sans doute aider à réduire le catchment area desservi par les drains actuels (Ruisseau créole, Ruisseau du Pouce, etc.), mais ça ne suffira sans doute pas. Ne faudrait-il pas plutôt considérer de ceinturer presque tout Port-Louis avec des cut-off drains à flanc de montagne ?

Ensuite, le deuxième défi, c’est quoi faire de l’eau capturée, quels que soient les drains utilisés, alors que la mer va inexorablement monter au cours des décades qui arrivent, une situation qui sera rendue encore pire en cas de mauvais temps, surtout si ça coïncide avec une marée haute ! Personne ne semble trop parler de solutions à ce stade alors qu’il le faudrait ! Il ne sert en effet à rien de dévier, ou de capturer des masses d’eau, si elles ne peuvent pas être évacuées vers la mer. Faudra-t-il, à un moment envisager de protéger Port-Louis derrière des vannes ; un peu comme le fait déjà la Thames Barrier de Londres ou le MOSE qui protège Venise ? On ne peut contrôler la marée, sauf la tenir ‘en dehors’. C’est capital ! Les inondations de Belal ont été bien pires que celles de dimanche dernier, entre autres, parce qu’au moment du déluge, il y avait alors une marée haute. Ce dimanche, le plus mauvais moment était vers 16 h 00, mais les rues étaient asséchées vers 18 h 30, la marée basse de 18 h 12 aidant sans doute… Or aucun Crisis Committee ne pourra jamais s’assurer que les pluies diluviennes ne nous arrosent… qu’à marée basse !

Finalement, on a évoqué la possibilité de swales, soit des fosses de drainage gazonnées, agissant comme de véritables puits d’absorption. Dans tous les cas, cette idée n’apportera de solution matérielle que si le projet est plutôt gigantesque. Ce n’est pas une petite idée et ce ne sera pas une mince affaire. Seul le Champ de Mars semble offrir suffisamment de surface pour concrétiser une telle idée et l’on ne saurait pas en dire la fiabilité ou le coût pour le moment.

Ce qui paraît clair, c’est que les problèmes de Port-Louis ont déjà été confrontés ailleurs dans le monde et qu’il serait plus que temps de faire appel à des spécialistes mondiaux qui pourraient nous recommander des stratégies et des travaux qui protègeraient Port-Louis pour au moins le siècle à venir. L’alternative serait des travaux fractionnés et insuffisants que produira une Land Drainage Authority (LDA) insuffisamment équipée et qui plomberont les budgets de la nation pendant des décades encore, sans que nous ne trouvions de solution durable…

C’est sans doute là que se trouvent les solutions d’avenir pour le cas particulier de Port-Louis, pendant que la LDA s’occuperait de problèmes a priori moins complexes partout ailleurs dans le pays.

Je citerais un cas ‘simple’. Celui d’Albion. Son développement s’est accéléré à vitesse grand ‘V’ ces dernières années et ses deux routes d’accès (celle de Splendid View et celle de Camp Créole) deviennent totalement impraticables en temps de fortes pluies, des masses impressionnantes d’eau et de boue traversant les champs, les friches et les parcelles de forêt pour rendre les routes infranchissables, puisqu’il n’y a NI DRAINS ADÉQUATS, NI PONTS, là où la route est coupée par les flots ! Qu’est-ce qu’on attend ?

Selon la longue, mais explicite, réponse parlementaire du ministre des Infrastructures nationales mardi, 1 742 projets de drains ont été engagés sur cinq ans (2021-26) et seuls 31 % de ceux-ci, soit 539 projets, ont été complétés à ce stade pour Rs 3,8 milliards. Ce sont probablement les projets les plus simples à Rs 7 millions en moyenne par projet, alors que 114 autres projets sont en cours de réalisation pour une somme additionnelle de Rs 3,3 milliards (moyenne par projet de Rs 29 millions), alors que 150 autres projets au coût de Rs 2,8 milliards sont au Public Procurement Office (Rs 19 millions en moyenne). On présume que les 939 projets manquants (54 % du total !) n’ont pas encore connu d’appel d’offres et, si j’ai bien compris, qu’il ne reste plus que Rs 1,8 milliard du budget (15,4 %) de Rs 11,7 milliards ? Ça promet quoi, vous croyez ?

Si le ministre a raison qu’il faut voir le problème des inondations de manière globale plutôt qu’au coup par coup et qu’un Land Drainage Master Plan était nécessaire et que le dérèglement climatique a clairement compliqué la situation, pourquoi comparer l’incomparable en évoquant, selon la stupide formule consacrée, les dépenses du précédent gouvernement sur les 10 ans menant à 2014 qui, s’en vante-il, ne s’ajoutent qu’à trois ans de dépenses du gouvernement actuel ? «There is no space for cheap political gain» sur cette question grave, affirmait-il, pourtant, mardi, au Parlement. Ne sait-il pas, pour commencer, que la roupie a dégringolé de plus de 46 % depuis 2010 ?

Si la raison principale des flash floods qui nous turlupinent, c’est le dérèglement climatique, peut-on décemment comparer la période 2005-2014 à celle, nettement plus affectée, de 2014-2024 ? Est-il satisfait de la vitesse d’exécution actuelle des travaux ? Du «value for money» ? «Nous pouvons simplement prendre des mesures pour protéger les citoyens au mieux», affirme-t-il, en soulignant qu’aucun gouvernement au monde ne peut protéger des inondations à 100 %. Il a sans doute raison et on ne lui en demande pas tant…

Cependant, si nous fermons, pathétiquement, les écoles et les bureaux à la moindre alerte de fortes pluies, c’est que les autorités ont encore bien trop PEUR des conséquences d’inondations dévastatrices. Les «mesures» prises jusqu’ici aident sûrement, mais pas assez rapidement, et certainement pas de manière suffisamment compréhensive pour protéger Port-Louis et les autres zones à haut risque. That much is clear !

Il reste encore du sacré boulot à compléter dans ce pays où l’on a trop d’eau là où il n’en faut pas et pas assez d’eau là où ce serait chouette d’en avoir ! 24/7 ! Dans les robinets ! Vous ne trouvez pas ?