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Taux directeur : l’équation délicate de Rama Sithanen face à une économie en reconstruction
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Taux directeur : l’équation délicate de Rama Sithanen face à une économie en reconstruction

La réunion du Monetary Policy Committee (MPC) de ce matin place la Banque de Maurice (BoM) dans un exercice de haute précision : calibrer la politique dans un environnement macroéconomique particulièrement tendu, tout en préparant le terrain pour le premier Budget de l’Alliance du changement.
Le gouverneur de la BoM, Rama Sithanen, devra faire un choix lourd de conséquences pour la trajectoire monétaire et économique du pays. Maintien, hausse ou baisse du taux directeur ? Derrière cette apparente équation technique se cache une série de dilemmes complexes, où se croisent rigueur macroéconomique, attentes sociales, contraintes budgétaires, crédibilité institutionnelle et conjoncture géoéconomique mondiale.
Depuis la dernière hausse de 50 points de base décidée en février, portant le Key Repo Rate à 4,5 %, plusieurs signaux économiques se sont précisés. La Banque centrale avait alors justifié son resserrement monétaire par la nécessité de contenir une reprise de l’inflation mondiale et de stabiliser une roupie affaiblie. Or, la devise mauricienne s’est appréciée de 3,3 % face au dollar américain depuis le début de l’année. Dans le même temps, le billet vert s’est replié de 8,1 % pour la même période, conséquence des anticipations de baisse de taux de la Réserve fédérale américaine et de pressions pour faire partir son président, Jerome Powell, mais aussi des effets d’annonce d’une nouvelle guerre commerciale menée par Donald Trump.
Trois mois après, les analystes s’accordent à penser que le MPC maintiendra le statu quo monétaire à sa réunion d’aujourd’hui. Il ne s’agira pas d’un immobilisme, mais d’un signal réfléchi, envoyé à une économie en quête d’ancrage. Car, au-delà des taux, c’est la stabilité et la visibilité de la politique monétaire qui sont en jeu, alors que le marché interbancaire et le système de change continuent d’être confrontés à des tensions structurelles.
À cet effet, l’un des paradoxes de l’environnement actuel est le décalage entre l’appréciation de la roupie et la réalité du terrain pour les opérateurs économiques. Malgré les mesures annoncées fin 2024 pour réformer le marché des changes, de nombreux importateurs et commerçants rencontrent toujours des difficultés d’approvisionnement en devises étrangères, notamment en dollars. Lorsque ces dernières sont disponibles, elles le sont à des taux supérieurs à ceux officiels, révélant un marché segmenté, voire dysfonctionnel.
Cette situation alimente des distorsions dans la formation des prix, affecte la chaîne d’approvisionnement et mine la compétitivité. La confiance dans la monnaie nationale est encore fragile. Si la BoM décide de maintenir le taux à 4,5 %, c’est aussi pour continuer d’ancrer les anticipations inflationnistes sans freiner brutalement l’activité, dans une phase de transition politique et budgétaire.
Le MPC ne peut ignorer le climat géoéconomique mondial de plus en plus incertain. Depuis l’annonce de mesures tarifaires agressives par Donald Trump, visant principalement la Chine, les institutions internationales – le Fonds monétaire international en tête – alertent sur un ralentissement généralisé. Le Fonds prévoit une croissance mondiale de seulement 2,8 % en 2025 et de 3 % en 2026, soit 0,5 point de moins que les estimations de janvier. Le commerce mondial, moteur essentiel des économies ouvertes comme celle de Maurice, risque de subir un nouveau choc exogène.
Dans la zone euro, une des principales sources de devises touristiques et commerciales pour Maurice, la reprise reste modeste. La croissance devrait atteindre 0,8 % cette année, et 1,3 % l’an prochain. Seuls la consommation privée et le marché du travail soutiennent l’activité. L’investissement, quant à lui, demeure atone. L’inflation a fortement décru – de 10,6 % à 2,2 % en deux ans – ce qui offre à la Banque centrale européenne (BCE) une marge pour assouplir sa politique monétaire. Ce décalage entre les politiques monétaires européenne et américaine crée une instabilité supplémentaire dans les flux de capitaux et les marchés de devises émergents.
Le dilemme social-budgétaire du tandem Ramgoolam-Bérenger
Cette réunion du MPC intervient à un moment politiquement sensible, un mois avant la présentation du premier Budget de l’Alliance du changement, dont les dirigeants ont hérité d’une situation financière catastrophique. Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ont préparé l’opinion à des arbitrages difficiles. Endettement public frôlant les 90 % du PIB en juin prochain, déficit budgétaire de 9,5 %, dépenses publiques engagées par l’ancien gouvernement sans provisions durables : le nouveau tandem doit naviguer entre rigueur et attentes sociales exacerbées.
Le Premier ministre, qui cumule aussi les fonctions de ministre des Finances, a déjà fixé le ton : «The days of reckless spending, spending on white elephant projects and giving out frivolous allowances are over.» Ce recentrage budgétaire, apprécié par des partenaires internationaux, risque de heurter une partie de l’électorat urbain, déjà désenchanté. L’abstention massive lors des municipales – moins de 30 % de participation – est un signal fort : fatigue démocratique, défiance politique, mais aussi insatisfaction face à l’écart entre promesses et réalisations.
Faut-il pour autant relâcher la discipline budgétaire au profit de mesures sociales ? L’entourage du ministère des Finances s’interroge. Une réponse populiste, même provisoire, pourrait compromettre l’engagement pris auprès de Moody’s et d’autres agences internationales qui évaluent actuellement les perspectives souveraines de Maurice. La crédibilité internationale est à reconquérir. Le budget devra envoyer un message clair de consolidation fiscale et de réforme structurelle.
Depuis plusieurs années, la Banque centrale et le ministère des Finances ont souvent été perçus comme opérant en silos. La nouvelle configuration post-électorale a ouvert la voie à une meilleure coordination. La décision du MPC de ce matin s’inscrit dans cet acte visible d’un tandem BoM– ministère des Finances censé fonctionner de manière plus cohérente.
En maintenant le taux à 4,5 %, tout en gardant un ton prudent dans sa «forward guidance», la BoM poserait les bases d’une nouvelle stratégie de pilotage monétaire, alignée sur les réalités d’une économie en transition, voire de reconstruction. Elle permettrait aussi au ministre des Finances de construire son budget sur des hypothèses réalistes : une roupie stabilisée, une inflation maîtrisée, mais des marges budgétaires extrêmement réduites.
Le MPC ne décidera pas seulement d’un taux ce mercredi. Il devra, en filigrane, adresser un signal à toutes les parties prenantes : opérateurs économiques, consommateurs, partenaires internationaux, agences de notation, et surtout, une population en attente de clarté et de cap. Dans cette phase post-électorale, où les ambitions de rupture se confrontent à la dure réalité des chiffres, Rama Sithanen, fort de son expérience et de sa crédibilité, joue un rôle clé.
Stabilité ne signifie pas cependant immobilisme. Le statu quo monétaire, s’il est accompagné d’un discours de rigueur, d’écoute et d’engagement envers des réformes profondes du système financier, pourrait devenir le point d’ancrage d’une stratégie économique renouvelée. L’heure n’est ni à la fuite en avant ni à l’austérité aveugle. Elle est à l’arbitrage responsable.
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