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Palestine
Retrait du soutien mauricien
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Palestine
Retrait du soutien mauricien

Dans un revirement diplomatique surprenant, la République de Maurice a choisi de retirer son soutien à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) concernant les obligations d’Israël dans les territoires palestiniens occupés. Cette décision, prise dans un contexte géopolitique complexe marqué par un conflit dévastateur à Gaza, soulève de nombreuses questions sur la cohérence de la politique étrangère mauricienne et sur les pressions internationales qui ont pu l’influencer.
L’avis consultatif : un tournant historique dans le conflit israélo-palestinien
L’avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024 représente l’une des prises de position juridiques les plus importantes sur le conflit israélo-palestinien. Demandé par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2022, cet avis déclare « illicite » la présence d’Israël en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza, et exige qu’Israël mette fin à sa présence dans les territoires palestiniens occupés, cesse immédiatement l’expansion des colonies et évacue tous les colons.
Cette procédure, d’une ampleur sans précédent, a mobilisé 52 États et trois organisations internationales pour des audiences qui se sont déroulées du 19 au 26 février 2024. Parmi ces participants figuraient la Palestine, l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Arabie saoudite, la Russie, la France, la Chine, l’Iran, ainsi que de nombreux autres pays représentant diverses régions du monde.
L’avis s’appuie sur des principes fondamentaux du droit international, notamment l’interdiction de l’acquisition de territoires par la force et le droit des peuples à l’autodétermination. Il crée également des obligations pour tous les États, qui ont le devoir de ne pas reconnaître la présence israélienne dans les territoires comme légale et d’éviter d’en soutenir le maintien.
Une contradiction flagrante avec l’engagement historique de Maurice
La position de Maurice apparaît particulièrement contradictoire au regard de sa propre histoire avec la CIJ et de son soutien traditionnel à la cause palestinienne. En 2019, Maurice avait obtenu un avis consultatif favorable dans le différend territorial l’opposant au Royaume-Uni sur l’archipel des Chagos. Dans cet avis, la CIJ avait statué que le processus de décolonisation de Maurice n’avait pas été validement mené à bien, et que le Royaume-Uni devait mettre fin à son administration de l’archipel « dans les plus brefs délais ».
En février 2024, Maurice avait même participé activement aux audiences orales concernant la Palestine. Les représentants mauriciens avaient alors affirmé que l’occupation constituait « un fait illicite à caractère continu » auquel il fallait mettre fin « dans les plus brefs délais », établissant explicitement un parallèle entre cette situation et celle des Chagos. Pour Maurice, le fait que le processus de paix entre Israël et la Palestine soit en cours ne rend nullement licite la présence israélienne dans les territoires palestiniens occupés.
Cette participation s’inscrivait dans la longue tradition de solidarité de Maurice avec la Palestine, reflétant une position cohérente au sein de l’Union africaine et du Mouvement des non-alignés, où la question palestinienne a toujours bénéficié d’un fort soutien. Comme de nombreux pays issus de la décolonisation, Maurice a historiquement défendu le droit des peuples à l’autodétermination, principe au cœur de sa propre lutte pour la souveraineté sur l’archipel des Chagos.
Ce revirement soudain soulève donc des questions fondamentales : comment Maurice peut-elle défendre avec tant de vigueur le respect du droit international et des avis consultatifs de la CIJ lorsqu’il s’agit des Chagos, tout en se distanciant de positions similaires concernant la Palestine ? Cette volte-face est d’autant plus troublante qu’elle intervient dans un contexte où la situation humanitaire à Gaza suscite une indignation mondiale croissante.
Pressions internationales et intérêts économiques
Ce changement de cap diplomatique reflète probablement des pressions internationales considérables. Les États-Unis et d’autres puissances occidentales, opposés à l’avis consultatif sur la Palestine, disposent de leviers économiques et diplomatiques importants pour influencer la position de petits États comme Maurice.
Le pragmatisme économique semble avoir pris le pas sur les principes. Maurice, dont l’économie dépend fortement du commerce international et des investissements étrangers, a peut-être jugé que le coût diplomatique d’un soutien à la Palestine était trop élevé face aux bénéfices potentiels de meilleures relations avec certaines puissances occidentales.
Cette approche transactionnelle de la diplomatie soulève des interrogations sur l’indépendance réelle de la politique étrangère mauricienne. Jusqu’à quel point un petit État peut-il défendre les principes du droit international face aux pressions des grandes puissances ?
Impact sur la crédibilité diplomatique dans un contexte de crise humanitaire
En adoptant des positions contradictoires sur des questions juridiquement similaires, Maurice risque d’affaiblir sa propre crédibilité internationale. Comment le gouvernement mauricien peut-il continuer à demander l’application de l’avis consultatif sur les Chagos tout en se distançant de celui sur la Palestine ?
Cette incohérence pourrait être exploitée par le Royaume-Uni pour justifier sa propre réticence à mettre en œuvre l’avis de 2019. En effet, si Maurice elle-même semble considérer que certains avis consultatifs peuvent être ignorés pour des raisons politiques ou économiques, pourquoi d’autres États devraient-ils s’y conformer ?
Cette position est d’autant plus problématique qu’elle survient à un moment où la communauté internationale est confrontée aux images dévastatrices du conflit à Gaza. Selon les chiffres du ministère de la Santé de Gaza, plus de 50 000 Palestiniens ont été tués depuis octobre 2023, dont une proportion importante de femmes et d’enfants. Des organisations internationales telles que Human Rights Watch et Amnesty International ont accusé Israël de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, notamment pour avoir provoqué des déplacements forcés massifs de civils et pour avoir utilisé la famine comme arme de guerre.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et d’autres hauts responsables font l’objet de mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Dans ce contexte, le silence ou la neutralité peuvent être perçus comme une forme de complicité face à des souffrances humaines d’une ampleur considérable.
Une vision à court terme ?
La décision de Maurice semble privilégier des gains diplomatiques à court terme au détriment d’une stratégie cohérente à long terme. En affaiblissant le principe selon lequel les avis consultatifs de la CIJ doivent être respectés, Maurice pourrait compromettre ses propres intérêts dans le dossier des Chagos.
Cette approche opportuniste de la diplomatie internationale risque également d’aliéner des soutiens traditionnels de Maurice, notamment au sein du Mouvement des non-alignés, de l’Union africaine et d’autres forums où la question palestinienne bénéficie d’un fort soutien.
Des conséquences pour la solidarité internationale
Ce retrait de Maurice intervient à contre-courant d’un mouvement mondial croissant de reconnaissance des droits des Palestiniens. En mai 2024, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, par une écrasante majorité (143 voix pour, 9 contre et 25 abstentions), une résolution en faveur de l’admission de l’État de Palestine comme membre à part entière des Nations unies. Cette démarche, soutenue par de nombreux pays à travers le monde, témoigne d’une volonté internationale de faire avancer concrètement la solution à deux États.
En se distançant de l’avis consultatif sur la Palestine, Maurice risque de s’isoler diplomatiquement des forums où elle a traditionnellement cherché du soutien pour sa propre cause, comme le Mouvement des non-alignés et l’Union africaine. Cette décision pourrait affaiblir les alliances stratégiques que Maurice a patiemment construites autour des principes de justice et de droit international.
Conclusion
Le retrait de Maurice du soutien à l’avis consultatif sur la Palestine illustre les dilemmes auxquels sont confrontés les petits États dans l’arène internationale. Tiraillés entre principes et pragmatisme, entre cohérence et opportunisme, ils doivent souvent naviguer dans des eaux diplomatiques tumultueuses.
Cependant, en adoptant une position aussi contradictoire, Maurice risque de fragiliser sa propre position dans le dossier des Chagos et de ternir son image de défenseur du droit international. La vraie force des petits États réside souvent dans leur capacité à défendre des principes avec constance, plutôt que dans des alignements fluctuants dictés par les pressions du moment.
À l’heure où les images de destructions à Gaza et des souffrances de la population civile palestinienne continuent de choquer la conscience mondiale, la décision de Maurice apparaît non seulement comme un calcul diplomatique à courte vue, mais aussi comme une position moralement problématique face à l’une des plus graves crises humanitaires de notre époque.
Dans ce contexte, il appartient au gouvernement mauricien d’expliquer clairement les raisons de ce revirement et de démontrer comment cette nouvelle position s’articule avec sa défense continue de l’avis consultatif sur les Chagos — et avec les valeurs fondamentales que Maurice prétend incarner sur la scène internationale.
Kavy Ramano Ancien ministre
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