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Ramgoolam na pa kile
Navin Ramgoolam a parlé. Longuement. Assez patiemment. Chiffres à l’appui. Avec la posture d’un chef d’État acculé, tenant dans ses mains une bombe sociale à retardement : la Basic Retirement Pension (BRP). Ce mardi 17 juin à l’Assemblée nationale, le Premier ministre n’a pas reculé. Il a assumé. Mais il n’a pas forcément apaisé.
Il fallait sans doute de l’entêtement, couplé au courage, pour livrer, en direct, la vérité crue d’un système non contributif à l’agonie. Une pension accordée dès 60 ans à tous, indépendamment de leurs revenus, dans un pays qui voit sa population vieillir, ses jeunes partir, et son taux de fertilité plonger à 1,34 enfant par femme. Une dette qui tutoiera les Rs 640 milliards. Une part de la BRP qui, de 1,9 % du PIB en 2010, bondit à 7,8 % aujourd’hui. En quatre ans, de Rs 27 milliards à Rs 55 milliards. C’est un gouffre, pas une courbe.
Ramgoolam a aligné les faits. Il les a martelés. Il a cité l’Allemagne (retraite à 70 ans), la France (67 ans), le Japon (pensions contributives et conditionnées). À Maurice, dit-il, on est les seuls au monde à offrir autant sans aucune contribution ni test de moyens. Sur ce point, il a raison : la générosité n’a pas d’équivalent. Mais peut-on passer de l’opulence au rationnement sans transition ?
Là où le bât blesse, ce n’est pas dans la froide logique budgétaire. Elle est implacable. C’est dans la forme, le rythme, et surtout le manque apparent d’empathie. Car à force de faire parler les pourcentages, Ramgoolam a oublié de parler aux gens. À ceux qui vivent de la BRP comme d’un dernier rempart. À ceux qui n’ont pas cotisé, parce qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de le faire : femmes au foyer, journaliers, ouvriers du textile. À ceux, surtout, pour qui l’État reste la dernière certitude. Certes, il y aura les comités ministériels… mais encore des comités ?
La rue ne lit pas les rapports du FMI. Elle vit avec l’angoisse de ne pas atteindre la fin du mois. Et si la réforme est juste, elle ne peut être brutale. Ramgoolam l’a compris trop tard, en annonçant deux comités interministériels : l’un qu’il présidera, l’autre confié à un Ashok Subron devenu muet comme jamais. Un rattrapage politique, mais qui ressemble plus à un gain de temps qu’à une concession sociale. Or, dans ce genre de réforme, le temps est l’ennemi de l’autorité.
En face, l’opposition a senti l’hémorragie. Pravind Jugnauth, en embuscade, dénonce une «démolition de l’État providence» et se pose en défenseur des 60 ans. Lui qui n’a rien fait pendant son mandat retrouve du souffle dans le vide laissé par le gouvernement. Pire, Renganaden Padayachy renaît en accusateur, parlant de «Budget barbare». Ironie des temps : les pompiers d’hier sont les pyromanes d’aujourd’hui.
Mais ce retour en force de l’opposition n’est pas qu’opportuniste. Il s’inscrit dans une faille stratégique de Ramgoolam : l’absence de pédagogie. Comment faire accepter à un pays une réforme aussi lourde sans concertation, sans phasage, sans filet de sécurité immédiat ? Comment croire que les sacrifices seront partagés quand la classe politique elle-même s’abstient de réformer ses propres privilèges ? La question du train de vie de l’État, des pensions dorées des ex-élus, des salaires et per diem des ministres, des duty-free distribués aux amis, revient avec force. On ne peut pas parler d’équité intergénérationnelle sans exemplarité gouvernementale.
Et pourtant, la réforme est inévitable. Il fallait la faire. Elle est peut-être même salutaire. Ce qu’il manquait hier, ce n’était pas les chiffres – ils sont là, lourds, indiscutables. Ce qu’il manquait, c’est l’humain. La capacité d’un chef à dire : «Je vous comprends, mais voici pourquoi je dois avancer.» Ramgoolam a été technicien. Il aurait dû être pédagogue.
À quoi servent les comités, si ce n’est à différer l’explosion ? Quels sacrifices consent le pouvoir lui-même ? Qui, dans cette équipe, porte cette réforme au-delà de son chef ? Où sont les gestes symboliques, les coupes dans l’embonpoint budgétaire de l’État ? Les Mauriciens ne demandent pas qu’on les flatte, mais qu’on les respecte. Et le respect commence par la justice de traitement.
Ce mardi, Ramgoolam a dit la vérité. Mais il ne l’a pas forcément incarnée. Il a expliqué la réforme, mais il ne l’a pas portée dans la douleur collective. Résultat : il gouverne seul, contre une rue qui gronde, une majorité qui se crispe, une opposition qui ronge son frein, et un peuple qui attend des preuves de solidarité, pas seulement des projections à l’horizon 2035.
Réformer, ce n’est pas faire preuve de bravoure économique. C’est bâtir la confiance. Et à ce jeu-là, Ramgoolam n’a pas perdu la partie. Mais il n’a pas encore gagné le peuple. Avant tout, il doit faire régner la solidarité gouvernementale (directement et indirectement) et il doit commencer à chiffrer le coût des exceptions !
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