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Qui mérite d’incarner notre monde ?

21 décembre 2024, 14:30

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Chaque année, le rituel se répète : désigner la personnalité qui a marqué l’année. Mais au-delà de l’apparente simplicité du geste, cet exercice soulève des questions complexes, presque existentielles. Qui, parmi les figures publiques, mérite d’incarner les triomphes et les tragédies, les espoirs et les angoisses de notre époque ? Est-il même possible de réduire une année entière, riche en événements, en une seule personne ?

Le magazine «Time» a choisi Donald Trump comme personnalité de l’année 2024 (comme cela a été le cas en 2016). Ce choix, controversé, rappelle que cette distinction n’est pas une célébration. C’est un miroir qui reflète l’impact d’un individu sur le monde, pour le meilleur ou pour le pire. Mais peut-on réduire une époque si plurielle, si fragmentée, à un seul nom ?

En nommant Donald Trump, «Time» ne célèbre pas l’homme mais reconnaît son influence écrasante. Après avoir défié toutes les probabilités pour regagner la Maison-Blanche, il symbolise le retour en force d’un populisme qui redéfinit les contours de la démocratie. Pourtant, son triomphe est aussi celui des divisions et des discours polarisants.

Face à lui, d’autres figures auraient pu prétendre à ce titre : Kamala Harris, dont la campagne électorale a insufflé un vent d’espoir. Ce choix, inévitablement subjectif, expose les dilemmes moraux de notre époque. Qui doit-on mettre en lumière : celui qui domine ou celui qui inspire ?

Chaque personnalité de l’année est un choix politique. Peu importe les justifications avancées, il y a une portée symbolique inévitable. Le visage qui orne la couverture du «Time» devient une icône, pour le meilleur ou pour le pire. Ce pouvoir de désignation influence les perceptions et alimente les récits dominants.

Mais le monde ne se résume pas aux grands noms et aux grandes puissances. Si l’on regarde au-delà des États-Unis, on trouve des héros méconnus : un Nobel d’économie dirigeant le Bangladesh pour lutter contre la pauvreté, une avocate mobilisant 2 300 femmes contre les changements climatiques, ou une doctorante qui redéfinit le financement de la recherche scientifique au Canada.

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Sur le plan local, l’exercice est tout aussi périlleux. Qui, en 2024, a incarné l’esprit de Maurice ? Était-ce un politicien, un militant, un entrepreneur, ou une voix courageuse s’élevant contre l’injustice ? Notre journal n'a pas encore tranché.

La scène politique, dominée par les élections et résultats des 10-11 novembre, offre des noms évidents, mais pas forcément unanimes. Le retour de Navin Ramgoolam, après dix ans d’absence, a forcément marqué les esprits. Mais son triomphe électoral incarne-t-il un réel espoir de changement ou simplement la continuité d’une classe politique incapable de se réinventer ?

Peut-être la personnalité mauricienne de 2024 ne se trouve-t-elle pas parmi les élites visibles. Peut-être réside-t-elle dans l’anonymat d’un enseignant, d’un soignant, d’un citoyen qui, à son échelle, a transformé son monde. Mais ces figures modestes, bien que précieuses, échappent à l’attention d’une société obsédée par le spectaculaire.

On l’avoue : l’exercice de choisir une personnalité de l’année est une réduction, une trahison, dans la mesure de représenter un monde si complexe, si nuancé, en un seul visage ? Et surtout quand cette personne change avec le temps comme certains de nos Mauriciens de l'année qui ont tourné, détourné.

La vraie personnalité de l’année pourrait être celle qui incarne la résistance discrète ou le courage silencieux. Pourtant, ces qualités s’opposent à la logique des grands récits : il est plus facile de désigner un homme puissant qu’une femme anonyme, un leader populiste qu’un militant écologiste.

Peut-être vivons-nous une époque où il n’est plus possible de désigner un héros incontesté. La fragmentation de nos sociétés, la multiplication des crises et la polarisation des opinions rendent l’unanimité impossible. Mais cela reflète aussi une réalité plus profonde : notre monde est trop complexe pour être incarné par une seule personne.

La vraie personnalité de l’année 2024, si elle existe, pourrait aussi être collective. Elle réside dans les gestes ordinaires, les efforts partagés, les combats silencieux qui, ensemble, façonnent un avenir meilleur.

En fin de compte, choisir une personnalité de l’année reste un exercice nécessaire. Il nous force à réfléchir à ce qui compte, à ce qui nous inspire, à ce que nous rejetons. Mais il nous rappelle aussi que derrière chaque nom se cache une multitude d’histoires et qu’aucun individu, aussi influent soit-il, ne peut prétendre représenter la complexité du monde. Ce monde tel qu’il est est le monde tel que nous choisissons de le voir.