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Kronik KC Ranzé

Quand la politique épouse le fric

31 mars 2024, 08:11

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Quand la politique épouse le fric

M. Donald J. Trump a été régulièrement et de manière explicite et musclée contre la présence de l’application Tik Tok aux États-Unis. C’est un point de vue qu’il a d’abord exprimé en juin 2020, alors qu’il était président des États-Unis. Son argument principal était alors que Tik Tok représentait un risque à la sécurité nationale de son pays, puisque Byte Dance, la compagnie propriétaire, étant basée en Chine, était obligée de se soumettre à la China Internet Security Law qui donne le pouvoir au Parti communiste chinois d’accéder librement aux informations collectées par Tik Tok.

La crainte exprimée par Trump prit la forme, en juillet 2020 d’un ordre exécutif menaçant de bannir Tik Tok sous les 45 jours (plus tard, 90 jours) si Byte Dance ne vendait pas son contrôle à des investisseurs approuvés par la Maison Blanche. Des discussions furent d’ailleurs entamées par Microsoft et Oracle pour un rachat éventuel, mais Trump indiquait éventuellement qu’il s’opposerait, sans dire pourquoi, à un rachat par une compagnie américaine.

Le fait est que Tik Tok introduisit deux cas en justice, principalement sous les 1er et 5e amendements, contre l’administration Trump et le secrétaire au Commerce, arguant, entre autres, que l’Executive Order, dans une année électorale, se voulait surtout être une punition pour certaines vidéos bouffonnant la campagne présidentielle de Trump et, qu’à défaut, cette initiative le montrerait comme un président fort, tenant la dragée haute face à la Chine. Il ne faut pas oublier d’ailleurs les accusations, il est vrai tardives, de Trump contre la Chine (*) à l’époque, accusant cette dernière d’être responsable de la pandémie planétaire du coronavirus.

Quoiqu’il en soit, Trump perdait les élections de novembre 2020 et Biden annulait l’Executive Order de Trump en juin 2021, ordonnant une enquête sur les menaces de Tik Tok. En juin 2022, des employés de Tik Tok contredisaient les affirmations de leur management et déclaraient que l’accès aux données américaines, de la Chine, était total et fréquent. Tik Tok annonçait immédiatement avoir transféré toutes ses données à Oracle Cloud exclusivement, ce qui n’empêchait pas le chef du FBI, Chris Wray, d’affirmer en décembre 2022, que les dangers étaient toujours là. Quelques jours plus tard, les services fédéraux bannissaient Tik Tok des ordinateurs et des téléphones de leurs employés et, le 13 mars dernier, le congrès américain votait une législation bannissant Tik Tok si Byte Dance ne cessait pas d’être basée à, et ainsi d’être sous le contrôle, de Beijing. L’ironie veut que cette législation ralliait largement républicains et démocrates (352-65), ces derniers admettant même que Trump avait probablement raison en 2020 déjà ! Les Américains ne sont pas les seuls à être tracassés…(**)

La grosse surprise du 12 mars, c’est que Trump changeait soudain son fusil d’épaule et devenait favorable au maintien de TikTok ! Pourquoi, alors même que 50 % des Américains (64 % des républicains et 39 % des démocrates) exprimaient leur souhait de bannir TikTok des États-Unis lors d’un sondage Quinnipiac il y a moins d’un an ?

C’est là qu’intervient le fric !

Donald J. Trump est un capitaliste qui vient d’être condamné par une cour new-yorkaise pour $454 millions, après avoir dû faire un dépôt en cour pour $91,7 millions pour s’acheter le privilège de faire appel d’un jugement en diffamation de E. Jean Carroll qu’il avait agressée sexuellement en 2001.(***). Les factures d’hommes de loi s’accumulant séparément pour quatre autres gros procès (Géorgie – Trouvez-moi 11 780 votes, les documents présidentiels cachés à Mar-aLago, Stormy Daniels et la conspiration pour renverser les résultats de la présidentielle de 2020), alors qu’il est en campagne électorale ; Trump se sent coincé et demande de l’aide à ses amis milliardaires. L’un d’eux, Jeffrey Yass, un des fondateurs de Susquehanna, un fonds d’investissement qui soutient les républicains et qui est anti-taxes, lui rendait visite à Mar-aLago au début de l’année…

L’actionnariat de Byte Dance reste incertain, la compagnie, incorporée aux îles Cayman n’étant pas publique, mais TikTok USDS affirme que 60 % sont possédées par de gros investisseurs principalement américains (Blackrock, General Atlantic, Susquehanna etc.), que 20 % appartiennent aux employés et 20 % aux fondateurs. Susquehanna possèderait jusqu’à 15 % du capital de Byte Dance et l’on peut imaginer ce qu’une décision négative du congrès pour le territoire américain coûterait à Jeffrey Yass et à sa compagnie…

Il a donc essayé d’acheter un possible futur président des États-Unis en concrétisant un deal financier avec Truth Social, la plate-forme sociale créée par Trump quand il était éjecté de Twitter (avant Elon Musk). Fait notable : c’est la première fois depuis presque 30 ans qu’une partie de l’empire Trump est cotée à la bourse – ce qui ne lui permet plus la discrétion et l’opacité qu’il affectionne. Mais l’objet de la transaction était autre : elle était de booster la fortune de Trump, même si «sur le papier» seulement, grâce aux particularités spéculatives de la bourse…

Ainsi, juste après que Trump Media est coté sur la Nasdaq, sa valeur progressait de 56 % jusqu’à $78, mais finissait la journée à $57,99, soit une progression plus modeste de 16 %. Selon CNN, les actions de la compagnie Digital World Acquisition Corp, la société écran qui est devenue Trump Media, ont mystérieusement progressé de plus de 200 % depuis le début de l’année !(****)

Comment réconcilier ces envolées de valeur alors que Truth Social perd des clients et qu’elle n’a enregistré que $3,5millions de revenus (principalement publicitaires) pour les neuf premiers mois de 2023, accumulant des pertes de $49 millions sur la période ? S’il est vrai que ce n’est pas la première compagnie où la valeur boursière ($ 9,5 milliards le 26/03 !) est complètement détachée de la réalité financière ; il est, notoirement, difficile d’entrevoir un avenir serein à Truth Social, face à des concurrents enracinés et nettement plus populaires.

Ainsi, Truth Social qui a seulement 5 millions d’utilisateurs actifs mensuels (UAM) et qui vaudrait $9,5 milliards à la date de son IPO, se compare à Facebook (Meta) qui avait 845 millions d’UAMs lors de son IPO en mai 2012 pour une capitalisation boursière de $104 milliards, alors que Pinterest alignait 250 millions d’UAM en 2019 pour son IPO a lui pour une valeur boursière de $10 milliards. La proportionnalité des valorisations ne colle pas ! D’autant que Facebook aligne des profits de $39 milliards en 2023 et que Pinterest a déjà fait des profits et perd actuellement moins que Truth Social…

Donald J. Trump est peut-être un cas extrême. Mais la trame reste la même : les hommes d’affaires veulent faire du fric et ont besoin pour cela de l’assentiment des hommes au pouvoir. S’ensuit ‘la réalité des affaires’ ou, au minimum, il faut plus ou moins raser les murs et ne pas antagoniser les détenteurs du pouvoir et à l’autre extrême, il faut se rapprocher tellement des politiciens, que l’on s’enfonce dans des équations de ‘qui pro quo’ qui engendrent inévitablement des entorses souvent graves. À l’éthique et à l’égalité des chances, par exemple. Ce qui mènera à des punitions et à des exactions quand le protecteur politique de l’heure se retrouvera… en enfer, c. à-d dans l’opposition !

Dans le cas de Trump, un cas unique en tout genre, le ‘businessman’ aspire à redevenir, lui-même, président des États-Unis et se remettre en position pour prendre des décisions pour lui-même et ceux qui l’auront aidé. C’est stupéfiant !

En attendant, ayant déjà libéralement vendu son nom pour vendre des steaks, des études universitaires, des casinos, de la vodka, et même des parfums, ce monsieur confirme publiquement qu’il est toujours prêt à se vendre. Ces jours-ci, c’est aussi pour des baskets dorées à $399 (qui ne sortiront de l’usine qu’en juillet…) et, depuis cette semaine, en plein carême… des bibles ! À $ 59,99 pièce alors que de nombreuses chambres d’hôtel à travers le monde, en rendent une de disponible gratuitement.

Le site qui vend cette bible assure que le produit de la vente n’est pas directement pour la campagne électorale. C’est presque vrai. Cependant l’image marketing de Trump est vendue par CIC Ventures pour la vidéo promotionnelle, pour on ne sait quel prix, alors que Trump est le «président, secrétaire, manager et trésorier» de CIC Ventures… Ça manque un peu de dignité, vous ne trouvez pas ?

Comme le dit la vidéo vendant cette bible : «Make America Pray Again !» Méphistophélès doit bien rire, vu le nouveau missionnaire de circonstance…

(*) The Guardian l Trump attacks China over Covid 'plague' as Xi urges collaboration in virus fight

(**) 23 pays ont banni Tik Tok pour l’heure. Parmi eux, le Canada, l’Inde, le Pakistan, l’Union européenne, le Royaume-Uni, l’Australie, la France, l’Indonésie et même… la Chine, qui ne tolère pas le contenu ‘étranger’ de Tik Tok. Il n’y a donc qu’une version exclusivement chinoise, appelée Douyin en Chine, où Facebook et Twitter sont aussi interdits depuis 2009.

(***) THE CUT l Hideous Men Donald Trump assaulted me in a Bergdorf Goodman dressing room 23 years ago. But he’s not alone on the list of awful men in my life.